Communication
La nouvelle mouture du projet de loi Travail était sur la table du Conseil des ministres jeudi 24 mars, journée de mobilisation pour les syndicats avant le grand rendez-vous du 31. Une version du texte qui ne sera pas sans incidence pour le secteur de la communication et des médias. Revue des mesures les plus marquantes et réactions.

Temps de travail 

1 - L'avant-projet de loi Travail allongeait la période sur laquelle la durée maximale de temps de travail hebdomadaire est calculée (44 heures maximum par semaine sur 16 semaines et non plus 12). Il assouplissait également le passage de cette durée maximale de 44 à 46 heures par un accord d'entreprise ou de branche. Dans la nouvelle version, ces dérogations ne sont permises que pour une période de 12 semaines. 

2 - Dans la première version, un accord d'entreprise pouvait permettre d'annualiser le temps de travail jusqu'à trois ans, au lieu d'une année actuellement. Cela ne sera finalement possible que si la branche le permet. 

3 - Pour les heures supplémentaires, l'accord d'entreprise primera désormais sur l'accord de branche. Le décompte des heures supplémentaires, et donc leur paiement, pourra intervenir jusqu'à trois ans, et non chaque semaine ou un an maximum.

4 - Un accord collectif restera finalement nécessaire pour fixer le forfait jour au sein des entreprises de moins de 50 salariés. Dans les PME dépourvues de représentation syndicale, il pourra être négocié avec un salarié mandaté par un syndicat.

«La flexibilité du travail, dans une certaine mesure évidemment, est davantage créatrice que destructrice d’emplois», estime Jean-Paul Lubot, directeur général délégué de Groupe Marie Claire. Mais nous ne nous sentons pas ultra-concernés par ce projet de loi.» Bien plus concerné semble-t-il, Frédéric Bedin, président d'Hopscotch Global PR Group, pense que «le manque de fluidité du marché du travail pénalise les entreprises françaises dans l'accompagnement de l'évolution de la compétence de leurs salariés, surtout dans nos métiers en pleine mutation. Dans d'autres pays, cette mutation de la formation se fait bien plus vite.»

La primauté de l'accord d'entreprise sur celui de branche institué par le projet de loi sur la négociation des heures supplémentaires reste un sujet sensible. «Cette fin de la hiérarchie des normes est la porte ouverte aux inégalités entre entreprises», pointe Romain Altmann, secrétaire général du syndicat Infocom CGT. Le calcul des heures supplémentaires lissé sur trois ans et non plus sur un an «peut, de fait, permettre une baisse des coûts pour l'entreprise», ajoute Patricia Blanche-Rotermund, avocate au cabinet Fidal. Mais pour Arnaud Teissier, du cabinet d'avocats Capstan, «ce volet du texte permet surtout de s'adapter au mieux au rythme de l'entreprise» et... «aux spécificités des métiers de la communication, où le temps de travail est difficile à quantifier compte tenu du processus même de la création», rappelle Marion Gaudé, responsable des ressources humaines à l'agence Wellcom. 

Cependant, le point suscitant le plus de commentaires est celui du forfait jour. «Dans les agences, le forfait jour est essentiel. Avec les nouvelles technologies mobiles, on travaille désormais chez soi comme au bureau. L'idéal serait donc plutôt de réfléchir à une nouvelle répartition équitable du travail», avance Frédéric Bedin. Cyril Zimmermann, le patron du groupe digital Hi-Media,  signataire de la tribune collective de soutien à la loi El Khomri publiée le 4 mars dans Le Monde, confirme: «Le forfait jour est une nécessité, non pas idéologique mais pragmatique, car c'est ainsi que fonctionnent la plupart des sociétés du numérique. Le recours a un représentant syndical risque en revanche de changer les choses, en revenant en arrière.»

La question du forfait jour est d'autant plus sensible que des renégociations sur cette question sont en cours par rapport à des jurisprudences plaçant les entreprises dans une certaine insécurité juridique. Or, les PME restent souvent livrées à elles-mêmes. Quant au recours à un salarié mandaté par un syndicat, «les syndicats traînent parfois des pieds», constate l'avocate Patricia Blanche-Rotermund. «Toutefois, l'exemple des 35 heures a montré que ce système de salarié mandaté peut très bien fonctionner», tempère son confrère Arnaud Teissier, qui rappelle que «le forfait jour est aussi considéré comme positif par les salariés avec les jours de repos et la reconnaissance de leur autonomie». Pour Vincent Leclabart, président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC) et patron d'Australie, «c'est une occasion ratée pour les petites entreprises, nombreuses dans notre métier, et souvent soumises à des “charrettes”». 

Le débat est tout aussi vif sur le projet de taxation des CDD, qui n'est toutefois pas intégré dans le projet de loi Travail, car relevant des seuls partenaires sociaux. Pour Romain Altmann, d'Infocom CGT, «c'est une mesure qui permet de limiter les abus, surtout dans un secteur de la communication où 30 à 40% de l'activité de certaines agences sont assurés par des stagiaires ou des CDD». Ce à quoi Vincent Leclabart rétorque: «Dans une économie en mutation, le développement des contrats par mission et en mode projet rend le CDD très utile. Cela ne veut pas dire qu'un patron ne veut pas de CDI, car il est indispensable de constituer une culture d'entreprise.»

 



Référendum d'entreprise

Le texte prévoit le relèvement du seuil de représentativité (syndicats représentant 50% des salariés) pour qu'un accord portant «sur la durée du travail, les repos et les congés» soit validé, mais également la possibilité de recourir à un référendum interne si l'accord est soutenu par des syndicats représentant entre 30 et 50% des employés. Dispositif prévu «au plus tard le 1er septembre 2019». 

Si pour Romain Altmann, d'Infocom CGT, qui n'est «pas opposé au principe du référendum, il existe un risque de le voir suppléer la négociation sociale», pour Arnaud Teissier, de Capstan, «cela interroge en effet la place des syndicats dans l'entreprise, mais c'est avant tout un bon outil pour débloquer la situation quand il y a un hiatus entre les positions syndicales et les attentes des salariés.» La proposition est d'ailleurs née des débats déclenchés par la loi sur l'ouverture des magasins le dimanche et notamment suite au conflit à la Fnac. Un satisfecit également adressé par Vincent Leclabart pour qui «chaque entreprise est responsable et peut discuter de façon constructive avec ses salariés, d'autant que dans nos métiers, la richesse des entreprises, c'est avant tout leur personnel». 

 

 

Droit à la déconnexion

Le projet de loi évoque pour la première fois le «droit à la déconnexion» qui permettrait à un salarié de se couper véritablement des e-mails et des téléphones professionnels, sans que son employeur ne puisse le lui reprocher.

«Nous encourageons déjà nos salariés à ne pas être connectés en permanence, déclare Jean-Paul Lubot, de Groupe Marie Claire, même si cette question se pose sans doute moins pour un groupe de magazines mensuels comme le nôtre que dans un quotidien. Mais je ne suis pas sûr que la question de la déconnexion ait besoin de passer par la loi.» Selon Frédéric Bedin, d'Hopscotch, «il y a simplement une politesse numérique à respecter et à instaurer. Ce sont de nouvelles règles de vie à adopter, le numérique permet d'assouplir la gestion de son temps passé au bureau en partant plus tôt pour retravailler plus tard chez soi.»

L'inscrire dans la loi est «une bonne chose», estime en revanche Romain Altmann (Infocom CGT), «car c'est souvent du temps de travail non rémunéré.» Ce nouveau droit sera soumis à «négociation d'entreprise dans le cadre notamment de la qualité de vie au travail», précise Patricia Blanche-Rotermund (Fidal). Un bémol toutefois, Thierry Wellhoff, président du Syntec RP et de l'agence Wellcom, avance que «dans la communication, où nous avons à gérer des dossiers de crise ou à accompagner des dirigeants, il est impossible de se  déconnecter». Même constat de Vincent Leclabart (AACC), pour qui cette mesure est «cosmétique. Dans nos métiers, il faut être joignable, cela fait partie du job.»

 



Indemnités prud'homales

Initialement, le texte introduisait un plafond pour les indemnités que les prud'hommes peuvent accorder en cas de licenciement abusif (distinctes des indemnités de licenciement légales) et supprimait le minimum de six mois de salaire. D'obligatoire, ce barème devient indicatif. 

«C'est un abandon total de l'ambition initiale. Or, certaines indemnités sont parfois difficiles à assumer financièrement par l'entreprise», remarque Arnaud Teissier, de Capstan, à l'unisson de Cyril Zimermann, d'Hi-Media: «C'est une belle occasion manquée. Un peu de pragmatisme et une meilleure visibilité financière tant pour le salarié que pour l'employeur auraient peut-être permis de dédramatiser un peu les négociations de rupture d'un contrat de travail et de porter l'attention sur les autres éléments non financiers du licenciement, qui reste un événement humain difficile.» Vincent Leclabart est, lui, plus iconoclaste sur le sujet: «Je ne vois pas pourquoi on plafonnerait les indemnités. Pour moi, tout ce qui fige de façon définitive n'est pas une bonne chose.» Il rejoindrait presque Vincent Lanier, secrétaire général du Syndicat national des journalistes: «Même si le projet ne remet pas en cause les indemnités de la commission arbitrale des journalistes, le référentiel des dommages-intérêts en cas de licenciement abusif va tirer les montants vers le bas. De plus, si on ne peut plus se baser sur un accord de branche ou la convention collective, on désavantage les salariés car on est dans un rapport de force déséquilibré.»

 



Licenciement économique

Le projet de loi précise la définition du licenciement économique selon des critères précis à l'échelle nationale de l'entreprise et non pas du groupe. Mais le juge pourra vérifier que les multinationales ne provoquent pas artificiellement des difficultés économiques sur leur site français pour justifier un licenciement.

«Cette mesure est une très bonne chose car, aujourd'hui, les grands groupes internationaux de communication limitent clairement les recrutements de leurs filiales françaises et nos propres clients font de même», constate Frédéric Bedin (Hopscotch), qui évoque le cas d'Alcatel ayant implanté sa direction marketing au Texas qui, du coup, a travaillé avec des agences américaines. La vérification par le juge du bien-fondé des causes d'un licenciement, présenté par Manuel Valls comme une sécurité pour les salariés, représente surtout «un coût supplémentaire pour leurs représentants, car cela passe par de nouvelles procédures juridiques», selon Romain Altmann (Infocom CGT). 

Sans surprise, le texte de loi en l'état suscite, de part et d'autre, plus d'insatisfaction que de soutien, à l'image de cette remarque de Cyril Zimmermann (Hi-Media): «Je trouve dommage que certaines mesures aient été abandonnées devant des manifestations d'opposition qui n'étaient pas massives. Par ailleurs, quiconque connaît les règles d'un bon marketing viral ne peut être totalement impressionné par une pétition qui recueille 1,27 million de soutiens: il ne s'agit que de cinq champs souvent préremplis par le navigateur et d'un clic, le motif de la signature étant optionnel.» Désormais, place au législateur… et à la rue. 

 

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