À quelques jours de l’ouverture de la Paris Design Week, rencontre avec le designer Julien Gorrias, qui imagine des objets rendus encore plus beaux par l’usure. 

Julien Gorrias a débuté dans le théâtre, et par les hasards de la vie, il est devenu directeur du design d’Aldebaran Robotics, le créateur des robots Pepper et Nao. « La société cherchait un comédien pour animer ses robots humanoïdes. À force de travailler avec les ingénieurs, j’ai fini designer. » Après avoir brûlé les planches et les étapes, il reprend ses études à l’ENSCI-Les Ateliers en 2016, où il réalise son mémoire sur l’usure et le bénéfice du temps. Il développe une théorie sur l’usage des objets qui leur donne de la valeur : par exemple, une paire de chaussures qui devient plus confortable quand on l’a portée. On pense au kintsugi, cet art japonais qui ennoblit un bol cassé en le réparant à la peinture dorée. Fondateur en 2020 de l’agence Carbone 14 Studio (du nom de l’isotope qui permet de dater les trouvailles archéologiques), il crée du mobilier pensé pour durer, mais pas dans le sens de solidité immuable. Sa table basse Torii, entrée dans les collections du Mobilier national, est composée de 12 couches de peinture rouge, blanche et bleue superposées, qui s’altèrent au fil du temps, révélant le bois brut.

« Son nom vient du portail japonais qui sépare le monde visible du monde invisible, explique le jeune homme de 37 ans. La table basse aussi sert à cacher le bazar que l’on ne veut pas voir. Plus elle s’use, plus elle révèle le bois, ce qui lui donne sa singularité et sa poésie. » Une sorte d’obsolescence programmée qui n’est pas synonyme de jetable, mais de durable dans l’imperfection. Une démarche alternative à l’éco-conception, qui questionne notre rapport à l’objet. « En tant que designer, je peux me demander si l’on a déjà produit assez de chaises. Je suis convaincu que non. L’humain a besoin d'agir et de construire, mais d’une manière qui ne porte pas préjudice à l’environnement. Je ne suis pas favorable à la décroissance. Je pense qu’il peut exister une croissance à impact positif. » 

Autre manifeste de sa démarche, « La chaise qui cache la forêt » est fabriquée sans dérivés de pétrochimie, avec du bois moulé à la vapeur et de la colle de poisson, si bien qu’elle pourrait être abandonnée dans la nature sans la dégrader. Elle contient même des graines dans ses pieds. On pourra la retrouver pendant la Paris Design Week au festival Anticipation à l’Académie du Climat à Paris, du 14 au 17 septembre, aux côtés d’un luminaire réalisé en soie naturelle filée dans les Cévennes, « La lampe qui va de soie ». Julien Gorrias souhaite aller plus loin dans sa démarche en remplaçant le latex et le polyuréthane présents en grande quantité dans l’ameublement avec des matériaux locaux et naturels. « Face à la crise climatique ou à ChatGPT, l’être humain est condamné à être créatif. Les contraintes nous poussent à regarder le monde différemment et à trouver des solutions nouvelles », affirme ce père de trois enfants.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.