Dans un contexte où les risques, notamment climatiques, n’ont jamais été aussi nombreux, Thomas Buberl, CEO du groupe Axa était le Grand invité du Stratégies Summit. Nouveaux risques, IA, vision du marketing et de la pub, achats médias… Tour d’horizon des enjeux du moment pour le géant de l’assurance.
Incendies géants, tornades, canicules à répétition… Les nouveaux risques climatiques sont partout et accroissent l’incertitude, comment un assureur peut-il faire face dans ce contexte ?
Le maître mot, c’est la prévention. Nos sociétés sont confrontées à deux types de risques : d’abord, les risques climatiques que nous connaissons déjà, comme les ouragans que États-Unis subissent chaque année. Avec un changement notable : entre Katrina (2005) et Irma (2017), qui ont lieu à douze ans d’intervalle, pour des phénomènes d’ampleur similaires, le coût des dégâts a significativement diminué. Cela signifie qu’après Katrina, les États et les entreprises ont pris des mesures de prévention pour mieux se protéger. Autrement dit, la prévention, ça marche ! C’est un axe que nous souhaitons d’ailleurs renforcer - à travers notamment Axa Climate - en aidant nos clients à anticiper les risques.
Par ailleurs, nous voyons depuis quelques années l’accentuation de risques en lien avec le changement climatique - sécheresses, incendies, inondations, tornades… Des phénomènes dont la fréquence a beaucoup augmenté, on l’a bien vu cet été. Là encore la prévention est la pierre angulaire de notre stratégie. Il nous faudra travailler beaucoup plus dans le futur avec nos clients, mais aussi avec les États, pour mieux nous préparer à ces risques, notamment au moyen de partenariats public-privé. La France dispose de l’un des meilleurs régimes d’indemnisation des catastrophes naturelles : le principe est de mettre de l'argent de côté dans des périodes où tout va bien pour avoir suffisamment de moyens lorsqu’un événement se produit. Prévenir, assurer, rassurer, jamais le mot assurance n’a pris autant de sens.
Dans ce contexte incertain, comment avez-vous vu évoluer la position des entreprises et particuliers face à la notion de risque et qu’est-ce que cela change pour un assureur ?
Nous mesurons cette évolution chaque année, à travers notre étude « Axa Future Risk Report ». Selon cette étude, l’échelle des risques n’a pas foncièrement variée depuis 10 ans - hors la période Covid où le risque pandémique était prioritaire. Les risques liés au climat, à la cybersécurité, à la fragmentation sociale, sont toujours en tête. En revanche, on mesure une baisse de la tolérance au risque, notamment auprès des particuliers, tandis que la capacité des grandes institutions (Etats, entreprises…) à gérer ces risques est jugée insuffisante. Ajoutez à cela une dimension générationnelle - avec une divergence entre plus jeunes et plus âgés - et vous obtenez une équation compliquée. Pour toutes ces raisons, il faut être encore plus proactif dans la gestion de ces risques et aider les entreprises et les particuliers à mieux se protéger.
Dans cet environnement complexe, comment expliquez-vous les bons résultats financiers d’Axa au premier semestre, avec par exemple une hausse du résultat net de 5 % à 4,1 milliards d’euros ?
Au-delà de la bonne performance commerciale du groupe, l’indicateur du premier semestre 2023 dont nous sommes le plus fiers c’est le ratio de solvabilité car il témoigne de la solidité de l’entreprise. Avec 235 %, nous démontrons la capacité d’Axa à s’adapter et à faire face à un contexte devenu extrêmement incertain. C’est le fruit de notre dernier plan stratégique, au cours duquel nous avons repositionné l'entreprise sur un portefeuille d’activités plus diversifié et moins sensible aux cycles économiques. Ainsi, nous avons été très peu touchés par la faillite de la Silicon Valley Bank aux Etats Unis début 2023.
Comment avez-vous transformé l’entreprise depuis votre arrivée à sa tête il y a sept ans ?
Notre transformation a suivi trois axes majeurs. D’abord, nous avons recentré l'entreprise sur les risques techniques classiques : habitation, santé, auto, dommages entreprises... A la sortie de la crise financière de 2007-2008, Axa était orienté à 80% sur l’assurance vie. Aujourd’hui, cela ne représente plus que 20% de notre activité, à chiffre d’affaires égal. Ensuite, nous avons réorganisé notre présence géographique avec un critère simple : cibler les marchés où nous pourrions être dans le top 3 en cinq ans.
Nous avons donc une implantation géographique très équilibrée : la France représente environ un quart du profit d’Axa, comme Axa XL [division grands risques d’Axa], l’Europe. Puis viennent l’Asie et le reste du monde. Evidemment, la France garde pour le groupe son rôle de moteur et de laboratoire.
Le troisième axe a été de faire évoluer notre offre pour accompagner nos clients face aux nouveaux risques (cyber, climat, santé…) et plus globalement éclairer nos publics sur ces transitions (santé, climat, cohésion sociale…). Nous voulons montrer le chemin et rassurer. C’est tout le sens de notre nouvelle campagne globale de marque « Why should the future be a risk ? » (« Et si on ne voyait plus le futur comme un risque ? » ) qui annonce notre prochain plan stratégique.
Axa a repris les acquisitions avec la filiale des Assurances du Crédit Mutuel en Espagne, Laya Healthcare Limited en Irlande… D’autres sont-elles prévues ?
Les acquisitions font partie de notre plan de développement si elles sont ciblées, s’inscrivent dans notre stratégie et dans notre discipline financière. Depuis deux ans nous avons ciblé des acquisitions pour nous renforcer dans certaines zones, comme récemment en Turquie et en Espagne, des marchés dans lesquels nous sommes bien positionnés. En Irlande, nous sommes très présents dans l'assurance auto mais absents de celle de la santé. En rachetant Laya Healthcare, nous sommes entrés directement comme numéro deux du marché. De plus, nous acquérons un savoir-faire très intéressant sur les services de santé digitale et la relation client.
Axa vient de publier son rapport Climat et Biodiversité où l’accent est mis sur la décarbonation des portefeuilles d’assurances, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
La première phase de notre stratégie climat a consisté à réallouer des moyens auparavant fléchés vers des industries polluantes comme le charbon, en direction d’investissements verts. Une étape réussie. Depuis 2015, nous avons multiplié par dix nos investissements dans les énergies renouvelables pendant que notre exposition au charbon a diminué de 70% en seulement cinq ans. Nous visons désormais une baisse de 50% de l'empreinte carbone de nos actifs en fonds général entre 2019 et 2030. Côté assurance, nous avons annoncé des engagements inédits afin de réduire l’intensité carbone de notre portefeuille d’assurance automobile particulier et les émissions absolues de nos clients « Corporate ». C’est une véritable transformation de nos métiers qui demande un dialogue accru avec nos clients et nos partenaires.
Comment affirmer des engagements RSE tout en continuant d’assurer les entreprises spécialisées dans les énergies fossiles ?
Nous avons tous le même but : décarboner nos économies. Et nous devons tous accélérer nos efforts pour y parvenir. Mais, tout interdire tout de suite, soyons clairs, ce n’est ni réaliste ni efficace ! Pour réussir, il faut accompagner les entreprises et fixer une trajectoire avec elles. Aider, cela passe aussi par une discipline claire. Nous ne nous engageons qu’auprès de celles qui ont un plan d’action très concret, avec des indicateurs et des investissements bien définis et ambitieux. Pour cette raison, il nous est déjà arrivé de refuser des clients. Côté investissements, nous sommes extrêmement sélectifs. Pour preuve, seul 1% des actifs de notre fonds général est alloué aux énergies fossiles. Rappelons-nous : la première fois que nous sommes sortis des industries du tabac et du charbon, nous avons dû faire face à une vague d’interrogations parce que, à l'époque, c'étaient les industries les plus rentables. Mais on ne peut pas encaisser un rendement élevé sur le charbon d’un côté et, de l’autre, gérer des sinistres environnement et santé.
Par ailleurs, est-ce que le boom du télétravail et la transformation globale des façons de travailler a un impact sur votre métier d’assureur ?
Bien sûr. Cela peut conduire, par exemple, à revoir les risques cybersécurité si un collaborateur travaille chez lui. Cela nous oblige donc à ajuster nos contrats. En assurance santé aussi, nous accompagnons cette évolution, par exemple, en recommandant le même type de fauteuils ergonomiques pour le travail à domicile qu'au bureau. Dans notre métier d’assureur, il est impératif de prendre en compte les nouvelles réalités : si vous prenez le risque cyber, il y a un avant et un après guerre en Ukraine.
Autre mutation de fonds, l’arrivée massive de l’intelligence artificielle. Comment transforme-t-elle les métiers de l’assurance?
L’IA est un sujet stratégique. Nous souhaitons comprendre pour l’utiliser au mieux. D’abord en nous associant à des partenaires comme Microsoft. Ensuite en formant nos collaborateurs : nous avons fait en sorte qu’ils puissent utiliser ChatGPT dans un environnement sécurisé et protégé.
L’intelligence artificielle fera partie du nouveau plan stratégique lancé début 2024. Pour cela, nous avons réalisé une revue des usages potentiels avec toutes les entités locales. Nous avons identifié plusieurs projets en particulier dans la tarification car l’IA permet de brasser davantage de données non structurées. Il y aura des cas d’usages dans la gestion des sinistres et dans les centres d'appel, dans les cas où le client n’a pas besoin d’un interlocuteur.
Vous venez de recevoir le prix du Stratège 2022 des Echos, comment définiriez-vous la méthode Buberl ?
Il faudrait plutôt demander aux autres (rire). Ma méthode consiste à avoir une stratégie claire qui associe l’ensemble de l'équipe, c'est-à-dire les 50 managers principaux du groupe, et plus globalement tous les collaborateurs. Pour les embarquer, j’ai partagé avec eux mes observations, ma vision et j’ai écouté leurs retours. Nous avons changé la logique de l'entreprise : alors que le fonctionnement était auparavant centralisé, nous avons décidé de faire davantage confiance aux équipes terrain. Cela permet à l’entreprise d’être plus dynamique. Cela se retrouve d’ailleurs dans la mesure de la satisfaction des collaborateurs et dans leur faculté à recommander l’entreprise avec un indicateur baptisé Employee Net Promoter Score. Il y a sept ans, nous étions à -7, aujourd’hui nous sommes à +37 (sur une grille de -100 à +100). De façon transparente les résultats sont publiés en interne dès la fin du vote. Quand la note d'un service baisse pour la troisième fois consécutive, c’est assez embarrassant pour le manager qui n’a pas d’autre choix que de faire évoluer ses pratiques. C’est ce que j’appelle de l’auto-régulation, je n’ai même pas besoin d’intervenir.
Peut-on faire un point sur les investissements médias d’Axa ?
Nos investissements représentent pour nous un levier de performance de long terme donc nous les maintenons dans l’ensemble de nos marchés en 2023. Investir dans les médias, c’est aussi une manière de contribuer au bon fonctionnement et à la stabilité de nos démocraties via la diffusion d’informations vérifiées. Nous avons également à cœur d’innover en nous adaptant aux usages médias de nos clients : télévision, affichage, digital, mais aussi plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime. Dans chaque pays, nous évaluons les usages pour investir au bon endroit et continuer d’innover. Ce sera bien sûr le cas pour la diffusion de notre nouvelle campagne.
Quelle est votre vision du marketing dans l’assurance ?
Lorsque j'ai commencé dans l'assurance, le marketing, c’était de jolies campagnes, toujours les mêmes, mettant en scène un couple à la retraite, à la plage, avec son golden retriever et des slogans simplistes… Au mot de « marketing », je préfère celui « d’engagement client ». Depuis mon arrivée, nous avons une stratégie « Payer to Partner » : cela consiste à changer notre rôle vis-à-vis du client, de payeur de factures à partenaire. Régler les factures, c'est essentiel, c'est nécessaire mais aider le client à mieux maîtriser le risque, c’est même plus important et notre marketing doit vraiment être focalisé sur la façon de s’engager avec lui pour y parvenir.
Comment jugez vous la campagne « Why the future should be a risk » réalisée par Publicis Conseil pour Axa et qui vient de sortir ?
Elle est le reflet de notre plan stratégique et des convictions de l’entreprise : le risque, c'est d’abord une attitude, ce n’est pas mesurable. Nous sortons d’une phase de 30 à 40 ans où l’on pouvait avoir l’illusion d’un effacement des risques. Tout d’un coup, ils sont partout. Mais j’ai la conviction que malgré ce contexte anxiogène, il est possible malgré tout de faire face à ce futur avec optimisme.
Nous voulons surprendre, comme nous l’avons fait pour notre signature de marque « Know you can » qui était déjà en rupture par rapport aux normes du marché. D'autres assureurs ont depuis adopté le même positionnement que nous et c'est pourquoi nous avons à nouveau fait un nouveau pas de côté.
Et par ailleurs Axa IM Alts, la filiale d'investissement alternatif d'Axa, a fait l'acquisition des studios de tournage de Bry-sur-Marne… Une diversification nouvelle pour le groupe ?
Le nerf de la guerre pour notre politique d’investissements, c’est la diversification. Nous cherchons des opportunités quelquefois atypiques avec des marges intéressantes. C’est, par exemple, ce que nous avons fait dans le domaine des data centers.
Alors que traditionnellement la télévision et les studios fonctionnaient ensemble, la tendance est en train de changer, avec la montée en puissance de Netflix, Amazon Prime et autres. La production connaît une dynamique de croissance très intéressante. Et grâce à notre division de gestion des actifs alternatifs (immobilier, infrastructure, capital naturel), nous avons le savoir-faire pour ce type d’investissements.
GMF est partenaire de la Coupe du monde de rugby, Allianz, de Paris 2024… Quelle est la stratégie d’Axa sur les grands événements ?
Plutôt que l’accompagnement d’un événement, nous avons préféré miser sur le partenariat avec une équipe. Depuis près de cinq ans, nous accompagnons le Liverpool Football Club en tant que partenaire d’entraînement. Il s’agit de notre première expérience au niveau groupe car jusqu’à présent le sponsoring avait surtout une dimension nationale. Liverpool a une histoire unique et fait partie du championnat le plus suivi au monde, la Premier League. Pour nous, ce partenariat a été très utile notamment pour faire décoller la marque en Asie où le championnat anglais est très suivi. Nous nous retrouvons sur un univers de valeurs cohérent avec notre stratégie et avec la marque : santé, confiance en soi… Cerise sur le gâteau, l'hymne célébrissime de Liverpool « You’ll never walk alone » est très proche de notre stratégie « Payer to Partner ».
Chiffres clés
145 000 Nombre de collaborateurs.
102,3 milliards d’euros Chiffre d’affaires 2022 (+ 2 %).
6,6 milliards d’euros Résultat net consolidé part du groupe pour 2022.