Dossier Sport et e-sport
À l’heure où toutes les marques - ou presque - se targuent d’être engagées, l’univers du sport fait figure de grand précurseur en la matière. Si ses valeurs d’ouverture et de solidarité ne datent pas d’hier, certains acteurs se distinguent désormais par des positions plus tranchées que par le passé.

Eté 2020. Le monde aurait dû se donner rendez-vous à Tokyo, la flamme olympique, faire escale dans la capitale japonaise autour du 24 juillet, les caméras, suivre les exploits des champions. À la place, les stades sont restés vides, le village olympique, désert, les médailles et les coupes, dans l’ombre, du fait de l'annulation des Jeux olympiques d'été. Depuis mars déjà, nombre de matchs, de compétitions, de rencontres professionnelles et amateurs n’ont pas pu avoir lieu, victimes du Covid-19. Amoureux du sport, sportifs, équipes d’athlètes ainsi que les marques du secteur se sont trouvé démunis.

C’est dans ce contexte que - comme à tous les autres annonceurs - s’est posée la question de l’engagement pour les marques de sport. « La différence, pour les très gros acteurs, c’est que, en cas de greenwashing, l’amplitude du retour de flamme risque d’être beaucoup plus importante, à la hauteur de l’audience médiatique dont bénéficie le sport », entame Morgan Taldir, directeur associé et fondateur d’Infiniment Sport, agence de communication événementielle et marketing par le sport. Decathlon a fait partie des marques qui se sont illustrées durant le confinement, avec son don de masques de plongée aux hôpitaux. De nombreuses autres ont encouragé le sport à la maison à l’aide de différents outils et applications. « Alors que la pandémie creuse les inégalités et la pauvreté, le sport, déjà engagé, redouble d’efforts car il y a deux fois plus de défis à relever », souligne Jordane Rabute, directeur du planning stratégique de Lafourmi, agence de communication dédiée à l’industrie du sport.

Il prend en exemple le footballeur anglais Marcus Rashford. « Engagé depuis longtemps contre la pauvreté infantile, il s’est mobilisé contre la décision de Boris Johnson de supprimer la distribution de repas gratuits pour les enfants pendant les vacances scolaires en pleine pandémie », explique Jordane Rabute. Il a notamment réussi à mobiliser des marques comme McDonalds ou Heinz.  

Au-delà des discours

Alors que toutes les marques affirment désormais vouloir s’engager, que les entreprises à mission se multiplient, le sport n’a pas attendu la crise pour le faire, loin de là. Le sport est par excellence un lieu de valeurs - partage, respect, volonté… - et de transformation sociale. Nike, championne de l’inclusion, fait figure de symbole dans ce domaine. En 2018, l'équipementier signait avec Colin Kaepernick, joueur de football américain devenu, deux ans plus tôt, la figure de la protestation contre le racisme et les violences policières, en posant un genou à terre pendant l’hymne américain avant le coup d'envoi du match.

Reste que, comme les autres marques, les firmes sportives sont soumises à la nécessité d’agir, au-delà des discours. « La sincérité du discours est un prérequis pour toucher les consommateurs. Il y a un danger de s’engager sans allier les paroles et les actes. Il faut déjà y croire soi-même », relève Sylvain Ventre, directeur associé et cofondateur de Willie Beamen, agence de publicité orientée sport. Nombre d'entre elles sont largement passées à la mise en pratique. « On ne peut pas transformer une entreprise sans leadership engagé. Adidas a une vraie stratégie purpose au niveau mondial reposant sur trois piliers, illustre Fabien Paget, fondateur de l’agence conseil en stratégie 17 Sport. Nous, on construit leur stratégie sur l’accès au sport pour les jeunes filles. Pour cela, nous travaillons avec des ONG, comme Streetfootballworld en Allemagne. En France, c’est en cours de définition. »

Pas de compromis

De son côté, la marque North Face s’est engagée pour ouvrir « l’écosystème outdoor » à tous. Outre un don de 7 millions de dollars en ce sens et une campagne pour porter ses valeurs, elle envisage, d’ici au printemps 2021, la création en France, sur le modèle américain, d’un conseil de personnalités pour améliorer l'accès à l'exploration. Autre exemple, Sport Heroes, réseau et application dédiés à la pratique collective de la course, du vélo ou de la natation, a annoncé début octobre un partenariat avec  WWF France pour sensibiliser ses membres aux enjeux environnementaux à travers notamment des défis sportifs.

Le contexte semble propice à une certaine radicalisation des messages. Et pas seulement dans le cadre du mouvement Black Lives Matter, au printemps 2020. « Avant, ce n’était pas concevable de s’investir à 100 % et sans compromis. C’est une vraie prise de risque de la part des institutions sportives. Cela vaut aussi pour les marques : Nike, Puma, Adidas se sont toutes impliquées. Il y a une forme de radicalité dans l’engagement. C’était inconcevable il y a encore quelques années », développe Jordane Rabute.

Fini les prises de position à demi-mot, ou de façon défensive : les engagements semblent aujourd’hui plus clairs, affirmés, assumés. La marque Patagonia, très engagée pour l’environnement, n’a pas hésité, durant la dernière campagne présidentielle américaine, à appeler à battre les climato-sceptiques au moyen de messages pour le moins fleuris sur les étiquettes de certains produits (« Vote the assholes out »).  

Au-delà de la radicalité, la communication des marques peut aussi prendre un tour collaboratif. Pendant le mouvement Black Lives Matter, des marques habituellement concurrentes ont reposté les publications les unes des autres sur les réseaux sociaux. Sur un autre plan, les consommateurs peuvent être associés à la conception des produits. Ainsi, Adidas avait, il y a environ deux ans, lancé un concours de co-création autour de la chaussure Glitch. De son côté, Decathlon possède une plateforme dédiée, Decathlon Cocréation, qui vise à favoriser les échanges avec les consommateurs et leur permettre de tester des prototypes.

Sportif et dépressif

« La collaboration doit primer sur la compétition, ambitionne Fabien Paget. Quand une entreprise sponsorise un événement sportif, elle demande l’exclusivité. Cette exclusivité pourrait être questionnée. L’idée serait d’utiliser l’événement comme plateforme pour faire passer les bons messages. »

Enfin, un dernier basculement des marques de sport s’observe, vers l’intimité. « Au niveau des athlètes mais encouragé par les marques, il y a eu tout un mouvement dans lequel les sportifs font état de leur dépression, leur mal-être, leurs angoisses, comme le basketteur américain DeMar DeRozan, relate Jordane Rabute. Ce dévoilement de l’intimité et le fait d’afficher ses faiblesses n’aurait pas été possible il y a cinq ou dix ans. » C'est une façon de faire passer différents messages comme le fait que tout le monde peut traverser des périodes difficiles, y compris les champions.

Tous ces sujets devraient continuer à prendre de l’ampleur alors que se profile, à plus ou moins long terme, la reprise des grands événements sportifs, comme les JO de Paris 2024. Ce n’est pas un hasard si l’engagement écologique est au cœur du projet.

Puma, marque engagée

« Ce qui nous anime, ce sont les preuves. » Voilà ce que martèle Benoît Ménard, directeur marketing de Puma France. La crise a été l'occasion de le démontrer. « Nous avons voulu aider les clubs amateurs », confie-t-il. Pour cela, la marque a proposé -50 % sur une série de gammes d’équipements pour permettre aux clubs de s’équiper à prix coûtant, dans le cadre de l’opération « À la base », menée avec Intersport, Sport Easy et Mon Petit Gazon. « Lancée l’été dernier, l’initiative durera jusqu’à la fin de la saison. Un millier de clubs ont souscrit à ce programme », complète le directeur marketing. Parmi les autres actions menées : une contribution à la Fondation des Hôpitaux de Strasbourg, l’association avec une styliste, Anna Stezi, pour la création de masques donnés à des associations ou la distribution de maillots de l’OM aux soignants marseillais. « Pendant le Covid, de nombreux pays ont pris leurs propres initiatives. La crise a accéléré le temps que l’on passe sur ces sujets, les moyens dédiés. Il ne se passe plus une réunion sans que l’on en parle, avec nos clients, nos distributeurs…», développe Benoît Ménard.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.