Mode
La marque de prêt-à-porter pour hommes Jules annonce sa révolution copernicienne, mettant l’écologie et tous les hommes au centre.

« Men in progress » est la campagne qui a sans doute le plus retenu notre attention depuis la rentrée. Exécutée avec justesse par le duo Julien et Quentin de l’agence belge Air Brussels, cette publicité pour la marque de prêt-à-porter Jules aborde de façon légère et rythmée les clichés entourant la représentation des hommes. Au bestiaire classique composé du bonhomme grand et fort, du super guerrier de Dragon Ball Z et de Poutine chevauchant sa monture torse nu, Jules y oppose un homme plus nuancé, en accord avec son temps : à trottinette, en couple homoparental, végétarien, écologiste… « Et si être un homme, c’était être prêt à porter le progrès ? Alors allons-y. Un t-shirt bio à la fois. Un jean recyclé à la fois » invite ainsi la voix-off.

Sponsor de Koh Lanta

« C’est la première fois que Jules prend la parole en TV en vingt ans. Nous avions envie d’exprimer la nouvelle vision de la marque sur la masculinité car nous avons des millions de clients entre 25 et 45 ans, mais nous avions aussi envie de parler à ceux de 20 ans qui sont touchés par la protection de l’environnement et moins machos, car plein de choses ont changé, nous pensons que le progrès passe aussi par la vision de l’homme », explique Franck Poillon, le directeur général de Jules. Pour affirmer ce positionnement, Jules va sponsoriser l’émission de TV Koh Lanta et « jouer avec l’idée qu’un homme, un vrai, ça maîtrise le feu », mais avec l’ambition de dire derrière « qu’un mec bien, il fait attention à lui, aux autres, et il fait attention à la planète ».

Zero waste

C’est là le point de pivot de cette campagne. En affirmant que les hommes ont engagé leur mutation, l’enseigne de prêt-à-porter parle aussi de sa propre transformation. Vingt ans plus tôt, la pratique était de dire « j’ai changé » alors que rien ou presque n’avait été fait. Une charrue mise avant les bœufs qui finissait par se voir et aboutissait bien souvent à un bon gros bashing pour greenwashing. En 2020, qui plus est avec les réseaux sociaux, mais aussi parce que la problématique environnementale est devenue plus aiguë, impossible de la faire à l’envers. La communication vient après la transformation de l’entreprise, ou plutôt… pendant. D’où cette idée de « men in progress ». Franck Poillon est formel : « En 2019 nous avons imaginé un nouveau business model autour du zero waste. Ce n’est pas qu’un mot, c’est la colonne vertébrale de l’entreprise. Il fallait avoir du courage car nous savions que nous ne ferions pas tout en une fois, donc nous avons découpé la démarche, pas à pas. Il fallait bien démarrer. »

Il s’agit aussi d’un enjeu de survie pour l’enseigne. La marque du groupe Mulliez se remet à peine d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui a mené à la suppression de 460 postes au sein de Happychic (Jules et Brice, qui ont depuis fusionné, et Bizbee), et la fermeture de 90 magasins. Pour ne rien arranger, la deuxième vague de Covid fragilise un peu plus un secteur déjà fébrile ; Celio va par exemple fermer 102 magasins en France. Avec 400 points de vente et 180 ex-Brice (et 60 à l’international), Jules n’aurait plus que des « magasins durablement performants » selon Franck Poillon, et il n’y aurait « pas de deuxième plan de fermetures » envisagé, assure le directeur. Dans ce contexte, Jules a réussi à obtenir un budget « record » d’un peu plus de 1 million d’euros pour le lancement de sa campagne – sur 7,8 millions au 31 août 2020 selon Kantar Media, contre 15 millions en 2019 (+83 %).

Consommer moins mais mieux

Il aurait été dommage de tout jeter alors que cela fait trois ans que Jules travaille dessus, comme l’explique sa directrice de la communication et du marketing opérationnel Karine Siebenhuner : « Nous avons dû convaincre l’actionnaire d’adopter cette plateforme de marque pour s’engager et avoir un point de vue. Depuis mars, la crise du Covid-19 a montré que ceux qui prennent position sont récompensés. » Il a fallu convaincre sur le nouveau business model du « consommer moins mais mieux », aux antipodes de la fast fashion. Cela ne veut pas dire que l’indicateur de performance de Jules sera désormais la baisse des ventes. « Avec la data, nous connaissons mieux les goûts de nos clients. Cette année, nous avons déjà produit 1,3 million de pièces en moins. Moins de stocks, c’est moins d’invendus, moins de soldes et une marge préservée, mais sans augmenter nos prix », ajoute-t-elle. Un changement de mentalité salutaire quand on sait « qu’avant, Jules achetait spécifiquement des produits pour les soldes », reconnaît Franck Poillon.

En 2020, Jules revendique 27 % de produits écoconçus à son catalogue, pour un objectif de 50 % en 2022 et 100 % en 2030. « Nous avions tendance à mettre des fioritures sur nos produits mais nous allons revenir à l’essentiel et mettre davantage le poids du corps sur la matière et la finition afin d’aider à garantir le prix », assure Erika Joffrin-Cadix, directrice produit de Jules. Dans chaque magasin, Jules va proposer un point de collecte de vêtements usagés en partenariat avec Le Relais. En 2021, elle prévoit une collection de produits upcyclés et redessinés à partir d’invendus. Et dans la foulée, le lancement d’un site de seconde main pour tenter de grignoter des miettes à Vinted. Fin 2021, Jules annonce même l’ouverture d’une usine de jeans à Roubaix (Nord). Mais pour l’instant, l'entreprise s’appuie sur des fournisseurs au Bangladesh et en Turquie. « Nous ne serons jamais irréprochables, le work in progress a de longues années devant lui », souligne Karine Siebenhuner.

« Il faut être vertueux partout mais c’est très complexe. Le coton bio a par exemple un moins bon rendement. Et il faut rester très vigilent sur ses fournisseurs… En Chine, des usines ont décidé de fabriquer des bouteilles vides pour des marques produisant des jeans recyclés ! » Il ne faudrait pas qu’un rapport d’association ne mette à terre une réputation si dure à verdir. Quoi qu’il en soit, la position du « work in progress » suffira tant que les marques seront jugées sur leur obligation de moyens. Mais, comme dans l’automobile, la mode aura-t-elle bientôt une obligation de résultats ?

Chiffres clés :

580. Points de vente de Jules.

1 million d'euros. Budget de lancement de la campagne « Men in progress ».

7,8 millions d'euros. Budget médias au 31 août 2020 (Kantar Media).

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