Entretien
Henri Verdier a été nommé par arrêté le 18 septembre «administrateur général des données», chargé de convertir l’appareil administratif à l’ouverture des données publiques (open data). A l’exemple de villes comme New York, Chicago et Baltimore où des entreprises telles Yahoo et Citigroup ont déjà leur «Monsieur open data». Entretien.

Vous avez été nommé administrateur général des données. Quelles sont vos missions?
Henri Verdier.
L'open data, qui consiste à ouvrir les données, est une dimension clé de la modernisation de l'Etat. Ces données publiques participent à l'idée de transparence, selon laquelle l'Etat doit rendre des comptes. Cette dimension remonte d'ailleurs à la Déclaration des droits de l'homme de 1789, et à la loi CADA de 1978 qui affirmait déjà le droit des citoyens à réclamer des documents et des informations. L'administrateur général des données (ou «chief data officer», CDO) aura pour mission de dresser l'inventaire des données produites par l'Etat, s'assurer qu'elles sont bonnes, favoriser leur circulation et surtout développer les méthodes d'analyse de données au service des politiques publiques. L'Etat doit savoir utiliser ses données pour s'améliorer, pour faire des économies, pour être mieux piloté.


Peut-on considérer l'open data comme un bien commun ou un point de départ pour bâtir de nouveaux services?
H. V.
Les deux, justement... L'open data, cela consiste à rendre les données accessibles à tous. Certaines de ces données sont des garants démocratiques (droit et jurisprudence, comptes publics, résultats des politiques publiques), d'autres sont des biens communs (cartographie du territoire par exemple). Plus on ouvre ces données, plus on aide les acteurs innovants qui s'en emparent.

 

L'Etat est une organisation comme une autre, avec une nécessité de retours sur investissements. L'idée pour nous est de démontrer que toute entreprise pourrait faire ce que fait l'Etat avec des données ouvertes. Il y a beaucoup de CDO dans les grandes entreprises américaines, ou les collectivités territoriales. Ce que le public fera avec ces données, cela a de la valeur, y compris démocratique. Les gens veulent connaître le budget de l'Etat, mais aussi la réserve parlementaire ou encore le montant des aides allouées à la presse. Il y a un souci de transparence. Mais aussi d'interaction: on peut imaginer d'associer des gens à la décision. L'idée clé est de créer des services (applications mobiles, datavisualisations...) qui rendent des amas complexes de datas facilement lisibles.

 

On a vu des citoyens convertir des fichiers peu maniables en formats beaucoup plus faciles d'utilisation. Par exemple, Florent Latrive, journaliste à Libération, avait conçu en octobre 2012 une datavisualisation du projet de loi de finances 2013, qu'un magistrat avait par ailleurs retravaillé à titre personnel. Du côté des entreprises, les données ouvertes sont un véritable outil d'aide à la décision. Elles pourront par exemple aider les grandes enseignes à mieux placer leurs points de vente sur le territoire en voyant les zones de chalandise. Autre exemple, cet été, la mise à disposition de la carte de France des accidents de la route horodatés et géolocalisés a servi à des compagnies d'assurances.

 

L'enjeu pour les entreprises et les marques, en contrepartie de l'accès à ces open data, est bien de concevoir et proposer de nouveaux types de services?
H. V.
C'est clairement une dimension importante de cette politique. Il faut réaliser combien, après la révolution numérique, les données permettent le développement de l'activité. Les services géolocalisés dans vos smartphones reposent sur l'accessibilité des données du réseau GPS. Demain, des secteurs comme l'énergie, le transport, le tourisme ou même la santé seront structurés par les données. En organisant la production et la diffusion de certaines de ces données, l'Etat jouera un rôle économique important, comme il le faisait autrefois avec les routes, l'eau potable ou l'accès à l'éducation.

 

Cela ne sera pas toujours facile de décadenasser les administrations...
H. V.
Depuis son ouverture fin 2011, le portail Data.gouv.fr permet à tout internaute de rechercher et utiliser des données publiques. Chacun peut prendre ou y déposer des fichiers: des données produites par la «société civile» côtoient celles des administrations. Data.gouv.fr a rendu des données accessibles lorsque c'était facile et bienveillant, mais c'est autre chose pour des données compliquées à obtenir... Il nous est arrivé que des administrations nous remettent des données en format PDF: des associations se sont chargées de les reconvertir en fichier tableur CSV, les rendant utilisables par tous. On veut construire de plus en plus ce genre de coopérations.

 

Comment allez-vous procéder, et de quels moyens disposez-vous?
H. V.
Le CDO est placé au sein du SGMAP [Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique]. Le décret nous permet de travailler en interministériel pour demander des jeux de données aux administrations. Nous allons travailler de manière collaborative avec toutes les administrations, pour définir une stratégie globale. En parallèle, nous allons multiplier d'ici la fin de l'année des rencontres entre des administrations qui disposent de données utiles pour des sujets clés (emploi, fraude...), et des start-up et chercheurs d'organismes comme Normale Sup, Telecom Paris Tech, Dauphine, etc. Par ailleurs, nous allons recruter une petite équipe de data scientists sur des réalisations concrètes à partir de ces données. L'idée sera aussi d'instaurer de nouvelles pratiques. Nous voulons diffuser au sein de l'Etat une culture de la donnée.

Pour l'open data, quelles sont les données les plus demandées?
H.V.
On pourrait distinguer trois familles de réclamations: des demandes liées à la transparence démocratique (dépense publique, réserve parlementaire, accès au droit), des demandes d'informations de proximité (plans de cadastres, horaires d'ouverture des services publics...) et les données-pivots, telles que la liste complète des codes postaux, qui sont nécessaires à de très nombreux acteurs économiques.

 

Voyez-vous des collectivités territoriales ou des entreprises qui ont déjà une politique open data poussée?
H. V.
Il y a les exemples de certaines communes (Lyon, Rennes, Bordeaux...) : plus de 50 ont lancé des portails open data, presque toujours référencés sur data.gouv.fr. Il y a quelques mois, la ville de Paris a innové en annonçant l'insertion d'une clause d'open data dans l'ensemble de ses marchés publics. Et plusieurs entreprises ont lancé des initiatives poussées, comme La Poste, la RATP, la SNCF avec la start-up Snips, qui a conçu l'application mobile Tranquilien [qui tente de prédire quels seront les trains saturés, NDLR].


On parle d'open data pour les administrations, mais une semi-ouverture des données en entreprise serait-elle envisageable en France? Comme les initiatives VRM (Vendor relationship management qui permet au consommateur de reprendre la main sur son identité numérique) par exemple?
H. V.
Il y a un consensus des gouvernements quant à partager le plus de données librement réutilisables. Les entreprises ont aussi tout à gagner à bâtir une relation de confiance avec leur client, à créer un écosystème innovant. Le VRM, c'est un peu différent. Aux Etats-Unis, on a commencé à penser à un au-delà de l'open data. Il y a d'abord eu l'idée que les citoyens pouvaient rapatrier les données détenues par l'Etat les concernant (on appelle cela le «smart disclosure», un peu comme si chacun d'entre nous pouvait télécharger son dossier médical personnel). Puis des auteurs comme Doc Searls ont proposé de renforcer encore l'autonomie des particuliers en s'organisant pour que ce soient eux qui gèrent, en permanence, les données qu'ils acceptent de transmettre aux différents services auxquels ils sont abonnés. On remplacerait alors le «Customer relationship management», où les clés sont détenues par l'entreprise, par le «Vendor relationship management», où les clés reviendraient au citoyen. Il est possible que le CDO s'empare de ces questions...

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