États-Unis
Dans une vie antérieure, Brad Berens était un spécialiste reconnu de Shakespeare. Depuis mars, il est rédacteur en chef et vice-président de l’IAB. Également conseiller du Center for the Digital Future de l’université USC Annenberg de Los Angeles, spécialisé dans les technologies du futur et les comportements, il dresse pour Stratégies un état du marché et des tendances de demain.

Comment s’en sort le marché publicitaire américain avec la crise de la Covid-19 ?

Brad Berens. Dans notre étude Pulse sortie début septembre et intitulée « La lumière au bout du tunnel », nous avons constaté que les dépenses publicitaires avaient chuté de 8 % aux États-Unis par rapport à l’an dernier. Compte tenu de la crise économique très importante que nous avons vécue, un recul aussi faible est donc une bonne nouvelle ! Et la majeure partie provient des médias traditionnels, en recul de 30 %. Les dépenses dans le digital, elles, augmentent de 6 %. Avant la Covid, beaucoup d’annonceurs étaient réticents à l’idée de faire de la publicité sur des médias d’information, en ligne ou traditionnels. Mais nous nous sommes aperçus que le soutien à l’information avait des conséquences positives pour les marques : le public tend à leur faire plus confiance. C’est l’une des conséquences positives du virus.

Quelles sont les tendances que ce contexte de crise a consolidées ?

Le virus nous a propulsés dans le futur. Il a accéléré des tendances clés que nous observions déjà. Des supports comme la télévision connectée et les plateformes de streaming tirent leur épingle du jeu. Leur consommation a très fortement augmenté ces derniers mois, alors que la production audiovisuelle était à l’arrêt. Nous avons vu de nombreux consommateurs se plonger dans les archives de films pour dénicher des contenus qu’ils ne connaissaient pas. Les environnements de streaming en ont grandement bénéficié. Et les dépenses publicitaires dans les CTV – connected TV – sont en hausse de 19 % par rapport à l’an dernier. Sur le long terme, la crise va renforcer l’exigence de flexibilité de la part des acteurs du marché du digital. Personne ne peut dire ce qu’il va se passer dans deux semaines ou un an. La pandémie a aussi montré la difficulté à trouver le bon ton. Au début de la crise, les annonceurs ont abandonné leurs traditionnels messages de promotion de produits au profit de publicités plus fédératrices, pour rappeler que nous étions tous unis durant cette période. Cela n’a marché que quelques semaines.

Pensez-vous que les habitudes de consommation vont changer durablement avec la Covid ?

D’ici à l’arrivée d’un vaccin sur le marché, nous aurons pris de ­nouvelles habitudes. Nous aurons passé plusieurs mois à utiliser la télévision connectée ou les sites de streaming pour regarder nos programmes favoris, à l’exception des sports – même si cela est de moins en moins le cas avec l’émergence de services de streaming comme ESPN+. L’attention pour ces supports et leur monétisation vont se poursuivre dans les années qui viennent.

La Covid est intervenue à un moment où le secteur devait faire face à un autre type de séisme : la fin des cookies tiers. Quel est l’avenir de la publicité ciblée ?

La communauté adtech doit se préparer, car rien n’arrêtera Google dans son souhait de se débarrasser des cookies tiers sur Chrome, au vu des nouvelles lois sur la protection des données en Europe, en Californie et dans d’autres États américains comme le Delaware. La bonne nouvelle, c’est que les annonceurs et les éditeurs vont rapidement se rendre compte du réservoir de valeur que représentent leurs cookies internes. Certes, des questions sur l’adressabilité et le ciblage se poseront. Mais il y a déjà des alternatives comme la Privacy Sandbox proposée par Google, qui doit permettre de continuer le ciblage, tout en protégeant les données des utilisateurs. Les ­annonceurs, en particulier dans le retail, développeront de meilleures relations avec leurs clients.

Autre mal pour un bien : dans un récent rapport de l’IAB, nous avons trouvé que les données de ­cookies internes étaient plus propres. Alors que les réglementations sur la ­protection des données ont restreint le nombre de clients qui peuvent être ciblés, ceux qui demeurent sont plus intéressés et pertinents, ce qui engendre une dépense publicitaire plus efficace. Il y a donc là une opportunité pour les marques d’améliorer la relation avec leurs clients existants et d’en acquérir de nouveaux. Le déclin des cookies tiers ne va pas faire de mal à Facebook ou Google, mais c’est aussi l’occasion pour les éditeurs traditionnels, comme Condé Nast, le New York Times et Hearst, de se renforcer. Avant, grâce au ciblage comportemental, les annonceurs pouvaient identifier le ­lecteur d’un média donné, comme le magazine culinaire Bon Appetit, qui appartient à Condé Nast, quel que soit le site qu’il utilisait, même si ce n’était pas celui de Bon Appetit. Avec le déclin des cookies tiers, les annonceurs devront se rendre directement auprès du magazine pour toucher ses lecteurs.

Quels sont les univers publicitaires dans lesquels les annonceurs devraient investir aujourd’hui ?

Sur le court terme, la télévision connectée. Les investissements et l’attention du public sont énormes en ce moment. On y trouve en permanence du contenu inédit, suivi par une niche importante. Autres secteurs : la réalité augmentée et les shoppable ads – les publicités vidéo cliquables –, des univers qui devraient tous deux fortement augmenter dans le futur. Comme le retail est sous pression aujourd’hui à cause de nos nouvelles habitudes sédentaires et des disruptions de la chaîne logistique, il faut trouver de nouvelles manières de faire découvrir les produits aux consommateurs. Sur le long terme, on doit également s’intéresser aux objets connectés pour le corps, comme les montres, les lunettes ou encore le bracelet Halo d’Amazon qui évalue notre humeur. Ce sont autant d’opportunités pour les annonceurs de lier leurs publicités au ressenti du consommateur à un moment donné. 

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