Claude Posternak, président du cabinet-conseil La Matrice, et Laurence Parisot, vice-présidente de l'Ifop, analysent le bilan annuel 2013 des baromètres trimestriels Posternak-Ifop sur l'image des grandes entreprises françaises. Avec des tris spécifiques pour les jeunes, les sympathisants politiques et les détenteurs d'actions.

Classement des entreprises préférées des Français en 2013

 

Claude Posternak. Cette année, le leader incontesté est Yves Rocher, en tête des classements chaque trimestre. Ce succès s'explique par le fait que le groupe répond aux principales attentes du public: une offre adaptée à leur pouvoir d'achat, une entreprise familiale, implantée localement en Bretagne, créatrice d'emplois et attachée aux valeurs de naturalité. Airbus est en deuxième position, grâce à sa forte contribution en termes d'emplois mais aussi parce que le groupe symbolise la réindustrialisation de la France et sa réussite économique. Enfin, E.Leclerc fait partie du trio de tête du fait de sa longue bataille en faveur du pouvoir d'achat des Français, un positionnement qui est devenu référent dans le secteur de la distribution.

 

Laurence Parisot. Ce bilan exprime des messages forts sur les valeurs des Français aujourd'hui, à savoir le partage, la nature et la bonne économie. Yves Rocher a su faire passer des messages de simplicité et d'harmonie avec la nature. On remarque en fait que les dix premiers du classement sont des entreprises "aidantes" manifestant un réel intérêt vis-à-vis de leurs clients. A l'inverse, les dix derniers du classement sont perçus comme des crocodiles davantage tournés vers eux-mêmes. Il est intéressant de noter la différence entre Total, en bas du classement et Airbus qui pourrait être vu comme polluant, par exemple, mais qui laisse plutôt une image d'entreprise symbole du succès commercial de la France.

 

C.P. Avec la distribution, c'est le secteur bancaire qui a le plus progressé cette année dans le baromètre. Le Crédit mutuel gagne deux places, en se situant désormais au 6e rang, et la Caisse d'épargne entre dans le top 10, à la 9e place. Mais le plus important, sans doute, de ce bilan annuel est le fait que pour la première fois en quatorze ans, il n'y a plus de corrélation entre le moral des Français et l'image des grandes entreprises. En pleine déprime, les entreprises dont l'indice a grimpé de 43% cette année, sont, selon les Français, les acteurs de la société les plus à même de sortir le pays de la crise.

 

L.P. Ce baromètre casse en effet les idées reçues sur les entreprises. Il n'y a pas de divorce entre ces dernières et les Français, au contraire. Cette année, les entreprises enregistrent un indice de 69, le score le plus élevé depuis le début du baromètre en 2001. S'il y a divorce, c'est plutôt entre les Français et la classe politique, qui cède trop souvent à la stratégie du bouc émissaire, notamment à l'encontre des entreprises.

 

C.P. De fait, jamais l'image des hommes politiques n'a été aussi basse. Selon le dernier Observatoire de la confiance de La Poste [réalisé par TNS Sofres] en juin dernier, seuls 10% des Français leur faisaient confiance. Les petites entreprises arrivaient en tête, avec un taux de 81% (36% pour les grandes entreprises).

 

L.P. Le baromètre Posternak-Ifop souligne surtout l'importance de la question du pouvoir d'achat. Le fait que l'on retrouve des entreprises comme EDF, la SNCF et les opérateurs télécoms au milieu ou au bas du classement montre l'incompréhension des Français face aux coûts jugés excessifs des dépenses nouvelles, comme la téléphonie, et des dépenses contraintes, comme l'électricité ou le transport, et ce, alors qu'ils ont une vision plutôt critique des services rendus par ces mêmes entreprises.

 

C.P. Le recul des entreprises publiques, à l'exception de La Poste, est d'autant plus frappant qu'il y a quelques années, elles étaient les entreprises de référence. Ce changement s'est produit au moment du passage à l'euro qui a fait émerger de façon forte la question du pouvoir d'achat. Sans compter que l'ouverture à la concurrence des secteurs publics n'a pas rempli ses promesses en termes de baisse des prix, bien au contraire. 

 

Classement des entreprises ayant les plus forts taux de "très bonne image" en 2013

 

C.P. Ce tri spécifique porte sur ce que l'on appelle les aficionados, ceux qui vont faire du prosélytisme pour une entreprise et font office d'amortisseur en cas de crise. Il s'agit d'une population précieuse pour les entreprises qui peuvent s'appuyer sur elle lors des moments difficiles. Dans le cas du secteur des télécoms, seuls Free et Orange enregistrent de bons taux de "très bonne image": 15% pour le premier, surtout auprès des jeunes, et 14,5% pour le second, auprès des plus de 35 ans. A noter que SFR, qui n'enregistre que 9% de "très bonne image", se classe en dernière position des entreprises de son secteur, soit au 22e rang du classement général. 

 

Classement des entreprises préférées des 18-24 ans en 2013

 

C.P. Il est intéressant de noter que Danone se hisse à la 2e place des entreprises préférées des jeunes, en raison des valeurs de dynamisme et de générosité qui lui sont associées. Il faut, par ailleurs, souligner que les 18-24 ans constituent la catégorie la plus positive par rapport aux entreprises.

 

L.P. Ce classement est assez proche de celui des entreprises où les jeunes rêveraient de travailler, on y retrouve Airbus, Michelin et L'Oréal.

 

Classement des entreprises préférées des sympathisants de droite en 2013

 

C.P. Danone, Michelin et Carrefour qui font partie des dix entreprises préférées des sympathisants de droite sont en revanche absentes du classement retenu par les sympathisants de gauche. Or ces trois sociétés ont connu des conflits sociaux forts ces dernières années: l'affaire LU chez Danone, l'annonce concomittante de bons résultats et d'un plan de restructuration chez Michelin et les conflits autour des caissières chez Carrefour. Cela montre que la gauche a plus la mémoire des conflits sociaux que la droite.

 

Classement des entreprises préférées des sympathisants de gauche en 2013

 

C.P. Le classement des sympathisants de gauche est assez proche de celui de l'ensemble de la population, exception faite de La Poste qui se hisse dans le top 10. Mais fait notable, il s'agit en l'occurrence de la seule entreprise publique. Il y a dix ans, la majorité des entreprises préférées de l'électorat de gauche était liée à l'Etat. Les mentalités changent.

 

Classement des entreprises préférées des sympathisants Verts en 2013

 

C.P. Ce tri spécifique pour les sympathisants Verts est intéressant car il s'agit de la partie de la population française qui est la plus critique à l'égard des entreprises. Yves Rocher, symbole de naturalité, Crédit mutuel, entreprise mutualiste, et E.Leclerc, porte-drapeau du pouvoir d'achat, mais aussi du respect de l'environnement, le deuxième axe de sa communication, arrivent ainsi en tête.

 

L.P. Etonnamment, Danone ne fait pas partie des dix entreprises préférées des Verts. Pourtant, cette entreprise est sans doute l'une des plus avancées en matière de responsabilité sociale et environnementale. On peut aussi s'interroger sur le cas des énergéticiens comme Total qui a tout de même racheté il y a trois ans la plus grande société de panneaux solaires au monde, Sun Power. Mais le message sur ce type d'engagement fort n'est, semble-t-il, pas assez porté par l'entreprise.

 

Classement des entreprises préférées des détenteurs d'actions en 2013

 

C.P. Il est intéressant de noter que les détenteurs d'actions ont retenu beaucoup d'entreprises non cotées, cinq sur dix: Yves Rocher, Intermarché, E.Leclerc, Crédit mutuel et Auchan.

 

L.P. Dans les représentations que les Français ont du capitalisme, le capitalisme familial garde une place particulière, ils y sont très attachés. Les Français manifestent également une certaine curiosité concernant des modèles d'entreprises différents, comme le mutualisme ou le système coopératif. En fait, cela montre que le public n'exclut aucun modèle et reste attaché à la pluralité: la cotation pour les champions mondiaux, le mutualisme et le système coopératif pour leurs valeurs et le modèle familial pour sa dimension patrimoniale. 

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