ADTECH

Une bombe dans l’univers en plein boom du retail media. Carrefour a annoncé le 8 novembre, un an après un partenariat avec Criteo, un partenariat avec CitrusAd, racheté par Publicis en juillet 2021. Les deux parties créeront une Joint Venture en 2023, détenue à 51% par Carrefour, et pleinement opérationnelle d’ici 2024.

Sur un marché en estimé à 5 milliards d’euros en 2026, cette annonce est loin d’être anodine. « Notre principal concurrent, on ne va pas se le cacher, c’est Amazon », annonce Elodie Perthuisot, directrice du e-commerce et de la transformation digitale pour l’enseigne. Le distributeur veut s’imposer sur le marché du retail media au niveau international, et ainsi proposer son offre dans toute l’Europe et en Amérique Latine. Alors que les cookies sont amenés à disparaître, le retail media, qui se base sur les données first party des retailers, fait figure de solution salutaire pour continuer à cibler les consommateurs, à la fois dans l’écosystème du distributeur comme sur les autres éditeurs. Ainsi, afin de ne pas laisser le web aux géants de l’e-commerce, qui pourrait attirer bon nombres de marques, Carrefour veut jouer un rôle central dans la riposte.

L’enseigne avait donc créé Carrefour Links, il y a un an et noué un partenariat avec Criteo. Une plateforme en self-service pour toutes les marques qui permettait d’acheter des impressions dans l’écosystème Carrefour, et les cibler grâce à la donnée client Carrefour. « Mais le but du Retail Media est aussi de remonter le funnel de vente, et donc de permettre de diffuser des campagnes de marques, qui ne se limitent pas à la seule performance », précise Alexis Marcombe, DG de Carrefour Links. Donc de diffuser les campagnes offsite, en dehors du simple site Carrefour. « Mais toujours enrichie par notre données clients », ajoute-t-il. Soit les 80 millions de clients encartés à travers le monde. En passant par Publicis, cela pourrait ainsi ouvrir la porte à d’autres formats, comme la télé connectée…

Pour cela Carrefour avait besoin de pouvoir développer sa propre technologie. « Le retail media n’est pas qu’une question d’offres commerciales, commente Elodie Perthuisot. La technologie est au cœur du projet. Nous voulions avoir davantage la main dessus, qu’elle soit plus proche de nous. D’où l’ambition de cette Joint Venture avec Publicis, et ses équipes d’Epsilon et de CitrusAd. Nous pourrons commercialiser directement notre propre retail media, que nous développerons et le commercialiser ensemble par la nouvelle société. »

Le côté géographique du partenariat n'est pas anodin. En passant par le réseau Publicis, l'enseigne peut gagner en influence et en nouveau contacts commerciaux dans de nouvelles régions du monde, écouter le marché dans des zones où elle n'est pas implantée. A l'inverse, Publicis peut aussi approcher de nouvelles marques et avoir une clé d'entrée pour gagner de nouveaux budgets médias.

Et Criteo dans tout ça ?

En attendant, cette annonce enterre directement le renouvellement du contrat avec Criteo, qui restera mené jusqu’à son terme, soit au bout des trois ans. « Nous allons toujours au bout de nos contrats », commente Elodie Perthuisot. Mais est-ce une mauvaise nouvelle pour Criteo qui a fait du retail media son nouveau cheval de bataille et voyait dans sa plateforme son renouveau après la disparition du cookie ?

« Cela ne peut pas être qu’une bonne nouvelle, euphémise un expert de l’adtech... Mais il faut voir plus loin. Cela peut au contraire leur permettre de se positionner comme indépendant. Carrefour et Publicis ont réalisé une Joint Venture : ils seront liés économiquement. Acheter de la pub via leur outils de retail media, ce sera donner de l’argent à Carrefour. Les autres distributeurs pourraient voir d’un mauvais œil cette alliance et ne pas passer par leurs outils. » Côté données, Carrefour et Publicis assure qu’à aucun moment les données ne transitent. « Chaque retailer reste propriétaire de ses données. Aucune ne sort. » pointe Elodie Perthuisot.

La différence, c'est que Carrefour entend mener un changement philosophique sur le marché, en créant une activité de retail media indépendante, hors du champ de la distribution. « Ce qui est intéressant c’est d’aller chercher sur internet l’effet de réseau pour être plus efficace », ajoute la directrice. Et l'enseigne compte bien convaincre le plus de monde possible.

La question serait donc financiaro-éthique : peut-on donner de l’argent à un concurrent même s’il nous rend un service performant ? Voilà une vaste question que les distributeurs vont devoir trancher.

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