Alimentation
Alors que l'alimentation carnée fait l'objet d'un débat sociétal, la filière de la viande Interbev fait le choix d'un nouveau positionnement axé sur le flexitarisme (alternance entre régime végétarien et omnivore). Marc Pagès, directeur général d’Interbev, et Emmanuel Ferry, managing director d’Ogilvy Paris, l’agence qui a conçu la campagne, reviennent sur les enjeux de cette stratégie de communication où Interbev érige sa propre définition du flexitarisme, comme rempart au végétarisme ?

Le flexitarisme pour vendre de la viande, est-ce vraiment une bonne idée ?

Marc Pagès : Nous représentons une filière, des éleveurs aux distributeurs. À travers cette campagne, qui est collective et voulue par l’ensemble des opérateurs, l’objectif était de mettre en avant la démarche de progrès mise en place par la filière. Cette dernière mène une réflexion depuis un grand nombre d’années pour assurer la prise en compte des évolutions de consommation. Le message n’est pas de vendre mais de montrer ce qui est fait.

Emmanuel Ferry : Il s’agit en effet d’une reconnaissance par la filière des nouvelles tendances alimentaires. L’idée est d’inclure la filière dans les discussions sur la consommation de viande.

 

Sur votre site vous dites aux consommateurs que «la question n’est donc probablement pas de savoir comment réduire votre consommation de viande mais plutôt de l’accommoder à votre goût…», ce qui est contradictoire avec la définition du Robert du flexitarisme selon laquelle il s’agit de «limiter sa consommation de viande, sans être exclusivement végétarien»

Marc Pagès : Il n’y a pas une seule et unique définition du flexitarisme, c’est surtout la notion d’un régime équilibré et omnivore. Le niveau de consommation de viande des Français, qui diminue d’ailleurs depuis vingt ans, est aujourd’hui bien en-dessous des recommandations des autorités de santé publique [NDLR : le PNNS 4 recommande une réduction générale de la viande et n’impose pas de minima], qui préconisent de ne pas dépasser 500g par semaine de viande cuite (hors volaille). Or en France, la consommation moyenne de viande hors volaille est seulement de 320g par semaine pour 80% des adultes. Il s’agit de remettre un équilibre alimentaire, ce qu’est l’omnivore du XXIe siècle, avec un achat éclairé. On lui demande d’acheter mieux, on n’est pas sur une notion de régime végétarien.

Emmanuel Ferry : La définition du Larousse n'est pas la seule. L'origine du mot flexitarisme est attribuée à Mark Bittman, chroniqueur culinaire américain, qui en 2007 dans un contexte de surconsommation de viande aux États-Unis a défini le terme comme un nouveau comportement alimentaire qui privilégie les légumes et qui consomme de la viande en moins grande quantité et de meilleure qualité.

 

Vous dites «Aimez la viande, mangez-en mieux», mais quelle définition donnez-vous à «mangez-en mieux» ?

Marc Pagès : L’objectif est d’expliquer au consommateur qu’il a le choix dans ses achats, avec une viande de qualité en juste quantité qui vient d’une filière française responsable et durable, avec tout le travail fait derrière, nos règles françaises et européennes sur la production, à travers la démarche RSO, les normes Afnor de niveau 3 et 4. On peut manger mieux, assurer la responsabilité et une consommation éclairée et avisée.

 

Votre « mangez mieux » ne peut pas inclure les producteurs de la base de la pyramide qui font forcément de la moins «bonne» viande qu’au sommet, pourtant vous parlez aussi en leur nom. Qu'en faites-vous ?

Marc Pagès : Vous me parlez de certaines brebis galeuses. Là, nous sommes dans un mouvement collectif, je représente la filière dans son ensemble pour revoir ce qu’est l’élevage français. On est sur des élevages de taille humaine, avec une soixantaine d'animaux par exploitation, des conditions de transport avec une distance maîtrisée, des chartes de bonne pratique, une évolution sur les transports et les modalités d’abattage. Nous sommes dans ce mouvement pour répondre à ces demandes. Je ne peux pas vous laisser dire que la base est en déconnexion avec le «mieux», elle a fait cet effort-là depuis de nombreuses années, en concertation avec des ONG environnementales (FNE, FNH, Wellfarm…) et depuis trois ou quatre ans avec celles du bien-être animal, notre démarche est validée avec eux.

Emmanuel Ferry : Je trouve cela fondamental car c’est en mouvement, on devrait célébrer la transformation de cette filière qui pèse 25% du marché agroalimentaire français et est structurante dans le monde agricole. Cette campagne est comme un point d’étape, elle ne sort pas de nulle part mais s’appuie sur plusieurs années de transformation profonde et structurelle de la filière, elle marque le fait que ça y est, on avance vers le mieux.

 

Quelles données précises vous ont mené à créer cette campagne ?

Emmanuel Ferry : Il ne faut pas oublier quelque chose, on a intégré les études, le rapport qu’ont les générations montantes à la viande, mais les Français aiment la viande, il ne faut pas l’oublier. Il y a malgré tout un rapport fort avec la viande, les gens veulent maîtriser leur consommation, mais c’est un rapport positif.

 

Comment a été accueillie cette campagne par la filière ?

Marc Pagès : Elle a été très bien reçue, surtout au niveau des éleveurs car cela faisait valoir les efforts qu’ils avaient faits, c’est une bouffée d’oxygène. On matérialise tout ce qu’on fait depuis des années, on montre qu’on est dans la durabilité et une production responsable en France. Ce n’est pas facile quand on est sur un marché mondial où l’on trouve des producteurs qui ne sont pas dans ces critères-là et ont des prix différents.

Emmanuel Ferry : Nous avons eu des témoignages de personnes au Salon de l’agriculture qui saluent cette démarche inclusive, où il n’y a pas de rapport de force ou d’anti, mais des gens qui veulent intégrer et embrasser les nouvelles tendances et se montrer intégrés aux grands mouvements de la société.

 

Est-ce que ça n’a pas été dur d’acter la déconsommation de viande au sein-même de votre discours ?

Emmanuel Ferry : Ce que nous actons, c’est un changement de rapport à la consommation, mais ce n’est pas une étape vers le végétarisme. Il s’agit d’une intégration raisonnée d’apports protéiniques de qualité et c’est ça qui est une bonne nouvelle. Aujourd’hui la lecture n’a jamais été de dire que le flexitarisme est une étape vers le végétarisme, beaucoup de flexitariens ne se pensent pas végétariens.

Marc Pagès : Comme dit précédemment, la consommation moyenne des Français est déjà modérée puisqu’ils ne consomment aujourd’hui de la viande hors volaille que deux à trois fois par semaine en moyenne. Nous nous sommes donc adaptés aux attentes des Français qui souhaitent consommer de la viande de manière raisonnée, en juste quantité tout en privilégiant la qualité. Notre campagne incite les consommateurs à privilégier l’achat d’une viande française produite de façon durable et responsable.

 

Si le flexitarisme se mue en végétarisme dans les comportements, que finirez-vous par dire alors ?

Emmanuel Ferry : Et si les végétaliens réintègrent le poisson dans leur régime, comment les appellera-t-on ? C’est une question de science-fiction. Le flexitarisme restera le flexitarisme, soit le fait d’être équilibré dans son régime alimentaire.

 

Allez-vous, dans votre positionnement, aborder les conditions d’abattage des animaux ?

Marc Pagès : Nous parlons ici de la campagne en grands médias mais nous avons aussi un site internet avec nos preuves, dont du contenu pédagogique qui aborde l’abattage. Nous avons mis en place une grille d’évaluation, on a pris des positions fortes pour que les choses soient réglées, nous sommes une filière responsable, de l’éleveur jusqu’au consommateur.

 

Est-ce que les vidéos choc de l’association L214 vous ont conduit à faire évoluer votre positionnement ?

Marc Pagès : Ce ne sont pas ces vidéos qui nous ont fait évoluer, après, qu’elles aient mis un coup d’accélérateur, je n’en suis même pas sûr. Si vous prenez l’historique de nos actions comme nos opérations portes ouvertes et nos concertations avec les ONG, elles avaient lieu avant ces vidéos. Nous savons qu’il y a des sujets plus problématiques que d’autres. Là où je suis très clair sur ces vidéos de L214, c’est que je n’ai pas de souci à travailler avec des organisations dont l’objectif est d’améliorer la bientraitance des animaux mais, quand le seul objectif est la suppression de la filière, qu’importe ce que représentent ces vidéos, on n’est plus dans le même combat. J’ai même vu des vidéos de L214 qui expliquent qu’il n’y a aucun problème de respect mais quand-même, ils y dénoncent l’abattage des animaux, donc on déborde du sujet de fond.

 

Les opérations portes ouvertes, n’est-ce pas une technique de communication dépassée à l’heure où les vraies images circulent sur les réseaux sociaux ?

Marc Pagès : Nous avons de plus en plus de portes ouvertes, et je pense qu’actuellement sur les réseaux sociaux, on peut douter de l’information. Je préfère des gens qui aillent voir eux-mêmes, que de voir des images qui ne reflètent pas toujours la réalité des choses. C’est vrai si vous ouvrez un ou deux centres, mais là il s’agit d’une opération de grande ampleur, avec 1 200 portes ouvertes en un an, soit 15 à 20% en plus un un an. Sur environ 200 abattoirs en France, 100 ouvrent leurs portes alors qu’ils n’ont aucune obligation à le faire. Il y a une volonté de transparence.

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