De nombreux profils manquant à l’appel, les agences parent au plus pressé avec des solutions qui menacent l’équilibre économique de l’ensemble du secteur. Une situation qui pousse à envisager un aggiornamento des pratiques de recrutement et qui annonce peut-être la fin du « métier passion »…

Les agences souffrent, car elles n’arrivent pas à recruter. Et la liste est longue, selon Muriel Blayac, présidente de Lévénement, l’association regroupant les entreprises du secteur : « Les responsables et directeurs de la logistique sont difficiles à trouver, y compris en freelance, du fait de la demande générée par les JO. Les profils liés au planning manquent aussi. » Même constat pour l’agence de recrutement spécialisée Lobster. « Il y a actuellement plus d’offres que de candidats disponibles pour des postes de chef de projet, des postes liés à la production ou au business développement », indique Marie Deliry, directrice générale associée de cette structure. La rareté touche aussi les commerciaux, ajoute Frédéric Pitrou, délégué général de l’Unimev : « La pénurie est plus forte qu’avant la crise sanitaire. Le flux de nouveaux arrivants s’est tari presque d’un seul coup… » Quant aux data analysts, dont le besoin se fait d’autant plus sentir que les événements constituent une source de données aussi abondante que peu exploitée, les attirer relève de l’exploit. Pour le dire plus simplement : on manque d’à peu près tout !

Un baromètre réalisé par Lévénement a quantifié l’étendue des ­dégâts causés par la crise sanitaire : en 2022, entre 15 % et 17 % des membres des agences événementielles sont devenus freelances ou ont quitté le secteur. « C’est beaucoup », commente sobrement Muriel Blayac. Les JO de 2024 ne font qu’aggraver la situation. Béatrix Mourer, dirigeante de l’agence Magic Garden, tire déjà la sonnette d’alarme chez ses clients : « Nous avons commencé à les avertir pour les inciter à anticiper, car il y aura une pénurie de talents mais aussi de matériel et de lieux, ce qui va automatiquement faire monter les coûts. Certains entendent le message, mais les process internes ont leur rythme propre… »

Chaises musicales et double conséquence

Cette situation inédite génère d’abord de la fatigue parmi les équipes en place, contraintes d’absorber un double surcroît de travail, car nombre de clients souhaitent multiplier les événements pour rattraper le temps perdu durant la crise sanitaire. Le recrutement devient presque mission impossible, explique Marie Deliry : « Aujourd’hui, pour recruter un chef de projet, nous approchons 350 candidats en moyenne, avec des pics à plus de 700 sur certains profils spécifiques. » La quasi-totalité d’entre eux étant en poste, ce processus aboutit à dégarnir certaines agences au profit d’autres. Avec une double conséquence : surcharge de travail et dés­organisation pour nombre d’équipes mais aussi… inflation salariale. « Les candidats demandent des niveaux de rémunération comparables à ceux de salariés expérimentés », constate Frédéric Pitrou. Certains n’hésitent pas à demander 45 k€, voire plus… Ce phénomène menace l’existence même des agences, estime Béatrix Mourer : « Cela enclenche une spirale inflationniste des rémunérations alors que les clients veulent réduire les budgets et que les directions des achats ne veulent pas tenir compte de l’inflation. À la rentrée, Lévénement va porter un discours collectif auprès des clients car c’est un risque pour la survie de nombreuses agences. »

En attendant, comment trouver les profils manquants ? Frédéric Pitrou recommande aux acteurs de la filière d’améliorer leur visibilité tout en ­reconnaissant la difficulté de l’exercice puisque le niveau d’activité très élevé capte tout leur temps… Il fonde paradoxalement quelques espoirs sur les JO 2024. S’ils ont asséché le marché à court terme, ils ont aussi augmenté la visibilité et l’attractivité de la filière, suscitant des vocations qui seront disponibles à la fin de l’événement.

Marie Deliry insiste sur l’importance de l’adoption de nouvelles pratiques : « Il est urgent de sensibiliser la filière à ouvrir ses zones de “chasse” afin de limiter l’effet chaises musicales et de renouveler les talents. » Une démarche qui exige de sortir de l’optique « métier passion » et de s’adapter à une nouvelle génération de candidats : « Aujourd’hui, ils sortent d’écoles qui impliquent des biais de réflexion différents. Ils ont des profils plus standardisés dans leur rapport au travail, comparables aux candidats d’autres secteurs. Ils sont hyper­attentifs au format contractuel, au cadre, à ­l’intéressement, aux avantages globaux, au télétravail… »

Donner du sens. Autant d’éléments qui appellent à un aggiornamento des pratiques en vigueur dans le secteur, selon Muriel Blayac : « Les agences vont accueillir de plus en plus de personnes qui ne vont pas faire leur carrière dans le métier. Le turn-over va augmenter et il faut l’accepter. » Donner du sens et améliorer la qualité de vie au travail deviendront des facteurs déterminants : « Il faudra montrer que l’événement est utile pour le business mais aussi pour la société puisqu’il devient RSE : mobilier remis à Emmaüs, produits alimentaires non utilisés donnés à des associations, etc. Les agences devront aussi penser à accorder à leurs salariés du temps sur le temps de travail pour des causes qui leur tiennent à cœur. » Réduire la pénurie de profils engage donc une véritable métamorphose du fonctionnement actuel des agences.

Vers un nouveau modèle d’agence ?

Marie Deliry, directrice générale associée du cabinet de recrutement Lobster

« Les annonceurs sont plus exigeants en termes d’innovation, que ce soit sur le digital, le broadcast ou le contenu. Aujourd’hui, je dirais qu’ils ne font plus de communication événementielle mais qu’ils veulent événementialiser leur communication. À partir de l’événement, les annonceurs veulent créer des chambres de résonance avec d’autres canaux de communication comme le digital par exemple. Pour les agences, cela implique d’intégrer de nouvelles compétences (community manager, éditorial, RP…) et donc de se connecter à de nouveaux réseaux qui proposent ce type de profils. C’est pour elles un changement de paradigme, ce qui va les obliger à se réinventer et pose, de fait, des questions en termes de rentabilité, d’organisation, d’intégration de ces nouveaux métiers et de leur niveau de rémunération. »