Stratégies Les 50
Jean-François Rial, président du groupe Voyageurs du Monde, livre son regard sur l’avenir d’un secteur déboussolé par la crise du covid et confronté au grand défi de la transition écologique et aux aléas géopolitique

Constance Benqué : Quelles sont les grandes tendances qui se dessinent pour le voyage dans un monde post-covid ?

Jean-François Rial : Cette crise sanitaire, et avant elle la grande crise écologique que nous traversons, marque un tournant irrémédiable dans notre activité. Il faut cependant distinguer plusieurs phases d’évolution possible. À court terme, la privation a été telle que les gens vont consommer des voyages comme avant, sans se soucier d’écologie. En revanche, d’ici cinq à dix ans, la pression des salariés, des actionnaires, des électeurs, des consommateurs, sera telle qu’elle amènera des décisions politiques fortes. Une taxe carbone mondiale me semble notamment inéluctable. Les conséquences financières sur le voyage en avion seront importantes, ce qui induira de facto de nouveaux comportements : voyager moins souvent et plus longtemps.

Les préoccupations environnementales croissantes ont-elles déjà un impact sur le secteur ?

Nous sommes face à une équation complexe : la crise écologique nécessite des transformations immédiates. Pourtant, l’industrie aérienne dont nous dépendons en grande partie, est à ce jour incapable technologiquement d’atteindre les objectifs du Giec [la neutralité carbone en 2050, préconisation que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat juge désormais insuffisante]. A contrario et pour la première fois, l’IATA (Association mondiale des compagnies aériennes) estime qu’elle tiendra ce cap. C’est un changement majeur pour un organisme qui jusqu’à présent annonçait réduire ses émissions de seulement 50 % par rapport à 2005. C’est encourageant mais il faut attendre d’en savoir plus sur la réduction réelle et celle générée par absorption de la part résiduelle. Je crois pour ma part à une taxe carbone «intelligente», appelons-la «contribution planète», qui aurait le double objectif de financer la transition de l’aérien et de soutenir des projets d’absorption de CO2, des plantations d’arbres par exemple. Une solution concrète et efficace. Cette contribution aura un impact important sur les tarifs aériens mais ce n’est pas la pire des solutions. D’autres, comme la mise en place d’un nombre limité de déplacements par voyageur, seraient bien plus restrictives. Aujourd’hui, cela semble incompatible avec notre vision démocratique, mais nous ne sommes pas à l’abri de grands changements. Enfin, l’interdiction totale de voyager en avion est une solution radicale qui reste défendue par certains.

Que dire du contexte géopolitique et ses conséquences sur le voyage, avec de plus en plus de territoires marqués par un affaiblissement de la démocratie et un radicalisme religieux croissant ?

Sur ce point les conséquences pourraient être beaucoup plus rapides. Aujourd’hui, vous voyagez en Chine, en Colombie, dans tous les pays de l’ex-URSS, aussi facilement qu’aux États-Unis, à peu de chose près. Mais nous sommes peut-être au pic. Le contexte tendu, notamment vis-à-vis des pays de l’Islam, le souffle de populisme qui balaye le Brésil, la Russie, la Chine, sont le signe que de nombreux pays pourraient fermer leurs frontières aux voyageurs.

Quelle transition peut être mise en place dans les pays économiquement dépendants du tourisme, souvent du tourisme de masse ?

Le tourisme de masse a des conséquences environnementales et humaines négatives sur ces pays mais aussi sur les voyageurs. Le tourisme populaire peut ne pas être de masse. Accessible au plus grand nombre, il représente dans certains cas 25 % du PIB du pays. À nous professionnels et aux gouvernements concernés d’encourager un mode de voyage à petit budget qui privilégie les structures de taille raisonnable harmonieusement réparties dans l’espace.

Comment allez-vous réussir à induire de nouveaux comportements ?

Ce serait prétentieux de vouloir changer les esprits. Nous avons vocation à influencer, en défendant une certaine manière de voyager, basée notamment sur un rythme plus lent : flâner, humer, profiter d’un pays au lieu d’en voir 4 en 12 jours. Le changement de comportements nécessite une sensibilisation plus globale.

Vous avez été nommé président de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris. Comment allez-vous communiquer auprès de vos différents publics ?

Les offices de tourisme devraient revoir leur stratégie. Aujourd’hui, la communication est trop souvent basée sur des clichés, montrés de façon relativement triviale et dépassée. La première chose à faire consiste à gommer ces poncifs au profit de l’esthétisme et du «vrai». Vous citez Paris : il faut oublier la tour Eiffel et plutôt montrer les adresses sympas du 19e arrondissement. J’ai d’autres idées en tête qui impliquent des améliorations écologiques, esthétiques et fonctionnelles de la ville. Je pense notamment à la mise en place de vaporettos électriques ou encore à l’extension des horaires des musées afin de fluidifier les visites.

Quelle est la place des médias dans votre stratégie de communication ?

Les médias tiennent une place croissante dans nos vies, à condition qu’ils soient légitimes. En cela, Voyageurs du Monde peut un peu se considérer comme un média. Nous communiquons notre vision du voyage par un magazine qui traduit bien notre âme et une approche du monde décalée ; par des newsletters qui sont adressées à près d’un million de clients et prospects, sensibles à notre manière de voyager. Faire de la publicité au sens classique n’a pas beaucoup de sens car le style de voyages que nous proposons n’est pas un achat impulsif et deux tiers de nos clients sont des répétiteurs. Notre notoriété sur les réseaux sociaux fait le reste. Enfin, ma visibilité dans les médias généralistes et sur Twitter aide à incarner cette façon de voyager différemment.

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