Digital
Les start-up se multiplient pour aider l'entreprise à réduire son empreinte numérique. Elles anticipent à la fois les attentes légales, et nourrissent un marketing demandeur de « low carb ».

On croirait revenue la grande époque de l’isolation des combles à un euro, avec sa multiplicité de solutions et sollicitations. Maintenant, voici venues les offres proposant aux entreprises de mesurer leur pollution numérique. Et elles sont pléthore. En avril, un quatuor d’entrepreneurs lance Fruggr. En juin, après un an et demi de R&D, voici venu Greenmetrics. Entre les deux, Impact+ s’attaque plus spécifiquement aux émissions carbone de la publicité en ligne. Fermez le ban ? Non : en janvier, Publicis lançait le Positive Media Project pour coconstruire des solutions média plus responsables. Depuis 2016, les entreprises privées de plus de 500 salariés doivent établir leur bilan carbone tous les quatre ans. Dans le sillage de cette obligation, une multitude de start-up avaient éclos : Aktio, Carbo, Greenly, Sami… Cinq ans plus tard, dont un passé en télétravail pour un Français sur sept (Odoxa), c’est le numérique et ses émissions de CO2 qui sont dans le viseur. Contrairement aux constructeurs automobiles à qui Bruxelles fit une clé de judo pour leur imposer de réduire leurs émissions à 95 grammes de CO2, rien ne contraint pour l’instant les entreprises à atteindre tel ou tel objectif sur le digital. Seule la feuille de route « numérique et environnement », publiée le 23 février, incite à faire « converger les transitions numérique et écologique », mais elle n’a pas valeur de loi. Dans la foulée, une tribune d’un collectif emmené par la députée indépendante Paula Forteza déplorait même que « le projet de loi Climat et résilience [fasse] l’impasse sur les enjeux du numérique ». Alors, la sobriété numérique, nouvelle marotte de start-up à impact voulant vendre de nouveaux labels aux marques ? Ou réelle compréhension de la pollution digitale ?

« Le numérique responsable alimente la réflexion des entreprises sur leur transformation durable, qui est demandée collégialement au travers d’une saine pression du marché, de la réglementation, des clients finaux, des actionnaires, des analystes financiers, pour qu’elles agissent réellement », observe Carole Davies-Filleur, directrice associée et responsable développement durable et technologie chez Accenture France. Dans les promesses des grands groupes qui ont annoncé réduire leur empreinte carbone ou atteindre la neutralité carbone à tel horizon – généralement, entre 2030 et 2050 –, l’une des composantes indiscutables est le numérique. Selon les chiffres bien connus de l’Ademe et de sa « Face cachée du numérique », le secteur des nouvelles technologies « représente à lui seul entre 6 et 10% de la consommation mondiale d’électricité – soit près de 4% de nos émissions de gaz à effet de serre ». Mais ce qui inquiète est la trajectoire ; l’Agence de l’environnement s’attend à un « doublement de cette empreinte carbone d'ici 2025 ». Carole Davies-Filleur appelle à la création « d’outils de pilotage de la performance RSE qui soient aussi performants que, par exemple, le pilotage financier aujourd’hui ». Elle déplore qu’à ce jour, « l’empreinte carbone de l’IT [soit] encore bien souvent reportée sous Excel… »

Analyse en continu 

« Si on veut contribuer à réduire l’impact carbone du numérique, il faut déjà le mesurer. Le bilan carbone permet de faire une photographie une fois par an mais ce n’est pas assez précis, et pas assez fréquent », explique Frédérick Marchand, cofondateur de Fruggr. Ce logiciel se connecte à l’informatique de l’entreprise et analyse en continu les équipements, le réseau et les serveurs. Au total, 120 indicateurs permettent d’établir un reporting. Le tout est traduit en émissions de gaz à effet de serre en se basant sur plusieurs référentiels établis par l’Ademe, l’Agence internationale de l'énergie et le Shift Project. La start-up a déjà des clients : Casden (Banque Populaire), Enedis, La Poste. « Il y a un gros appétit du marché, c’est assez impressionnant », assure l’entrepreneur, également à la tête de Digital4Better, une entreprise de services numériques labellisée ESS ; une fois le bilan carbone numérique établi, cette ESN peut proposer des pistes d’amélioration…

Chez Greenmetrics, l’idée est aussi de réduire l’empreinte carbone du numérique. « Notre outil mesure la pollution en s’appuyant sur l’Ademe, puis nous formulons des recommandations », explique le fondateur, Nicholas Mouret. Selon lui, il est « facile de lever des fonds » dans ce secteur. Impact+, cofondée par Vincent Villaret, s’attaque quant à elle à la publicité en ligne. « Notre outil propose aux agences médias, aux régies et aux annonceurs de prendre conscience de leurs émissions alors que le numérique représentera 60% des investissements en 2023. » Sa plateforme leur fournit un indicateur d’un nouveau genre : « l’énergie engagée pour mille impressions publicitaires/vues complètes/clics générés… » Impact+ effectue en conséquence un achat média inédit : « Nous pouvons préférer servir une campagne à un mobinaute en wifi plutôt qu’à un autre en 4G, car ce sera moins consommateur en énergie », illustre l’entrepreneur ; à la condition sine qua non que le retour sur investissement de l’annonceur n’en soit pas trop affecté !

La sobriété numérique est aussi un argument marketing. En France, Engie, avec son programme Greener Digital, est l’un des annonceurs les plus actifs. L’énergéticien prodigue des bonnes pratiques : doter son site d’un dark mode, éviter trop de monde en copie de mails, etc. Mais comme l’explique Julien Marcaut, vice-président digital communication du groupe, cette initiative est un positionnement de marque de la part d’un « énergéticien leader mondial sur la transition énergétique ». Le prochain coup sera de fédérer des acteurs au sein du Positive Media Project – qui est en train de nommer sa présidence – afin de converger vers des normes légales. Si un site bas carbone – « le plus green du CAC 40 », dixit Julien Marcaut – agit en vitrine pour un énergéticien, quid d’autres acteurs économiques ? Et si pour certains, la sobriété numérique était un nouvel avatar du greenwashing ? Le designer éthique Geoffrey Dorne avertit : « Si Netflix lance un site bas carbone, ça ne changera rien au service de streaming qui consomme énormément. »

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