Automobile
Ils s’appellent Aspark, Nio ou Rimac, et on ne les connaît pas. Ces nouveaux fabricants auto tentent leur chance dans le luxe à la faveur des performances de moteurs électriques, boudés par les acteurs traditionnels dont l’histoire entière repose sur la noblesse de leur mécanique.

Valkyrie est le nom de l’Aston Martin la plus aboutie jamais produite. À tel point que le prestigieux constructeur britannique, pour engager son auto aux 24 Heures du Mans en 2021 devra... en limiter la puissance. Au cœur de la bête, un moteur hybride dont la partie électrique est produite par Rimac. Cette information serait tout à fait banale s’il s’agissait d’un fournisseur comme l’industrie auto en compte des centaines. Sauf que Rimac Automobili est lui aussi un fabricant, croate, d’hypercars électriques. En 2020, cette start-up qui a vu le jour en même temps que la Tesla Model S en 2009 – et dont le fondateur Mate Rimac est assurément plus discret qu’Elon Musk – lancera sa deuxième auto, la C Two. Pas de divinité nordique ici, mais un autre argument : quasiment deux fois plus de puissance que l’Aston, et un design magnifique. Alors que la noblesse européenne a forgé sa réputation au fil des années à coups de preuves de son savoir-faire mécanique et de résultats en compétition, elle serait disruptée par ces « pure players de l’électrique ». Underwood et sa machine à écrire d’un côté, et carrément le MacBook Pro de l’autre.

Pour l’instant, ces nouveaux entrants dans le cercle fermé du luxe ont pour seule carte d’accès la puissance de leur moteur électrique. En la matière, « la primauté de l’offre technologique revient à Tesla qui a posé les jalons de ce qu’est une bonne voiture électrique, et en se marketant comme voiture du futur pour combler le déficit d’histoire », observe Adrien Torres, planneur stratégique chez BETC, qui travaille sur le compte Peugeot. « Face au manque d’excellence technique de l’électrique, Tesla a au début beaucoup vendu la nouvelle expérience de performance, en mettant en avant le 0 à 100 km/h de ses voitures », ajoute-t-il. Alors que l’on pensait la quête de performance stoppée nette par les radars automatiques, la voilà relancée par l’électrique. Quand Porsche (groupe Volkswagen) se résout à lancer sa première auto électrique et lui fait battre un record du tour sur le fameux Nürburgring pour prouver qu’il a « conservé son ADN sportif », Tesla y lance aussitôt sa Model S… et reprend les rênes. Pire : lors de la présentation du Cybertruck fin novembre, un pick-up tout droit sorti de Blade Runner, Musk diffuse une vidéo montrant que son auto accélère plus que la mythique Porsche 911. Leçon de troll-marketing.

Ferrari pas trop branchée

Il n’aurait pas fallu que les acteurs traditionnels dorment plus longtemps. « Certains se sont lancés seulement en 2015 », pointe Adrien Torres. « Vous ne verrez jamais une Ferrari électrique parce que je ne crois pas à la voiture électrique », professait en 2011 le président de la marque italienne Luca Di Montezemolo. L’avenir dira le contraire, mais il est vrai que Maranello y va à reculons, venant d'annoncer son premier modèle électrique en... 2025. Pendant ce temps, l’électrique a déjà tué le game des performances. Quand Ferrari vante sa SF90 Stradale, capable d’atteindre 1 000 chevaux, l’inconnu japonais Aspark en propose 2 012 avec son Owl. Bien sûr, un tel constructeur « n’a rien à raconter » face au cheval cabré, nuance Adrien Torres, rappelant que « dans le luxe, le storytelling est un driver de vente capital ». C’est ce qu’a sans doute compris l’indien Mahindra & Mahindra, connu pour ses voitures bon marché, ses tracteurs, et depuis 2015, pour être le propriétaire à 74% de Pininfarina. La célèbre griffe italienne qui a dessiné la Ferrari 250 Testa Rossa ou la F40 entame une deuxième vie en tant que constructeur à part entière. Le public a pu découvrir la Pininfarina Battista lors du concours d'élégance de Pebble Beach 2018, en Californie. Une auto pleine de superlatifs, bien plus puissante et performante que n’importe quelle Ferrari. Est-ce que le patronyme fera assez rêver ? 

Tesla, un cas d'espace

Et si ces annonces n’étaient que des effets d’annonce ? C’est la thèse que défend Charles George-Picot, global CEO de Publicis Luxe. « Tesla a perdu 5 milliards de dollars depuis sa création, le chinois Nio [détenteur du record pour une électrique sur le Nürburgring] a approché la faillite, cela m’inspire la prudence. » Du côté de BETC, Adrien Torres rappelle que lorsque Tesla éprouvait des difficultés à prouver à la viabilité de son modèle en 2017, il a présenté une nouvelle auto, la Roadster, dont la fiche technique démontrait par l’absurde à quel point il savait réconcilier l’inconciliable : les performances et l’autonomie – ici, 402 km/h et 1 000 km annoncés. Rappelons-nous : le véhicule personnel de d’Elon Musk (l’ancien modèle) fut même envoyé dans l’espace quelques mois après, en février 2018. Ce genre de manœuvre aurait vocation à attirer des capitaux, à l’image de l’américain Lucid Motors, qui a récolté 1 milliard de dollars de l’Arabie saoudite. « La période de création de start-up va toucher à sa fin d’ici deux à trois ans car la réalité industrielle va vite rattraper ces acteurs. Certains, comme Rimac, se cantonneront à de la niche, d’autres comme Faraday Future, longtemps annoncé comme l’anti-Tesla, ne verront pas le jour, mais en fait, les acteurs historiques reprennent le lead », prédit Adrien Torres. Même analyse pour Charles Georges-Picot selon qui « les acteurs établis sont les seuls à avoir la taille critique pour investir dans des technologies aussi coûteuses que l’électrique et la conduite autonome ». À une exception près selon lui : « les marques chinoises comme Nio ou Byton, dont l’enjeu géostratégique dépasse le marketing ».

Finalement, les écuries de luxe traditionnelles commencent à trouver des façons de vendre du rêve à l’ère de l’électrique. Certains réveillent de belles endormies comme Aston Martin avec Lagonda, afin de récupérer du storytelling. Bentley imagine avec son EXP 100 GT une expérience à bord modelée grâce à l’IA. Lamborghini, pour sa première électrique, a remplacé les batteries de sa Terzo Millennio par des supraconducteurs dans la carrosserie. Grâce à des nanotubes, elle serait même autoréparante...

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