Digital

Etienne Lecomte, président de l’Union des annonceurs (UDA) et vice-président du groupe Bel, aborde l'épineuse question de la définition de la valeur dans le nouvel écosystème publicitaire, sujet central des Rencontres de l'Udecam qui se tiendront le 3 septembre, salle Wagram à Paris.

 

Le digital est-il destructeur de valeur ?

Etienne Lecomte. Le digital est créateur de valeur à la fois pour nos entreprises, pour le marché de la communication et l'économie nationale. La question de la destruction de valeur dépend, bien sûr, du point de vue duquel on se place. Notre univers est en profonde mutation et loin d'être stabilisé. Cette période transitoire risque cependant de durer encore plusieurs années: elle est liée à la fois à l'évolution rapide des technologies et des capacités de traitement des informations, mais aussi à la modification rapide des comportements et des cultures. L'économie digitale fait naître chaque jour de nouveaux acteurs qui évoluent et, souvent dans le cas de l'économie numérique, sont absorbés par d’autres ou doivent faire un «pivot» pour survivre.

 

Ce «pivot» semble tout de même particulièrement difficile à faire pour les médias...

E.L. Quand on pense destruction de valeur, on pense souvent aux médias historiques dont les modèles traditionnels ont été très malmenés par le digital. La force et l'exigence de leurs contenus doivent trouver une nouvelle monétisation dans le digital. Mais les synergies existent et sont créatrices de nouvelles valeurs. De nombreux exemples le prouvent. Pas un jour sans que ne soient annoncés des mouvements. RTL Group, par exemple, qui repose sur des marques médias historiques fortes (M6, RTL), vient de présenter des résultats en nette progression (chiffre d'affaires en hausse de 3,8 %). D'ores et déjà en pointe sur le numérique, il vient de prendre la majorité dans Spot Xchange, n°2 mondial de la vidéo programmatique, et de racheter le n°3 des chaînes de vidéo en ligne. Prisma Media va lancer dans quelques semaines la version française de Business Insider, pure player de l'actualité économique aux Etats-Unis, en synergie avec ses marques économiques (Capital ou Management). Le groupe Le Monde réalise déjà plus du quart de son chiffre d'affaires dans le numérique. En remplissant sa mission d'information et en répondant aux nouveaux besoins de leurs lecteurs, les marques médias renforcent le lien qui les unit à leurs consommateurs et augmentent la connaissance qu'elles ont de leurs communautés. Elles constituent ainsi des bases de données de qualité et très monétisables auprès des annonceurs. La data est au cœur du système.



Autres partenaires des annonceurs chahutés par la mutation du marché : les agences...

E.L. Du côté des agences, tout change également. Les Rencontres de l'Udecam, en choisissant la valeur comme thématique centrale, montrent bien à quel point ce sujet est clé aujourd'hui. L'explosion des nouvelles formes de communication, rendues possibles par le digital et l'avènement de la data (outil de ciblage, de mesure, de valorisation…), amène souvent les annonceurs à multiplier les interlocuteurs dans la chaîne de la communication, en conception, en mise en œuvre ou en mesure. Dans ce contexte, les annonceurs ont besoin de pouvoir s'appuyer sur des partenaires capables de transcender leurs propres silos et de leur fournir une recommandation multi-expertise, adaptée et objective. Les agences médias – de plus en plus mal nommées – ont la possibilité d’occuper une place centrale dans le marketing de par leur connaissance approfondie des points contacts clients et leur aptitude à les activer. Au-delà de l'activation, leur savoir-faire consiste notamment à renforcer l'engagement des consommateurs, quel que soit le canal qui permet de le faire de la manière la plus efficace. Cela passe également par l'intégration des contenus à propos desquels, là aussi, les agences médias se sont fortement développées. En parallèle, les agences médias ont la capacité à devenir les véritables métrologues de la communication. Les annonceurs sont toujours plus obsédés par le résultat, l'efficacité de leurs actions et la rentabilité de leurs investissements. Les agences médias sont les mieux placées, au carrefour de toutes les actions de communication, pour évaluer, cibler, mesurer, engager. L’expertise en métrologie doit faire partie de leurs offres de services de base.

 

Que pensez-vous, justement, de leur capacité à se transformer ?

E.L. Les voies qui permettent aux agences de créer de la valeur sont nombreuses, et je sais que beaucoup sont déjà armées pour les exploiter. Pour mener à bien cette mutation, elles doivent donc innover en permanence et attirer les meilleurs talents. Cela passe aussi par une revalorisation de la profession et des métiers en agence qui font appel à des profils très différents. Il existe cependant deux écueils que les agences doivent s'efforcer d'éviter. Le tout premier est celui de la transparence. Même si, dans la logique de diversification qui est enclenchée, la tentation peut parfois être grande de s'en écarter, il est fondamental que les agences restent des référents indiscutables pour les annonceurs. Je pense que cela passe également par des modes de rémunération adaptés et justes. Il est important que les annonceurs donnent à leurs agences les moyens d'innover, de fidéliser les talents, d'investir. La seule façon d'y parvenir est, pour les agences, de garantir une transparence absolue à leurs clients annonceurs (transparence des supports utilisés, transparence économique, et reportings adéquats…). De part et d'autre, nous avons encore du chemin à parcourir. Le second écueil est celui de l'uberisation de la communication. Désormais, les agences doivent bien sûr prendre en compte, comme le font les annonceurs vis-à-vis de leurs propres clients, de la digitalisation des relations marques/consommateurs et en tirer parti. Mais, parallèlement, l'uberisation présente pour elles un risque de désintermédiation ou celui de faire naître une nouvelle intermédiation, plus agile. Dans le domaine de la publicité, la technologie est à l'œuvre, les éditeurs mondiaux de logiciels s'intéressent de près à ce marché, la montée en puissance du programmatique et la marchandisation d'une partie de l'activité digitale peuvent amener les annonceurs à opter pour des process courts et pour une internalisation d'autant plus facile qu'eux aussi intègrent des talents digitaux tentés par la centralisation. Dans ce contexte, la seule façon pour les agences de continuer à créer de la valeur dans ce domaine est de faire preuve d'une transparence sans faille, tout en renforçant leurs capacités d'innovation et d’expertise.



Et les annonceurs, ont-ils fait les efforts nécessaires ?

E.L. Du point de vue des entreprises, le digital est aussi créateur de valeur. Et elles peuvent s'améliorer chaque jour plus encore. À l'UDA, nous venons d'ailleurs de publier le second volet de notre étude «Marketing 2020». Elle est le pendant d’une étude globale menée en 2013, à l’initiative de la World Federation of Advertisers (WFA, 10 000 marketeurs dans 92 pays) et a été menée par Millward Brown Vermeer. Elle met en lumière les forces et faiblesses de certaines de nos entreprises au regard des performances mondiales, ainsi que les pratiques à mettre en œuvre pour se rapprocher de celles des entreprises surperformantes. Nous avons identifié trois piliers pour générer de la valeur en France: s'appuyer sur une mission et une raison d'être sociétale forte, placer le consommateur au centre de la stratégie et mettre en place un environnement agile. Nos entreprises et nos marketeurs ont de nombreux atouts. Nous allons poursuivre nos travaux tout au long des mois à venir avec nos membres: direction marketing, direction générale, DRH appuyés par un «CMO board».



Dans ce contexte de digitalisation de la communication, doit-on s'attendre à une certaine déflation budgétaire?

E.L. Depuis plusieurs années, la présentation du bilan du marché de la communication est déprimante, avec des baisses constantes et un ratio publicité/PIB qui se dégrade. Ces signaux sont en contradiction avec ce que je ressens au quotidien d'un marché certes chahuté, mais terriblement vif et agile. Les entreprises ont toujours plus de nouveaux points de contact avec leurs consommateurs. Imaginer qu'ils ne coûtent rien est absurde. Mesurer les dépenses réelles de communication des entreprises est une démarche complexe. Et si les sources actuelles n'en rendaient compte que partiellement ? Parmi les outils disponibles, France Pub offre la vue la plus large, mais n'intègre pas de nombreux vecteurs tels que les sites internet des entreprises, le développement d'applications ou l'animation des réseaux sociaux, pour ne citer qu'eux. Lors de la présentation de son bilan 2015, France Pub a ainsi très – ou trop – prudemment estimé à 2 milliards d'euros l'éventuelle sous-évaluation du marché de la communication. Il apparaît aujourd'hui important de préciser cette évaluation pour disposer d'une vision plus complète de la communication des annonceurs. C'est dans ce but que le nouveau CRTM – regroupant l’UDA et l’Udecam – va entreprendre une étude dont la première étape consiste à échanger avec les directions financières de nos entreprises membres.

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