Et si les Jeux étaient l’occasion de favoriser enfin la pratique sportive des collaborateurs ? Un levier qui contrebalance les effets de la sédentarité du bureau tout en créant des liens favorisant plus de cohésion, de sentiment d’appartenance et d’efficacité.
Faciliter l’accès au sport de ses collaborateurs : pour les DRH, une vieille antienne. Mais pour les entreprises partenaires de Paris 2024, c’est à la fois un défi et un enjeu de crédibilité. Ainsi, la FDJ joue sur deux tableaux. D’un côté, elle soutient une « team » de 52 athlètes actifs dans une trentaine de disciplines. Les rencontres avec les collaborateurs se font via des initiations. Une cinquantaine de salariés se sont familiarisés à la pratique du décathlon avec Kevin Mayer et autant au pentathlon moderne avec Valentin Prades. Des séminaires pour interroger les athlètes sur leur discipline et sur leur préparation sont organisés. « Ce partage d’expérience intéresse les collaborateurs, que ce soit pour faire des transferts dans leur pratique professionnelle, ou alors dans leur pratique sportive », explique Frédérique Quentin, responsable du sport de haut niveau. D'un autre côté, la FDJ a également créé des salles de sport dans ses locaux de Boulogne et de Vitrolles. Moyennant une inscription, les 2 000 collaborateurs de ces sites bénéficient de cours avec des éducateurs ou pratiquent un sport en libre accès. « À Boulogne, 30 % des effectifs sont inscrits et 50 % à Vitrolles », précise la responsable.
L’impact positif du programme ? « Il y a des managers qui bénéficient du programme et qui se trouvent également avec leur collaborateur sur des séances d’entraînement, souligne Frédérique Quentin. Là, il y a d’autres liens qui se créent parce que le collaborateur n’est pas forcément celui qui va avoir besoin de l’aide de son manager, cela peut être plutôt le contraire. Les collaborateurs nous disent que cela renforce le lien entre managers et collaborateurs parce que justement ce lien est parfois inversé sur un terrain de sport. »
Deloitte a choisi une autre approche. Au-delà de son « Derby » sportif annuel qui réunit durant un week-end jusqu’à 700 collaborateurs, le cabinet de conseil propose des conditions d’accès privilégiées à Gymlib. « Sur 5 500 collaborateurs en France, 1 200 ont un abonnement », détaille Charlotte Vandeputte, associée leader talents. Depuis 2021, une association sportive d’entreprise soutient des projets de pratiques sportives. « Aujourd’hui, nous accompagnons 25 équipes, soit 500 collaborateurs », précise la responsable.
L’un des enjeux majeurs de la démarche repose sur la transversalité : « Nous avons cinq métiers différents avec des identités très fortes. Le sport permet de créer des liens transverses entre départements et métiers. S’ils connaissent les différents métiers de Deloitte, ils pourront en parler à nos clients et les leur vendre. Nous souhaitons favoriser la transversalité dans une logique de développement de l’activité. »
Deuxième enjeu clef : le plaisir. « Nos métiers sont très exigeants, avec un certain niveau de pression et un certain niveau de charge de travail, et donc il faut aussi y trouver du plaisir, estime Charlotte Vandeputte. Et ce plaisir, ce sont les relations avec les autres qui se tissent à l’occasion de la pratique sportive. Quand on questionne les gens de Deloitte, ils disent qu’ils sont restés pour les relations qu’ils ont créées. Chez Deloitte, on se fait des amis. Finalement, on reste pour les gens avec qui on travaille. »
La pratique d’une activité physique a un autre avantage : « Le sport est aussi une façon de traiter les enjeux d’équilibre de vie professionnelle et personnelle, et de santé physique et mentale, ajoute l’associée du cabinet de conseil. Nous voulons des gens qui soient en bonne santé et en bonne forme, détendus et reposés. Ils pourront ainsi affronter des exigences de travail qui sont parfois élevées. »
Sortir du lien hiérarchique
Le groupe BPCE, grand sponsor de plusieurs sports (voile, hand-ball, basket, rugby) a mis sur pied des « mini-Olympiades » qui ont mobilisé jusqu’à 1 200 participants répartis entre 42 équipes en 2023. « Il y avait de nombreux sports comme la descente à ski ou le volley mais aussi des disciplines paralympiques comme le sprint non-voyant où un collaborateur avait les yeux bandés et se faisait guider par un autre coureur », explique Maxime Pech de Pluvinel, directeur de la communication.
À l’automne 2023, la BPCE a réuni un millier de collaborateurs et une soixantaine d’athlètes à l’hippodrome de Longchamp. Objectif : bien préparer les JO. « C’était l’occasion de se projeter dans tout le dispositif événementiel autour du relais de la flamme, de présenter le programme d’engagement interne autour du sport parrainé par Stéphane Diagana, et de valoriser les partenariats individuels avec les athlètes, résume Maxime Pech de Pluvinel. Nous l’avons vécu comme un formidable moment collectif et énergisant avant le sprint vers les Jeux. »
Tout comme dans les autres entreprises partenaires officielles, la pratique sportive joue un rôle important dans la cohésion des équipes : « Le sport permet de resserrer les liens entre collaborateurs, de se connaître à l’intérieur d’une même région, entre régions, et y compris à l’international puisque nous avons aussi fait venir certains de nos collaborateurs de l’étranger », précise le directeur de la communication. Là encore, le sport est fédérateur et permet de s’abstraire de la dimension hiérarchique.
Yan Dalla Pria, sociologue du sport : « Le sport devient un outil managérial »
De quand date la prise de conscience que le sport est utile à l’entreprise ?
En 2015, est parue une étude du cabinet Goodwill, financée par la mutuelle de santé AG2R, qui a constitué un tournant. Elle affirmait que la productivité des salariés pratiquant une activité physique ou sportive était supérieure de 6 % à 9 %. Les dirigeants avaient un argument clef pour convaincre les actionnaires d’investir dans des activités sportives. Aujourd’hui, environ 20 % des salariés se voient proposer ce type d’activité.
La majorité des salariés adhère-t-elle à un projet sportif ?
En moyenne, six salariés sur dix sont intéressés, trois sur dix sont indifférents et il y a quelques mécontents. Ces possibilités sont perçues comme un signe de reconnaissance ou de valorisation. Elles génèrent un « contre-don » en termes d’attachement à l’entreprise, de fidélisation et d’engagement au travail. Ces pratiques produisent un autre effet, à savoir la création d’affinités et de relation affectives informelles entre salariés qui viennent se superposer à l’organigramme formel de l’entreprise. Cela produit des flux de circulation d’information qui ne sont pas liés à l’organigramme hiérarchique. Cela assure une circulation d’information qui est beaucoup plus fluide et qui vient combler ce qu’on appelle des « trous structuraux » dans la structure sociale de l’entreprise qui bloquent la diffusion de l’information.
Quels sont les écueils possibles ?
Depuis 1945, les activités sportives étaient du ressort des comités d’entreprise. L’évolution majeure, c’est qu’elles deviennent un outil managérial. L’écueil potentiel, c’est que l’entreprise devient un espace de gestion de corps voués au travail, qu’il s’agirait de gouverner à des fins de productivité. Les salariés et leurs représentants doivent être partie prenante de la construction de l’offre de pratiques physiques et sportives pour éviter cela.