Le digital s’est invité dans l’univers du marketing et de la communication avec la promesse de lendemains qui chantent pour les marques. A grand renfort d’algorithmes, de jargon et d’un mot magique, big data, les agences conseil, médias, régies et autres Google et Facebook ont réussi à séduire les annonceurs, jusqu’à devenir l’an dernier le premier média en termes d’investissements. Mais, surtout, jusqu’à ce que Marc Pritchard, chief brand officer de Procter & Gamble, agacé par le manque de transparence en matière de mesure et par divers dérapages – comme la surévaluation des audiences par Facebook – sonne la fin de la récré.
Procter & Gamble met les pieds dans le plat
Marc Pritchard a tout d’abord rappelé, à l’occasion de l’Annual Leadership Meeting de l’IAB en janvier dernier, qu’en dépit des 600 milliards de dollars investis annuellement par les annonceurs, « on n’a jamais dépensé autant pour aussi peu d’impact ». Ensuite, P&G a annoncé en mars une coupe historique de 100 millions de dollars dans les investissements publicitaires online, au motif que les prestataires n’apportaient aucune garantie en matière d’efficacité et de brand safety. Enfin, l’entreprise a révélé pendant l’été que ces coupes n’avaient eu aucune incidence sur son business. Et d’en conclure : « Seulement 25 % de l’argent que l’on dépense en publicité numérique sert vraiment à toucher les consommateurs. Il faut arrêter de tout laisser passer au digital : il est temps d’agir pour le faire grandir ! »
Matthieu Le Cann, le directeur général d’AdVideum, régie vidéo multi-écrans des marques médias, est d’accord avec cette conclusion. « On a attribué beaucoup trop de vertus au digital, admet-il. Parallèlement, certains acteurs comme les sociétés d’audit ont joué les pompiers pyromanes pour vendre leurs technologies aux annonceurs. Résultat, on se retrouve avec des annonceurs qui veulent tout : une campagne 100 % sur cible, 100 % vues… » L’écosystème digital a également « trop complexifié, trop créé d’acronymes, reprend Matthieu Le Cann. Les régies espérant garder l’avantage sur certains outils ou formats ont déposé des noms, multipliant d’autant les appellations pour un même sujet. Nous avons fini par créer de la défiance chez les annonceurs qui, dans le doute, restent sur ce qu’ils connaissent. »
GRP ou GRP vidéo
Par confort, ils ont préféré appliquer à la vidéo les recettes éprouvées en télévision reposant sur le GRP, imposant à l’internaute des films de 30 secondes en pre-roll ou mid-roll. Pour être pertinent, l’indicateur a cependant dû s’adapter au contexte de visualisation : « Si le GRP prend en compte la durée d’exposition à un écran publicitaire à l’intérieur duquel chaque spot a la même valeur, le GRP vidéo, que nous développons avec Integral Ad Science (IAS), considère la visibilité – la proportion de la surface de la création visible à l’écran – ainsi que la durée de visionnage rapportée à la durée totale de la création », explique Bertrand Krug, directeur du département internet de Médiamétrie. Lancé il y a deux ans, l’indicateur n’a toutefois pas encore été généralisé, les deux principaux opérateurs, Facebook et YouTube, refusant la mesure, le taggage de leurs vidéos et plus largement l’implication de tiers pour valider leurs propres chiffres. Une situation en voie de règlement du fait des couacs évoqués précédemment et de la pression des annonceurs et du Media Rating Council (MRC), instance indépendante de vérification des mesures d’audiences.
Mais, si tout le monde s’accorde à considérer l’impression publicitaire visible comme un critère central, « le développement de l’écosystème bute sur le manque de cohérence dans la définition d’une “vue” pour la publicité vidéo, qui est source de désaccords entre les annonceurs, les agences et les éditeurs, constate Emmanuel Josserand, directeur marketing de FreeWheel. Le standard actuel considère comme “vue” une vidéo ayant occupé 50 % de l’écran pendant au moins deux secondes… L’impact est forcément limité. Ces standards doivent être plus exigeants, notamment en considérant la dimension d’expérience et le contexte premium de visualisation, où la vidéo occupe la quasi-totalité de l’espace… et avec le son ! » Plus que l’évolution du standard, les acteurs du marché militent pour qu’il prenne en compte de nouveaux critères, notamment d’efficacité. « Il faut intégrer des mesures additionnelles de mémorisation, de trafic en magasin, etc., poursuit Emmanuel Josserand. Il faut aussi que les investisseurs reconsidèrent leurs investissements et n’opposent pas TV et plateformes, qui marchent en symbiose. » Ce que confirme Bertrand Krug : « La combinaison des deux se traduit par un gain de 5 % sur la cible. Le digital permet de toucher plus efficacement les petits consommateurs de télévision et ceux qui ne la regardent pas. »
L’impact de la fraude
Autre sujet de tension, la fraude publicitaire en ligne. Selon une étude de Juniper Research de septembre 2017, elle devrait coûter 19 milliards de dollars aux annonceurs en 2018, soit une perte de 51 millions de dollars par jour, avec un impact variable selon le pays. En mai 2017, 81 % des impressions publicitaires sur le marché japonais auraient été frauduleuses, contre 38 % pour les États-Unis et 17 % pour la France. « C’est un peu comme pour la lutte antivirus, la situation n’est jamais sous contrôle, on la maîtrise par instant et l’on ne connaît que ce que l’on mesure, estime Yann Le Roux, directeur général France d’Integral Ad Science. L’un des principaux leviers est la démonétisation des impressions frauduleuses, mais le combat est dur face à des organisations criminelles, riches, structurées, comparables à la mafia. »
Depuis mai 2017 existe toutefois un outil développé par l’IAB Tech Lab, appelé Authorized Digital Sellers (plus connu sous le nom « ads.txt »). Un fichier destiné aux éditeurs pourrait considérablement limiter la vente d’impressions contrefaites et non autorisées dans les transactions programmatiques. Google s’est récemment engagé à l’utiliser pour l’achat d’inventaires d’éditeurs réalisé via sa plateforme programmatique DoubleClick Bid Manager. Un beau geste de la marque la plus puissante du monde, d’après le Top 100 BrandZ 2017, qui, ajouté à celui de la cinquième du même classement, Facebook – qui autorise désormais Nielsen, comScore et IAS à mesurer les résultat des campagnes de ses annonceurs – permet d’envisager des lendemains… qui fredonnent. Reste en suspens la question de la brand safety, dont on ne sait pas encore précisément mesurer l’impact sur les marques.