Institutionnel
L'Institut national de l'origine et de la qualité fêtera ses 80 ans l'an prochain. Des affaires récentes ont démontré son utilité et l'intérêt de défendre les produits du terroir.

Le 15 octobre dernier à Oulan-Bator, deux hommes trinquaient, un verre de champagne à la main. Chinbat Namjil, directeur général de l'Office de la propriété intellectuelle de Mongolie, et Yves Delaunay, ambassadeur de France, se félicitaient de la reconnaissance du nom de notre effervescent français sur leur territoire. Un acte qui permettra aux administrations locales de chasser les faux champagnes.

 

Ce n'est pas que ce lointain pays grand comme trois fois la France soit un marché majeur pour les Champenois. Certes, il est en forte croissance, passé de... 13 bouteilles en 2000 à 11 600 bouteilles en 2013. A terme, il s'en vendra sans doute beaucoup plus, les yourtes laissant la place aux vitrines Louis Vuitton et autres marques de luxe adulées par une classe moyenne et supérieure grandissante. Mais les raisons sont plus subtiles.

 

«Nous cherchons à verdir la carte du monde, explique Charles Goemaere, directeur du pôle économique et juridique du Comité champagne (CIVC). L'appellation champagne doit être protégée dans un maximum de pays.» Dans ce cadre, «la Mongolie est une plaque tournante». Et surtout, elle est collée à la Russie qui fait partie, comme le Vietnam, l'Argentine et les Etats-Unis des «points noirs» des défendeurs de l'appellation.

 

Dans ces pays, en effet, les règles ne sont pas les mêmes que chez nous... et champagne, comme chablis par exemple, sont des termes génériques qui désignent une catégorie de produits. Ils sont donc tout à fait «légaux» à leurs yeux.

 

Les Américains encerclés

 

«Quand on a du fil à retordre dans un pays essentiel en termes économiques, on barde les alentours, comme le Canada, le Mexique, les Caraïbes pour les Etats-Unis.» Les «champagnes» américains n'y ont pas droit de séjour. Cela vaut partout. A Chypre récemment, des champagnes russes ont été saisis pour contrefaçon. Le but de ce jeu stratégique: continuer de garantir aux producteurs de la plus célèbre région à bulles des terrains sûrs pour y vendre leurs produits.

 

Inversement, quel intérêt pour les Mongols de permettre aux Champenois de s'enrichir un peu plus? «Ils ont adopté le système des appellations d'origine pour protéger leurs produits, comme l'argousier et la laine de Cachemire», réplique Charles Goemaere.

 

«Cette démarche s'inscrit dans notre travail de coopération internationale qui consiste à expliquer l'intérêt de mettre en place un système comme le nôtre», explique Jean-Luc Dairien, directeur de l'Inao (Institut national de l'origine et de la qualité), organisme né en 1935. En Algérie, par exemple, un programme européen a été mené avec l'Italie pour aider le pays à reconnaître les figues de Kabylie et les dattes deglet nour.

 

Outils marketing

 

En termes financiers, la reconnaissance de l'appellation n'est pas toujours quantifiable. Mais elle a un intérêt marketing évident, explique Denis Colcombet, directeur des stratégies et des contenus chez Venise. «L'AOP (Appellation d'origine protégée) est un outil vertueux dont l'idée est de préserver un niveau d'exigence. Les consommateurs y voient l'authenticité, la naturalité, la sincérité, la géographie, la région et le terroir, des éléments qui rassurent dans une époque de déprime.»

 

Il tient aussi à marquer clairement la différence entre AOP et IGP (Indication géographique protégée), fondamentale en tant qu'outil marketing. «L'AOP, c'est la France mythologique, un sanctuaire, un label patiné par le temps. L'IGP, en revanche, existe depuis peu. Il permet de signifier l'origine géographique, comme Pays d'Oc ou Corse, mais de façon moins appuyée dans l'esprit du législateur européen.»

 

«Dans l'AOP, poursuit-il, les consommateurs achètent le A (Bordeaux, Côtes-du-Rhône). Le o, c'est l'imaginaire, le p la garantie de conformité. Dans l'IGP, ils achètent le cépage. En cela, ce label n'est pas un outil marketing mais une condition nécessaire pour que le marketing de cépage puisse exister.»

 

L'histoire récente de Laguiole (1) montre aussi l'intérêt de la protection de l'appellation. Il existe bien un fromage AOC Laguiole depuis 1961. En ce qui concerne la coutellerie, il s'agit de produits manufacturés. «Personne n'avait, avant l'industriel Gilbert Szajner, osé voler le nom d'une commune. Ce "hold up" a permis aux parlementaires de légiférer. Désormais, les produits manufacturés seront à leur tour bien encadrés», conclut Jean-Luc Dairien.

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