Communication
La célèbre marque, qui vient de perdre son président, Patrick Ricard, décédé le 17 août, célèbre ses quatre-vingts ans. Premium, populaire, simple, sophistiquée, actuelle, historique... elle doit son succès à un savant cocktail marketing jouant sur tous les tableaux.

«80 ans et toujours jaune.» C'est avec cette accroche diffusée en presse, radio et affichage que Ricard fête cet été l'anniversaire de sa célèbre marque de pastis. Les annonces, signées BETC, reprennent avec humour les dates clés d'une boisson authentique, fidèle à sa recette, inchangée depuis sa naissance en 1932.
La marque est aussi à l'honneur jusqu'au 26 août au musée des Arts décoratifs, à Paris. L'exposition retrace son histoire à travers ses affiches, logos, bouteilles, carafes... Elle met en lumière l'étonnante expertise en communication de son fondateur, Paul Ricard, fils d'un négociant en vins, créateur à vingt-trois ans du «vrai pastis de Marseille», à l'origine du groupe Pernod Ricard, aujourd'hui coleader mondial des vins et spiritueux avec Diageo.
«C'était le Monsieur Jourdain du marketing. Il n'aimait pas ce terme, mais il en a développé toutes les techniques en multipliant les champs d'expression de la marque», explique Michael Merolli, directeur marketing de la société Ricard. Bien avant Facebook, Paul Ricard lançait ainsi à ses commerciaux: «Faites-vous un ami par jour.» Une phrase restée culte dans l'entreprise. «Il était conscient de l'importance du bouche-à-oreille, mais aussi de la nécessité de s'intéresser aux consommateurs pour en faire les ambassadeurs de la marque», commente Michael Merolli.
Peintre passé par les Beaux-Arts, Paul Ricard a par ailleurs la fibre artistique. Il dessine les logos et affiches à la naissance de la boisson. Ambitieux, il part en 1939 à la conquête de Paris en lançant la première grande campagne nationale de Ricard. Elle met en avant son identité méditerranéenne et ses deux couleurs phares qui ne la quitteront plus: le bleu et le jaune.
Une législation contraignante va le pousser à innover. Interdit lors de la Deuxième Guerre mondiale par le régime de Vichy, car accusé de détourner les soldats de leurs ardeurs offensives, l'apéritif anisé est de nouveau autorisé en 1951. Mais pas sa publicité par voie de presse. Paul Ricard développe alors une série d'affiches et d'objets à destination des cafetiers: verres, cendriers ou carafes, qui sont fabriqués dans un atelier de céramique maison.
Paul Ricard mise également sur le sponsoring et le mécénat. Première marque associée au Tour de France, en 1948, elle convie des artistes pour des concerts durant la Grande Boucle. Autant d'actions raillées par les agences de publicité d'alors, mais qui gonflent le capital sympathie d'une marque à l'image chaleureuse, conviviale et populaire.
Paul Ricard crée également en 1966 l'Observatoire de la mer, qui donnera naissance à l'Institut océanographique Paul Ricard. Objectif: lutter contre la pollution des mers et du littoral. Du développement durable avant l'heure... L'entrepreneur est aussi un mécène. Ami des artistes, il les reçoit pour de grandes fêtes sur l'île varoise de Bendor, où il installe en 1967 la Fondation culturelle Paul Ricard. Aujourd'hui la société, partenaire de la Fiac (Foire internationale d'art contemporain), continue à soutenir l'art contemporain via la Fondation d'entreprise Ricard, installée à Paris. Elle soutient également les jeunes talents de la musique, organise des concours sur Internet, finance des concerts gratuits. Mais la marque commerciale n'est pas associée. «C'est un acte de générosité, de mécénat, mené au titre de Ricard SA. Nous veillons à ne pas mélanger les genres», commente Michael Merolli.

Une marque universelle

Les actions de l'entreprise servent quoiqu'il en soit l'image de la boisson. L'art contemporain lui permet de déployer sa stratégie sur deux grands axes: rajeunissement et revalorisation. «Nous avons accepté l'exposition des Arts décoratifs en leur proposant de confier sa scénographie aux architectes Jakob et Brendan MacFarlane, qui planche par ailleurs sur une carafe Ricard du troisième millénaire, une œuvre d'art pour une sélection de bars et d'hôtels haut de gamme. Le danger des anniversaires, c'est de tomber dans la nostalgie quand nous cherchons en permanence à innover et nous renouveler», confie Michael Merolli.
La modernité de la marque est travaillée à tous les niveaux. En lien direct avec les artistes, via sa fondation, Ricard leur confie la création d'objets publicitaires et la décoration de bouteilles pour des séries limitées utilisées comme outil de relations publics ou de soutien aux ventes. «En 1995, nous avons été les premiers à confier nos étiquettes à des artistes, puis nous avons été copiés. La forme même de notre bouteille, inchangée depuis 1932, s'était banalisée. D'où l'idée de la changer en 2011», explique Michael Merolli. L'agence Coley Porter Bell a été chargée de la parer de lignes plus contemporaines et premium, avec l'objectif de séduire une clientèle urbaine et plus jeune. Mission accomplie. Les consommateurs fidèles se sont sentis valorisés et les nouveaux ont adhéré. Résultat: trois mois après ce lancement, les ventes ont augmenté de 10%.
Ricard, sous-consommé dans la capitale, cherche également à séduire les jeunes adultes à Paris, où se créent les tendances. Elle participe au Fooding, organise des dégustations avec des objets vintage ou encore propose de nouveaux modes de consommation à l'heure de l'apéritif: cocktails originaux, Ricard aromatisés... «C'est toute la puissance de cette marque d'être universelle, à la fois premium et populaire, et de savoir s'adapter à ses différents publics», ajoute Michael Merolli.

Publicité comparative avant l'heure

La publicité n'est pas oubliée. Le grand slogan de la marque reste encore gravé dans les mémoires: «Un Ricard, sinon rien.» Conçu en 1984 par Young & Rubicam, la campagne teinte la marque d'une couleur plus chic, plus féminine, avec un doigt d'impertinence. «C'était déjà de la publicité comparative avec ces personnages jetant les alcools et cocktails concurrents», commente Michael Merolli. Elle prendra fin avec la loi Evin de 1991. Suivra le slogan «Un Ricard, un vrai» qui lui fait écho en cherchant à contrer l'offensive des marques de distributeurs. Ou encore «Un apéritif, un vrai», une campagne diffusée jusqu'en 2010 pour s'imposer sur un moment clé et très bataillé de la consommation d'alcool.
En 2011, la marque fait sa révolution. Elle change de bouteille et quitte Young & Rubicam, partenaire depuis vingt-sept ans, pour une nouvelle agence BETC. Centrée sur le produit comme le veut la loi Evin, la nouvelle campagne est signée «Un Ricard. Des rencontres». En écho à ses liens avec les artistes, elle expose, tel un tableau, l'instant magique où l'eau se mélange à l'anis, à la menthe ou à la grenadine. Elle ne vivra qu'une saison.
L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) attaque en justice son application mobile et son slogan, qui suggère que la consommation de Ricard favorise les rapprochements conviviaux entre consommateurs. Procès gagné. Un coup dur pour Ricard, entreprise leader qui se veut exemplaire, éthique et responsable. Mais le risque zéro n'existe pas en matière de loi Evin et d'interprétation juridique. Ricard a décidé de se pourvoir en cassation. En attendant, elle célèbre son anniversaire et imagine avec BETC une nouvelle copie. Rendez-vous en 2013.

Delphine Masson

Article paru dans Stratégies n°1687 du 12 juillet 2012 

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