Chronique

« Whisky, Cigars, and No Sports ». Alors que sort un film sur Winston Churchill, nous sommes nombreux à suivre depuis des années son hygiène de vie… Que l’on fume ou non le cigare, que l’on soit ou non sensible au Kilchoman écossais, un pur malt d’exception, cette proposition séduit tous ceux peu enclins à tourner en rond autour d’un stade. Fort de la caution du grand homme, la formule s’est élevée au rang de mantra.

Toutes choses égales par ailleurs, adaptant cette philosophie à la pratique de nos métiers et du branding en particulier, il se trouve qu’elle fait souvent sens. Il y a dans ce refus de l’effort pour l’effort de quoi faire écho à ces courants inflationnistes en termes de médias, de signes, de stimuli performatifs ou prétendus l’être.

Moins de « carpet bombing », moins de signaux émis, moins d’emphase, moins de gesticulations, moins de gonflette, moins gros le logo. Naomie Klein, en écrivant son best-seller et en questionnant la société d’hyperconsommation, accompagnait une tendance connexe de nos pratiques.

Le No Design s’impose depuis quelques années comme une nouvelle éthique de responsabilité. Elle encourage les designers à produire des marques débarrassées d’un fatras inutile et décoratif, simplifiées à l’extrême, jusqu’à l’os, aptes à laisser une empreinte visuelle plus soutenable.

Du «No» au «Low»

Le minimalisme du paysage graphique est de ce point de vue éloquent. L’observation des productions récentes confirme cette tendance à la retenue et à l’épure. Les symboles se raréfient, la typographie se radicalise, les signes nouveaux se débarrassent des effets de réel trop littéraux et trop riches. Bien des marques se mettent au repos.

Cette ascèse atteint toutefois ses limites. Lus à la file dans un scroll d’écran, un univers chasse l’autre sans que l’on y prenne garde. Il faut un œil aiguisé pour distinguer les nuances subtiles parmi les milliers de marques qui se créent chaque jour. La question de l’émergence se pose pour chacune d’entre elles. L’équation à résoudre est donc complexe.

Que faire dans de telles conditions ? Quels partis pris prendre pour exister, se différencier sans céder à la logomania de la mode, sans hurler plus fort que les autres ?

Winston Churchill, relu et corrigé, nous donne à nouveau la solution. La citation, pourtant partout reprise, n’est pas correcte. Voici la bonne : « Whisky, Cigars, and Low Sports ». De No à Low, la nuance est de taille. Pour une certaine idée de la condition physique, mais surtout pour une pratique professionnelle qui passe du « pas de design » à « un design doux ».

Le Low Design, ainsi baptisé, est une discipline raisonnée, une cuisine créative qui propose des solutions « basse température », une cuisson lente des ingrédients visuels et sémantiques pour révéler toutes les saveurs du produit.

Il s’agit aujourd’hui, en employant des recettes plastiques économes, de limiter la production de stimuli dans des environnements saturés, de contenir les flux de données qui rythment nos existences, d’accompagner la mutation de nos sociétés vers une économie de l’immatériel.

Réinitialisation mentale

Mais le Low Design ne renonce pas à la séduction. « Less is a bore », déclare Robert Venturi, dans son propos critique d’une architecture trop minimale qui deviendrait ennuyeuse. Moins de couleurs, mais des couleurs plus vivantes, moins de signes, mais des univers en mouvement… C’est donc riches des avancées technologiques, des algorithmes, d’une esthétique où joue la lumière que se déploient des vocabulaires à la fois fonctionnels, élégants et joyeux. Nous évoluons ainsi d’un design rigoriste qui frôle l’ennui, d’une simplicité qui peut parfois être perçue comme de l’indigence, à une approche plus jubilatoire et plus pétillante.

J’ai tendance à me méfier des tendances. Toutes cohabitent et leur contraire. Mais celle-ci propose un nouveau chemin. Le Low Design est le signal fort d’une réinitialisation mentale, d’une hygiène de l’esprit qui remet à plat l’idée que l’on se fait de l’usage des signaux émis par une marque. Le Low Design nous permet à tous de faire une pause et de prendre de la hauteur.

Les designers ont une place à tenir dans l’histoire des marques.

Ils ont cette opportunité de jouer le rôle de guides éclairés aptes à faciliter nos vies réelles et virtuelles, d’agents modérateurs qui libèrent nos mémoires de tout le superflu. C’est peu de chose rapportée à l’Histoire avec un grand H, celle écrite par Winston Churchill, mais il n’y a pas de petits combats pour bâtir un monde aimable et préférable.

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