Luxe
Les ventes en ligne d’articles de luxe ont fait un bond pendant le confinement. La crise a accéléré la digitalisation du secteur, qui a aussi organisé des événements sans public.

La crise sanitaire a fait retomber le marché du luxe à son niveau de 2015, selon l’institut Altagamma. Il a perdu 30 à 40 milliards d’euros depuis le début 2020, soit une baisse de 20 % de chiffre d’affaires du fait de l’arrêt du tourisme et de la fermeture des magasins, notamment d’aéroports. Sans compenser les ventes physiques, les transactions en ligne, en revanche, ont décollé : « Certaines marques ont enregistré des croissances à trois chiffres... On n’a jamais vu ça, témoigne Audrey Depraeter, directrice du pôle luxe d’Accenture. Les prévisions de part de marché du e-commerce dans le luxe pour 2025 ont été relevées de 20% à 30%. Normalement, il faut dix ans pour obtenir une croissance pareille. » Chanel a vu ses ventes en ligne doubler en avril et mai. Marques, distributeurs et plateformes se sont organisés pour faire face. « Certaines maisons ont pris un an d’avance sur leur plan de développement e-commerce, souligne Pierre-Antoine Ruf, directeur digital en charge de Richemont à l’agence Group M. Pendant le confinement, le trafic sur les sites a baissé du fait de l’absence de campagnes mais l’engagement a augmenté en termes de temps passé, de pages vues et de transformation. »

Personal shopping

Les Galeries Lafayette Haussmann, qui sortent d’un tunnel de grèves, de manifestations des Gilets jaunes et maintenant du Covid-19, ont monté un service de « personal shopping » pour les produits de luxe, Exclusive Live Shopping. « Le personal shopper en point de vente, nous le faisons depuis des années, la vente en ligne aussi, explique Alexandre Liot, directeur du grand magasin parisien. L’idée est de donner accès à l’offre premium et luxe d’Haussmann depuis son canapé avec un niveau de service exclusif. Par téléphone ou en visio, le client est en lien direct avec un conseiller de vente qui lui présente les articles in situ. » Lancé le 22 mai, le service a enregistré 800 commandes en quinze jours, avec « un panier moyen intéressant et un taux de transformation élevé », dixit le dirigeant. Une deuxième version plus aboutie est prévue en septembre. Il fallait réagir vite : « On l’a lancé en neuf jours, le temps que l’on met en général pour se réunir ! Le Covid-19 a imposé une accélération de notre transformation. Je crois beaucoup à ce canal de vente pour la clientèle française et internationale afin d’être moins dépendants des problèmes de transports. On ne sait malheureusement pas quand les touristes reviendront », indique Alexandre Liot.

Pour un de ses clients aux États-Unis, l’agence digitale Valtech a mis en place une solution technique pour rajouter un panier d’achat à un catalogue de contenus. « Après la commande auprès d’un personal shopper, le client reçoit un mail de confirmation avec un lien qui lui permet de sécuriser le paiement par carte bleue, explique Pascal Malotti, directeur développement et stratégie. Il a fallu lancer l'opération en moins de deux semaines pour être prêts pour la fête des mères aux États-Unis. » Cette mesure d’urgence sera certainement pérennisée face à la « retail apocalypse » nord-américaine : pendant la crise, les grands magasins JC Penney et Neiman Marcus se sont mis en faillite. « La maîtrise de sa distribution, du point de vente physique au site internet, va être la clé de voûte de la réussite des marques premium », affirme Pascal Malotti. Maîtriser sa distribution, c’est échapper aux aléas des revendeurs, mais aussi contrôler ses données. Les maisons de luxe sont désormais matures sur les outils de collecte et de traitement des informations sur leurs clients. Avec la promesse de mieux segmenter les audiences et de proposer des offres marketing adaptées aux profils des acheteurs. « On a collecté plein de données pendant le confinement, cela va permettre de construire de belles histoires de communication », se félicite Guillaume Goudal, directeur digital en charge de LVMH chez GroupM.

Expérientiel 360

Proposer une expérience aussi qualitative en digital qu’en réel, la Chine y est habituée depuis longtemps. La plateforme Luxury Pavillion de Tmall, ouverte il y a trois ans, incarne la vision du « new retail » du groupe Alibaba : « Des produits exclusifs, des packagings personnalisés, un service de livraison sur mesure. C’est de l’expérientiel 360 de bout en bout », résume Nicolas Cano, responsable Tmall Fashion & Luxury France. Cartier a ouvert sa boutique Luxury Pavilion en plein confinement chinois. Les 288 premiers clients (chiffre porte-bonheur) ont reçu leur commande à domicile des mains d’un livreur aux couleurs du joaillier. Burberry a organisé une session de live streaming sur Tmall avec l’influenceuse Yvonne Ching depuis un magasin de Shanghai. Résultat, 1,4 million de vues et des produits vendus en moins d’une heure. « En Occident, on considère l'e-commerce sous l’aspect transactionnel ; en Chine, c'est vécu comme une expérience. On parle d'e-commerce expérientiel », souligne Eric Briones, curateur du Salon du luxe, qui a eu lieu en ligne le 1er juillet. « Les marques de luxe hésitaient à aller sur les plateformes car celles-ci avaient tendance à présenter tous les produits sur le même niveau. Avec le développement d’une approche luxueuse du digital, les marques peuvent mettre en valeur leurs produits, sans arrêter d’investir dans le lien physique en boutique », analyse Claire Gallon, Consulting Director & Head of Luxury Practice d'Ogilvy. On attend avec curiosité l’arrivée d’Amazon sur le terrain de Tmall avec sa propre place de marché premium. « C’est le consommateur qui choisit où il veut consommer, précise Nicolas Cano. Le consommateur chinois né avec la digitalisation ne fait pas la différence entre le physique et le mobile. »

Animal Crossing et Fortnite

Même chose pour la nouvelle génération, les « gen Z » (18-24 ans) partout sur le globe. « La génération Z qui est habituée au visuel et qui joue aux jeux vidéo est intéressée à vivre des émotions avec la marque sur son site. Elle va s’amuser, s’identifier, rester plus longtemps en ligne », expliquait Nicolas Mariotte, VP business strategy de WeDigitalGarden lors d’un récent Linkedin Live avec Glion Institute. Les consommateurs confinés ont passé du temps sur Animal Crossing et Fortnite, dont les univers pourraient inspirer les marques. Louis Vuitton a été précurseur en créant une malle pour le jeu League of Legends en novembre 2019. Réseau social de la « gen Z », Snapchat accélère sur les partenariats avec les acteurs du luxe. « À Noël dernier, nous avons mené une campagne en réalité augmentée avec Ralph Lauren, qui a généré un temps de jeu record de 24 secondes et une augmentation des ventes de 19% sur le site internet », témoigne Emmanuel Durand, PDG de Snap France. Le 29 juin, l’application a lancé avec Gucci une technologie de filtres permettant d’essayer des chaussures en réalité augmentée, associée à un bouton « Acheter maintenant ». C’est ce qui s’appelle entrer de plain-pied dans le social selling, le commerce via les réseaux sociaux. Et ce n'est plus un luxe.

Les fashion weeks obligées de se réinventer

La crise a aussi posé la question des défilés de mode, suspendus pour cause de confinement. En février, la fashion week de Milan s’est tenue partiellement sans public. En mars, celle de Shanghai a eu lieu entièrement en live streaming sur TaoBao, la chaîne d’Alibaba, avec la possibilité de pré-commander en direct. Quant à la présentation des collections haute couture automne-hiver, elle devait se tenir en ligne sur une plateforme dédiée du 6 au 8 juillet. Les acteurs de l’événementiel comme les palaces qui vivent de ces folles journées sont légitimement inquiets. « Les fashion weeks vont repartir en 2021, assure Paul-Emmanuel Reiffers, président fondateur de Mazarine, dont la filiale La mode en images organise des défilés. Le digital est un amplificateur d’événements mais ne va pas les remplacer. Faire venir les acheteurs et les influenceurs du monde entier en un seul lieu fait gagner du temps et de l’argent à tout le monde. »

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