Communication
Le pharaonique projet de ville nouvelle au Sénégal porté par le rappeur Akon doit voir le jour en 2029, dans le sillage d’une communication de marque qui ne masque pas certaines interrogations.

Pour prendre la mesure du gigantisme d’Akon City, il faut commencer par se fier à son budget : six milliards de dollars, pour faire pousser de terre à horizon 2029 une ville futuriste digne du célèbre Wakanda [pays africain fictif présent dans l'univers Marvel], dans l’ouest du Sénégal. Soit autant ou presque que le budget 2020 du pays. Ce projet à l’accent un brin mégalo, porté par le chanteur de RnB sénégalo-américain Akon -de son vrai nom Badara Akon Thiam, fait forcément beaucoup parler. Surtout depuis la pose de la première pierre intervenue en septembre et la venue au Sénégal du rappeur à succès connu pour ses titres « Lonely » ou « Locked Up ». « Akon City, c’est clairement un thème majeur au Sénégal, un sujet dont tout le monde parle », entame Elie Rebeiz, associé au sein de l’agence conseil et création Les Barbus, qui dispose de bureaux à Paris et à Dakar. Il faut dire que sur le papier, les principaux ingrédients sont réunis. Une tête d’affiche à la hauteur du projet, une architecture fastueuse et enfin, un storytelling à l’américaine, léché comme il se doit. À l’image du développement prévu autour d’une crypto-monnaie baptisée Akoin ou encore de la volonté affichée d’aider au développement des populations locales. De quoi tenir pour argent comptant la promesse d’une ville-marque qui se veut par-dessus le marché un modèle écologique? Forcément, un certain nombre d’interrogations entourent le projet, dont l’entreprise américaine KE International a décroché le contrat de construction, avec l’appui du cabinet d’architectes émirati BAD Consult. Ou plutôt le fossé qui risque d’exister entre les intentions affichées et la finalité.

Un financement peu transparent

« Il est très tôt voire trop tôt pour juger. En réalité, tout le monde attend de voir ce qui va se passer », note Elie Rebbeiz. « Mais ce projet ne fait que renforcer l’attractivité du Sénégal et l’enthousiasme qui règne autour du pays depuis plusieurs années tant sur le plan économique que politique. La croissance annuelle moyenne se situe entre 6% et 7%. Cette situation draine les investissements étrangers venant de pays comme la Chine, la Turquie, la France ou encore les États-Unis », contextualise-t-il. Même postulat pour Philippe Doizelet, directeur général du cabinet conseil Horwath HTL France, qui rappelle que le pays « coche toutes les cases » pour accueillir ce projet rejoignant « cette idée, très africaine au fond, de réinvestir dans les racines ». Néanmoins, le dirigeant appelle à la prudence, pour avoir notamment travaillé par le passé sur le projet de ville nouvelle d’Abuja, au Nigéria. « En Afrique, les projets n’engagent que ceux qui y croient. Lagos à titre d’exemple entend se muer en Dubaï africain en dupliquant dans sa lagune le modèle des îles artificielles. Or, à peine 10% des projets immobiliers aboutissent. La population a une forte propension à être exaltée par les promesses de lendemains qui chantent et on peut la comprendre car en l’espèce, la promesse est belle ! Néanmoins, la réponse à un certain nombre de questions reste pour l’heure très floue », constate le dirigeant. À commencer par le financement de l’opération. Un manque de transparence qui a poussé le Forum civil, la section sénégalaise de l’ONG Transparency International, à solliciter des clarifications via une lettre adressée au ministère du tourisme et au directeur général de la Société étatique d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco), qui a noué un accord visant à faire d’Akon City la deuxième station balnéaire du pays. Reste qu’au-delà de l’aspect pécunier, se pose aussi la question de l’utilité. « Une ville, pourquoi pas, mais pour quoi faire ? Un «resort» à la Las Vegas ? Si c’est pour le tourisme, le site se trouve quand même à 100 kilomètres de l’aéroport et le Sénégal compte déjà des villes touristiques qui se développent beaucoup, à l’instar de Saly. Tout cela invite à la prudence, d’autant qu’on parle d’un projet gigantesque ! Il y a forcément un effet d’aubaine dont certains comptent tirer parti et ce qui explique qu’on lui déroule le tapis rouge », analyse Philippe Doizelet, en écho à la relation au beau fixe entre le rappeur et les principales figures politiques.

Un projet particulièrement engageant

« Quel sera le résultat final ? Honnêtement, on n’en sait rien. Ce qui est probable en revanche, c’est que ce sera différent. Ne serait-ce que parce que les études d’impact social et environnemental n’ont pas été encore réalisées, raison pour laquelle le calendrier ne paraît pas tenable », alerte une source ayant enquêté de près sur le sujet. « Il faut prendre en compte que sur place, il n’y a strictement rien. Quid de l’alimentation en eau, des infrastructures ou encore de la gestion des déchets ?  Ce n’est pas un caprice de star, c’est un projet extrêmement engageant », abonde Philippe Doizelet quant au principe de réalité qui pourrait vite écorner les desseins initiaux. Le tout sans omettre une architecture qui peut légitimement être questionnée. « On sent que c’est un avant-projet pour l’heure uniquement graphique, avec un univers qui ne va pas sans rappeler les comics ou les BD de science-fiction des années 90. Conjuguer un tel monumentalisme et une démarche écologique semble peu cohérent. Il ne faut pas confondre environnemental et organique et si ce projet apparaît futuriste, il semble aussi archaïque », pointe Sébastien Feyeux, associé au sein du cabinet lyonnais Unanime Architectes. En résumé, sans aller jusqu’à remettre en cause la viabilité du projet, des doutes persistent sur divers plans. L’aura du rappeur, une « locomotive people », suffit-elle à les estomper ? « L’image d’Akon au Sénégal est celle d’un homme venu pour faire du business. Même s’il bénéficie d’une forte notoriété et que c’est une fierté qu’une star comme lui mise sur le Sénégal, il n’est pas vu comme un philanthrope », résume cette source anonyme. Signe que si le projet a volontairement pris la lumière, le revers de la médaille est qu’il sera d’autant plus surveillé.

Chiffres clés

2000 hectares Superficie sur laquelle la ville doit être construite à horizon 2029

6 milliards de dollars Budget prévisionnel du projet de ville nouvelle

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.