Le Lab
Avec le développement du programmatique, la fraude publicitaire s’est automatisée et le secteur a perdu en transparence. Maria Mercanti-Guérin, maître de conférence au Cnam, compte bien mettre au goût du jour ce sujet encore peu étudié en France.

Quand j’étais chez l’annonceur, nous recevions chaque matin la presse quotidienne pour vérifier que la publicité que nous avions achetée était bien parue, à l’endroit et à la taille demandés. C’était simple de vérifier. Aujourd’hui, les choses sont plus compliquées. Si le digital donne accès à bon nombre de nouveaux services, pour l’individu comme pour le marché publicitaire, il pose aussi beaucoup de questions lorsque l’on est annonceur: est-ce que ma publicité a bien été délivrée? Est-ce qu’elle a bien été visible?

Des robots qui se font passer pour des internautes

Tout le système s’est automatisé et est devenu extrêmement complexe. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus le système s’automatise et moins il est transparent. Car il faut des mesures pertinentes.Résultat, la fraude est aujourd’hui l’un des principaux enjeux auxquels le marché publicitaire est confronté. Selon une étude de 2014, réalisée par Incapsula, société américaine spécialisée dans la sécurité, 61,5% des visiteurs sur internet sont des robots, et non des internautes. Parmi eux, il y a les robots “gentils”, qui permettent d’indexer les sites ou de réaliser des mesures. Mais il y aussi les “mauvais”, qui se font passer pour des internautes. Ils représenteraient 31% des robots. Mais nous disposons de très peu de données objectives sur le sujet.D’autant que comprendre toutes les fraudes mises en place est difficile. Beaucoup d’entreprises ont peur de se pencher sur la question. Une récente étude réalisée par un collectif de chercheurs américains, dont ceux du Nec Labs de Princeton, portant sur la publicité vidéo en programmatique, révèle que si You Tube est l’une des plateformes les plus avancées en détection de trafic issu de robots (ou NHT, non-human traffic), une partie des “fausses vues” serait tout de même facturée aux annonceurs !

Des formes toujours plus élaborées

En 2015, la marque d’agro-alimentaire Kellogg’s a décidé de couper ses investissements sur la plateforme vidéo de Google tant qu’aucune solution ne lui permettra de vérifier la visibilité de ses publicités. Le groupe TAG (Trust-worthy Accountability Group), qui regroupe plusieurs entreprises liées au secteur de la publicité aux États-Unis (Publicis, WPP, App Nexus, AOL, Google…), s’est formé pour s’y attaquer. Il propose, par exemple, d’identifier chaque impression par un numéro, de faire une sorte de tracking des impressions.Mais la fraude publicitaire prend aussi d’autres formes, comme l’“ad-injector”, qui insère des publicités sur des sites qui n’ont rien demandé et empêchent les autres d’apparaître, mais aussi le blanchiment de domaine, à savoir un site de mauvaise qualité qui se fait passer pour un site premium pour soustraire des ventes publicitaires.Je me lance dans ce programme de recherche pour avoir une vue plus objective et approfondie, à partir de données statistiques, d’open data et de développeurs. Nous passons progressivement des partenariats avec les entreprises pour avancer sur ce sujet.»

Le prof

Maria Mercanti-Guérin, après avoir travaillé dix années pour des annonceurs automobiles, s’est lancée dans la recherche et le monde universitaire. Elle est passée par les universités de Saint-Quentin-en-Yvelines et d’Évry-Val d’Essone. En 2010, elle rejoint le Conservatoire national des arts et métiers, où elle est maître de conférence. Elle travaille notamment sur le marketing digital.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.