Dossier Reboot
La publicité a vocation à contribuer au développement de l’activité économique. A condition, notamment, de prendre en compte les nouvelles attentes des consommateurs vis-à-vis des marques.

Pour vivre heureux, vivons cachés ? Pas selon P&G. En pleine crise, la multinationale américaine de produits de soin, d’hygiène et d’entretien de la maison a décidé d’augmenter ses investissements publicitaires et marketing afin que les consommateurs confinés gardent toujours à l’esprit ses marques (Pampers, Gillette, Ariel…). Une démarche aux antipodes de celle de Coca-Cola, qui a fait le pari inverse en suspendant, depuis le mois d’avril, les campagnes publicitaires de ses marques dans le monde. Un mouvement qui s’accompagne d’un don de 120 millions de dollars pour soutenir les opérations de secours.

Deux géants, deux attitudes. La question n’est pas simple. Les budgets communication sont généralement les premiers à être coupés ou du moins rationalisés en situation de crise. Et pourtant. « La réclame a été le principal levier de relance après la Seconde Guerre Mondiale », rappelle Denis Gancel, président de l’agence de communication W et enseignant à Sciences Po Paris. Sans remonter aussi loin, une étude Deloitte pour l’AACC, l’UDA et l’Udecam de 2017 montre que, en France, un euro investi en publicité génère 7,85 euros de PIB. Un chiffre qui montre combien la publicité peut être un levier économique, soutien pour la croissance mais aussi l’emploi.

« Deloitte a évalué que la publicité contribue directement ou indirectement à la création de 536 000 emplois en France, soit 2,1% des emplois du pays, indiquent dans un communiqué les parties prenantes. Cette étude souligne le rôle primordial joué par la publicité auprès des entreprises dans le déploiement de leurs produits et services. » Sans compter les autres bénéfices mis en avant, comme le fait de favoriser la concurrence entre les marques ou de contribuer au financement des médias. Un levier fort, donc, même s’il n’est pas le seul, ce rôle étant rempli aussi, par exemple, par les crédits à la consommation. D’autres initiatives en apportent une preuve. Au Portugal, le gouvernement a triplé le budget consacré à ses publicités institutionnelles en 2020, en l’augmentant à 15 millions d’euros. Une façon, surtout, de soutenir les médias, malmenés par la crise.

« Communion émotionnelle »

Voilà pourquoi les acteurs du secteur croient en la force de la publicité pour la reprise. « La communication en général et la publicité en particulier sont toujours liées au développement d’activité. Elles vont remplir leur rôle. C’est dans leur nature même », explique Vincent Baculard, PDG du groupe de conseil et communication Rouge Vif. « La publicité a un rôle fondamental. Toutes les crises ont apporté des changements profonds. Celle-ci nous a plongés dans une situation de communion émotionnelle. C’est aussi la première crise connectée au monde, poursuit Alexandra Evan, vice-présidente de l’agence Publicis Conseil. Pour parler de relance économique, il faut prendre en considération ces particularités car cela va changer la façon de communiquer ».

Pour les annonceurs, l’intérêt est de ne pas s’effacer de l’esprit des consommateurs. Sans compter que pour un acteur ayant disparu du paysage médiatique, il peut, selon les circonstances, être compliqué de s’y refaire une place. En fonction de leurs secteurs d’activité, les marques ne seront pas concernées de la même façon. « Selon les objectifs fixés, la période peut être bonne pour certains annonceurs, avance Stéphane Bergny, directeur général d’Extreme Event au sein de l’agence de communication Extreme. Un fournisseur de biens de grande consommation peut y trouver un intérêt économique en travaillant sa préférence alors qu’un acteur beauté se concentrera sur sa notoriété. »

Reste que miser sur la publicité pour accompagner la relance économique ne se fera pas à n’importe quel prix. Compte tenu des multiples initiatives prises par exemple pour soutenir les personnels soignants ou encore fournir du gel et des masques, « c’est la première fois que les gens ont vu concrètement l’utilité des marques. Il y a une opportunité à être un acteur au service des gens. Ce serait dommage de passer à côté car cela va faire partie de la façon dont les marques vont se relancer », estime Alexandra Evan. Si le prix reste un critère de choix définissant la préférence de marque, il ne suffit plus et les consommateurs attendent désormais autre chose.

Question d’équilibre

« La publicité ne peut être un outil de relance que si les marques répondent à une vision de la société, de l’économie, de la production locale, de la solidarité », abonde Harold Bokobza,  directeur général du groupe de communication Venise Group.  Autrement dit, pas question de retomber dans les anciens travers. « Il faut qualifier la relance que l’on souhaite et adopter une approche équilibrée, analyse Denis Gancel. Chaque opérateur de chaque marque doit relancer dans un contexte équilibré. La question est de savoir si l’action menée fait du bien à la planète, aux gens. Il s’agit d’être acteur du mieux commun. »

C’est en adoptant ces bonnes pratiques que la relance par la publicité sera possible, alors que le contexte s’annonce compliqué. « Il n’y aura pas de vraie reprise de demande des ménages avant le quatrième trimestre voire le Black Friday, prévoit Bertrand Beaudichon, président d’Initiative France, agence média d’IPG Mediabrands. D’où un encombrement et une inflation très forte sur les prix médias : 15 % en télévision ou 20 % en affichage. » Il y a là de quoi complexifier la tâche des annonceurs qui feraient le pari de revenir sur le devant de la scène alors que la période passée a plutôt montré leur prudence, si ce n’est pas un repli légitime face à l’incertitude. « 100 % de nos clients ont revu la voilure de leurs investissements médias, témoigne Thomas Bevilacqua, dirigeant cofondateur de l’agence de publicité Orès. Ils ont montré une forte envie d’aller davantage sur le digital. Ils revoient leurs budgets et tentent de nouvelles approches. Si l’annonceur a le choix, c’est l’occasion rêvée de faire évoluer son mix. » Une façon possible de relancer la machine.

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