Dossier RSE
Statut d’entreprise à mission, outils de mesure, labels… Aujourd’hui, les déclarations d’intention ne suffisent plus. Attendues au tournant, les entreprises doivent agir pour prouver leur utilité.

Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire ! Que Jacques Séguéla sorte, début octobre, un livre sur le sujet peut être pris comme un signe : aujourd’hui plus que jamais, la publicité s’empare de la question environnementale. Dans cet ouvrage, cette figure du secteur s’emploie à dresser des solutions pour le futur, pour l’énergie, l’eau, les ressources naturelles, la biodiversité, etc. Une première étape… Du côté des entreprises, la loi Pacte en 2019 puis la crise du Covid en 2020, avec la prime, au moins d’image, donnée aux organisations « utiles », ont définitivement mis ces sujets sur la table, alors qu’une tendance de fond se dessinait déjà. Car, bien au-delà de l’écologie, ce sont les sujets de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui préoccupent les professionnels. Et qui dit RSE ne dit plus simplement – pour le dire vite – tri des déchets ou recyclage des gobelets à la machine à café.

« L’entreprise ne peut plus travailler sur sa stratégie RSE seule mais sur sa contribution active par rapport à la société », rappelle Isabelle Luoni, directrice de la performance globale au sein du groupe de communication Hopscotch. « J'ai créé en 2009 le Parlement des Entrepreneurs d’avenir avec la présomption que l’entreprise qui s’engage va au-delà d’une conformité mais agit pour une transformation de la société », explique Jacques Huybrechts, président-fondateur de cette communauté de dirigeants engagés. Le spécialiste, qui croit plutôt aux « mouvements longs », concède toutefois que la crise du Covid a accéléré la prise de conscience des entreprises sur la question : « Est-ce que notre activité est essentielle à la vie sur cette planète ? ». 

Pas de consensus

« Quand je suis arrivé en 2017, le premier mot que les Français associaient à l’entreprise était "méfiance" », témoigne de son côté Paul Allibert, directeur général de l’Institut de l’entreprise, dont le rôle est de valoriser celui de l’entreprise dans la société, et qui est présidé par Antoine Frérot, PDG de Veolia. « La RSE n’a pas suffi à ramener un consensus autour de la manière dont l’entreprise crée de la valeur économique et intègre des objectifs de performance multicritères, poursuit-il. Il faut imaginer ce qui vient après la RSE… L’entreprise va avoir un rôle durable pour ses autres parties prenantes que sont les clients, les salariés, les fournisseurs. »

En 2019, la loi Pacte a acté ce changement en modifiant dans le Code civil la définition de l’objet social de l’entreprise, qui doit désormais prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Alors que les Anglo-Saxons étaient en avance sur ces sujets, « le mot purpose n’existe pas dans le cadre de la loi », observe Anne-France Bonnet, présidente de Nuova Vista, cabinet de conseil RSE.

Dans des tribunes et des ouvrages, le mot « post-RSE », bien antérieur à 2020, est parfois utilisé pour décrire ce mouvement des entreprises. Un concept dont la validité ne convainc pas les spécialistes que nous avons interrogés, qui ne l’utilisent pas, pour la plupart, tout comme leurs clients. Derrière « RSE », ils mettent les notions de conformité, de normes, d’actions isolées, de démarches internes, là où « post-RSE » renvoie, selon eux, davantage à l’utilité, la raison d’être.

De la RSE à la RSO

Autre différence : alors que la RSE répond à la question des impacts (quelle nature, comment les traiter), la raison d’être répond à la question de l’utilité (comment être utile ?) « Le terme post-RSE n’existe pas dans les grands comptes mais ils en parlent à leur manière en envisageant des façons d’aller plus loin, cela rejoint le côté contributif », résume Isabelle Luoni, pour qui la RSE « rentre dans une RSO : responsabilité sociétale d’organisation ». « La post-RSE, c’est une mécanique de progrès continue où dans chaque décision l’on pèse les conséquences sociales et environnementales. La RSE n’est pas un driver. La raison d’être l'est », enchérit Anne-France Bonnet.

Quoi qu'il en soit, la priorité aujourd’hui pour les entreprises est donc de réinterpréter leurs performances au regard de tous leurs impacts. « La post-RSE est un concept de transition, pas un but en soi. En 50 ans, de 1970 à 2020, l’on est passé de l'idée que l'entreprise a la seule responsabilité de maximiser ses profits à une vision des choses retournée », retrace Paul Allibert, qui a coordonné avec l’Institut de l’entreprise la sortie de deux ouvrages, L’Entreprise post-RSE (2018) et L’Entreprise post-RSE vue par ses parties prenantes (2020).

Autre évolution, la RSE a quitté la sphère des seuls spécialistes. La raison d’être, la mission, « ce sont des sujets sur lesquels les dirigeants et les Comex sont très impliqués, remarque Anne-France Bonnet. Les dirigeants sont émetteurs de la demande ou au cœur du réacteur ». Cela permet d’ailleurs aux directions RSE de revenir dans la boucle en contribuant au premier plan à la définition de la raison d’être avec le reste de l’entreprise.

En mission

De fait, des entreprises montrent aujourd’hui le chemin, notamment celles qui s’attachent à devenir « à mission ». On ne cite plus la Camif, pionnière, s’il en est, des entreprises engagées (lire Stratégies n° 2047 du 3 septembre), ou encore Danone, société à mission depuis juin 2020, et la Maif, qui l’est devenue en juillet. Jacques Huybrechts ajoute la SSII Norsys : « Son dirigeant, Sylvain Breuzard, est aligné depuis 20 ans sur ces sujets. Multi-labellisé (B Corp, entreprise à mission), il est toujours en avance, en quête d’engagement global. »

Il y a aussi les annonceurs qui impliquent leurs parties prenantes. Orange a ainsi sollicité ses collaborateurs ainsi que des membres de son réseau externe (ONG, journalistes…) pour définir sa raison d’être, présentée fin 2019 (lire Stratégies n° 2035 du 23 avril). Chez Hopscotch, les collaborateurs ont été mis à contribution pour réfléchir sur la relation en lien avec la façon dont se voit le groupe réunissant « des créateurs de capital relationnel », décrit Laurence Malençon, sa directrice de l’innovation. Pour accompagner cette réflexion, des ateliers sont organisés et un livre est prévu pour la fin de l’année.

Calcul d’impact carbone

La mise en place d’outils dédiés est également une clé. Par exemple, le pôle média du groupe Havas a conçu cette année un calculateur d’impact carbone des campagnes plurimédia de ses clients, en partenariat avec la société EcoAct. Dans la même veine, Bilobay, outil de calcul des émissions carbone des campagnes publicitaires, lancé par l’agence de communication strasbourgeoise Dagré, a été élargi en juin au support digital, incluant le display et les réseaux sociaux. Ce calcul prend en compte à la fois la conception, la production et la diffusion des campagnes.

Enfin, cet engagement est couronné par une série de labels ou certifications. Le label B Corp, valorisant des entreprises responsables en termes de gouvernance, collaborateurs, environnement et clients, semble avoir, en France, le vent en poupe, même si seule une poignée de sociétés peut aujourd’hui se prévaloir de l’avoir obtenu. Ainsi, quand l’agence Pixelis, dotée d’une raison d’être depuis 2019, a été certifiée il y a cinq ans, le groupe Team Créatif a entamé la démarche à l’été 2019 et attend un audit en novembre pour une reconnaissance officielle. Autre exemple, les équipes événementielles de Hopscotch ont été certifiées ISO20121 en octobre, dans la foulée du treizième événement du groupe garanti par cette norme, l’université d’été du Medef 2020, fin août.

« Le terme de RSE est un peu vieillot, on doit aller au-delà, prône Céline Louche, professeur associée chez Audencia Nantes Ecole de Management, spécialiste de la RSE et de la finance responsable. Le terme RSE limite l’entreprise dans ce qu’elle peut faire alors qu’il y a un besoin de changer les choses. Il faut trouver un nouveau vocabulaire pour imaginer le futur, changer les modèles. »

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