Com de crise
Depuis 2015, Marie Muzard et ses équipes consignent chaque bad buzz d’entreprises dans une base de données. Grâce à des algorithmes, il est possible de déterminer les futurs sujets tabous et les stratégies pour les éviter. Quels ont été les bad buzz marquants en 2020 et quels seront ceux de 2021 ? Éléments de réponse.

Prévoir à l’avance les bad buzz et les contourner. Et si ce n’était pas de la divination ? Chaque jour, depuis 2015, MMC (Marie Muzard Conseil) répertorie tous les bad buzz d’entreprises. Une base de données de plus de 4 000 cas qui permet aujourd’hui, grâce à des algorithmes, de mesurer les risques à l’avance pour tout nouveau projet (lancement de produit, campagne de communication, prise de parole...), mais également, au cœur d’une crise, d’aider à la décision. Ainsi, cette technologie prédictive est capable de détecter des signaux faibles et de prédire quels seront les sujets tabous de ces prochains mois ou années.

Stéréotypes buzzogènes

« Les seuils de sensibilité devraient continuer à s’abaisser pour le sexisme et les sujets ethniques, comme on l’observe chaque année », avertit Marie Muzard, experte en crise digitale, fondatrice et directrice générale de MMC. Des stéréotypes longtemps considérés comme positifs (femmes douces et attentionnées, par exemple) risquent d’être de plus en plus buzzogènes. « Les bad buzz liés au woke washing vont également augmenter, sous la pression des clients, de l’opinion et surtout des salariés, à l’instar de Disneyland qui a dû renoncer à se séparer de ses intermittents lors du premier confinement », ajoute l’experte. La sensibilité à l’environnement et aux animaux est une autre tendance émergente, le risque de bad buzz lié à la cruauté envers les animaux est très fort en 2021. Tout comme les sujets qui évoqueront un éventuel « racisme anti-blanc ». La misandrie (aversion pour les personnes de sexe masculin) est aujourd’hui un signal faible et devrait devenir taboue d’ici trois ans. « Il est important de noter que tout sujet tabou a d’abord été un sujet “radical”, presque militant, quelques années auparavant. Ce que l’on considère aujourd’hui comme radical apparaîtra comme une norme dans un ou deux ans. À l’instar de l’écriture inclusive, qui bad buzzait il y a deux ans, qui ne choque plus à l'heure actuelle, mais dont la non-utilisation bad buzzera demain », entrevoit Marie Muzard.

Effet Covid-19

Selon le dernier Baromètre MMC des bad buzz pour 2020, le nombre de cas a reculé de 12 % en 2020 vs. 2019. Et même, pour Google, Facebook et Apple, les mauvais élèves de 2019, c’est moitié moins de bad buzz qui ont été recensés cette année. L’effet Covid-19, sans doute, qui a monopolisé l’attention publique et médiatique. « La colère de l’opinion s’est davantage cristallisée sur les dirigeants politiques que sur les entreprises », observe la spécialiste. Cependant, comme le montre le rapport, les marques qui ont donné le sentiment d’exploiter la pandémie dans un but de profit ont essuyé des polémiques. « La plupart ont été très vigilantes et ont plutôt saisi cette “opportunité” pour montrer leur engagement dans la société », complète-t-elle. Du reste, le Covid-19 n’explique pas tout dans cette diminution des bad buzz. Les marques sont aujourd'hui mieux équipées pour les prévenir et les gérer. « Ce n’est pas un hasard si les entreprises qui, en 2019, ont été victimes de nombreux bad buzz ont expérimenté presque deux fois moins de bad buzz l’an dernier. Elles ont “appris” », assure Marie Muzard.

La communication est l’option désormais dominante, c’est le cas de 81 % des entreprises contre 76 % en 2015. « Le silence en général renforce le bad buzz plus qu’il ne l’apaise. Il faut communiquer pour s’assurer que sa “défense” sera visible sur les réseaux sociaux et ne pas laisser les “détracteurs” seuls sur le terrain. Une communication permet de laisser des traces plus positives sur le web », recommande-t-elle. 

Sociologues et spécialistes intégrés

Les grandes marques, plus visibles, et donc premières victimes de bad buzz, se sont structurées en intégrant des sociologues ou des spécialistes « en inclusion » qui sensibilisent les managers aux « tabous digitaux ». D’autres commencent à se doter d’outils d’analyse prédictive afin d’évaluer le risque d’une initiative ou d’une campagne de publicité sur l’opinion. Mais attention, «la peur du bad buzz conduit parfois au bad buzz, à l’instar de L’Oréal qui, en juin dernier, a supprimé tous les termes “clair” ou “éclaircissant” de ses produits pour teinter la peau dans le contexte Black Lives Matter... et qui a essuyé un bad buzz », rappelle l’experte. Ainsi, la tendance est désormais à l’hyper-réaction et au rétropédalage, souvent dans la précipitation, et sans que cela ne soit vraiment nécessaire. Par exemple, début 2020, Franceinfo s’est excusé pour avoir qualifié Taha Bouhafs de militant, a fait marche arrière pour le re-qualifier de journaliste, et a généré une polémique pour cela. Pour Marie Muzard, « la polarisation de la société française devrait se renforcer, sur les traces de la société américaine. Les entreprises en quête du graal (le “good buzz”) tomberont dans le piège du débat clivant. Aujourd’hui déjà, elles s’engagent sur des sujets politiques ou sociétaux pensant s’attirer la sympathie générale, mais qui en fait divisent l’opinion. »

Itinéraire d’un bad buzz

Mais au fait, c’est quoi un bad buzz ? Pour le MMC, il s’agit d’une « vague de critiques inhabituelles sur les réseaux sociaux, qui devient significative lorsqu'elle est relayée dans certains médias dits traditionnels ». C’est souvent un influenceur qui lance un bad buzz (une personnalité réputée sur les réseaux sociaux ou IRL – dans la vraie vie –, ou encore un média traditionnel), mais un simple anonyme peut en être à l’origine si ses followers ou contacts  s’identifient à lui, approuvent son mécontentement et décident de partager à leur tour la publication avec leurs contacts. Si parmi ceux-ci figure un influenceur, la publication devient alors virale et donne lieu au bad buzz.



Top 10 des sujets tabous qui émergent

1. Discrimination ethnique : 19%

2. Non respect clients : 18% 

3. Comportements déviants/à risque (mise en danger d’autrui, affaiblissement des profils fragiles) : 14% 

4. Sexisme : 11% 

5. Manipulation (volonté de tromper, dissimuler etc dans un but « lucratif ») : 11% 

6. Discrimination sociale : 9% 

7. Atteinte à l’environnement : 4% 

8. Atteintes aux valeurs  fondamentales (confidentialité, liberté d’expression etc) : 4% 

9. Atteinte aux animaux : 4% 

10. Discrimination religieuse : 3%

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