Audiovisuel
La ministre de la Culture et de la Communication parvient difficilement à dissimuler sa mésentente avec le président de Radio France. A l'approche de la rentrée, les sujets de friction s'accumulent.

Ce 8 juillet, devant l’Association des journalistes médias, Fleur Pellerin ne parvient pas à dissimuler son manque de confiance vis-à-vis du patron de Radio France, Mathieu Gallet. Alors qu’elle tente de justifier le retard pris dans la signature de contrat d’objectifs et de moyens du groupe public, initialement attendu pour la fin juillet – «mieux vaut un bon COM qu’un COM raté» –, la ministre de la Culture et de la Communication ne peut éviter une question très politique d’un journaliste à propos du dirigeant:



« – Le dialogue est-il ouvert et constructif ?

Le dialogue est ouvert», s’arrête net la ministre, provoquant les rires de l’assistance.

Avant de poursuivre: «C’est difficile de réinstaller le dialogue après être arrivé à un point de rupture aussi fort. Pour l’instant, nous avons un intérêt commun qui est d’avoir un bon contrat d’objectif et de moyens.»

Attente de propositions

Depuis la grève qui s’est arrêtée le 15 avril, après 28 jours d’arrêt du travail, et la nomination d’un médiateur, qui a mis sous surveillance le patron de Radio France, la ministre ne cache pas qu’elle attendait un contrat ficelé avant les vacances d’été. De fait, elle estime avoir «fait le boulot» en assurant  55 millions d’euros de dotation en capital et 25 millions d’euros en contribution à l’audiovisuel public, soit un total de 80 millions d’euros.

« J’ai fait ma partie du chemin, a-t-elle déclaré devant les journalistes à l’adresse de Mathieu Gallet. Je vous aide à arbitrer la politique musicale, je vous apporte les 80 millions pour que le chantier ne pèse pas trop sur le budget de fonctionnement de l’entreprise. Maintenant, j’attends des propositions sur le chantier social, car il y a beaucoup de précarité, et sur le rôle de Radio France en matière de démocratisation culturelle».

350 départs volontaires envisagés

La ministre refuse que l’emploi soit, selon ses termes, «la variable d’ajustement du chantier» de réhabilitation de la Maison ronde. Or, Mathieu Gallet a confirmé au Monde, jeudi 16 juillet, qu’il «envisageait» de mettre en place un plan de départs volontaires portant sur 350 emplois. Un chiffre dans le haut de la fourchette de 300 à 380 postes, évoquée lors d’un comité central d’entreprise, le 8 avril. Cette solution n'est pas celle prônée par le médiateur, Dominique-Jean Chertier: dans son rapport, qu'il remet à la ministre mardi 21 juillet, il recommande de limiter les suppressions de postes, pour ne pas dégrader un climat social déjà tendu, selon l'AFP.

Le 22 juillet au matin, le PDG prévoyait d'avoir recours à un prêt de 90 millions d'euros pour boucler ses comptes et à une enveloppe d'une trentaine de millions d'euros afin de financer les départs. De source syndicale, son plan d'affaires présentait un déficit de 48 millions d'euros en 2015, deux fois plus important que celui de 2014. Après une perte ramenée à 15 millions d'euros l'an prochain, il envisageait un retour à l'équilibre en 2017.

Mais l'intervention de Fleur Pellerin sur France Culture, le 22 juillet, au cours de laquelle la ministre agacée par l'interview du Monde a exhorté la présidence de Radio France à lui présenter «un scénario crédible, sérieux" a sensiblement changé la donne : au lieu de fixer dans deux ans et demi la date butoir de retour à l'équilibre, elle précisé que 2017 n'avait été évoquée dans une lettre envoyée à Mathieu Gallet que comme un "horizon" : «Je n'ai pas dit qu'il y avait une date butoir pour un retour à l'équilibre. J'ai parlé d'un horizon en 2017. Il n'y a pas de tabou à examiner un  retour à l'équilibre ultérieur

 

Le 23 juillet, le patron de Radio France a donc assuré qu'il présenterait en septembre au comité central d'entreprise un nouveau "plan d'affaires", après avoir pris en compte les propositions des syndicats. Il a également promis d'examiner le scénario alternatif des syndicats qui ne prévoit pas de départs volontaires, mais le non-remplacement de la moitié des départs en retraite, pour un retour à l'équilibre financier en 2018.

  

Selon Valeria Emanuele, déléguée SNJ, le plan de départs pouvait jusque-là être revu à la baisse en cas d’efforts sur les salaires, sur les jours de congés ou de départs à la retraite non remplacés. La crainte du syndicat était de voir se multiplier les syndications de stations France Bleu et d’assister à l’émergence d’une newsroom commune aux rédactions nationales.

 

Un COM qui se veut réaliste

Pour éviter de voir repartir un conflit social qui avait fini par atteindre le gouvernement et entraîné la nomination d’un médiateur, Fleur Pellerin compte donc sur des signes tangibles de la part de Mathieu Gallet. Cela passe par un contrat d'objectifs et de moyens acceptable par les deux parties. Or, le patron qui était en charge de l'audiovisuel puis directeur adjoint dans les cabinets de Christine Albanel et de Frédéric Mitterrand, entre 2007 et 2010, est lié au précédent contrat d'objectifs et de moyens, signé en 2010.

 

Selon la ministre, ce COM qui prévoyait une augmentation de 120 millions d'euros de la contribution à l'audiovisuel public (ex-redevance) n'était "pas réaliste". Il a été dénoncé en 2012 tandis que 8 millions d'euros d'économies étaient parallèlement demandés entre 2013 et 2014. De plus, lorsqu'il était en cabinet, Mathieu Gallet ne s’est pas caractérisé pour avoir tiré le signal d’alarme sur le chantier de Radio France. Enfin, pour ce qui concerne la précarité, il s'est exprimé dès sa nomination pour défendre la souplesse des contrats saisonniers employant des intermittents du spectacle (1). Pour l'heure, ces contrats précaires sont les plus touchés après une baisse de 15% des budgets CDD et piges sur les métiers de Radio France.



  

 

OPDA et le droit à la critique

Le «limogeage» du directeur de France Culture, alors que les résultats d'audience cumulée de la station sont corrects (1,8% en avril-juin, -0,2 point sur un an) risque de ne rien arranger. Après avoir déclaré à L'Obs en mai « on ne peut entraîner personne avec un projet construit uniquement sur une logique budgétaire et comptable», Olivier Poivre d’Arvor (OPDA) n’a pas vu son contrat renouvelé à la fin août en tant que détaché du Quai d’Orsay. La présidence justifie cette éviction par un «manque de loyauté» («On ne peut pas être dans la maison tout en la critiquant», dixit Mathieu Gallet) et par les vélléités de départ incessantes de l'intéressé (au centre Pompidou notamment).

«Ce n'est pas une question d'indépendance de nos directeurs de chaînes, qui ont une autonomie absolue. Il y avait une perte de confiance évidente en termes de comportement», confie Frédéric Schlesinger, directeur délégué des antennes et des programmes de Radio France.

Cette décision est toutefois critiquée en interne moins par soutien à Olivier Poivre d'Arvor (2) que pour le climat qu'elle révèle. «Je ne vois pas en quoi il serait déloyal de dire qu'il faut un projet éditorial, réagit Valeria Emanuele, du SNJ. Ou alors, on ne s'entoure que de gens qui vous disent que vous êtes beau. C'est inquiétant pour la liberté de parole à laquelle la maison tient beaucoup.»

L'intersyndicale CFDT, CGT, SNFORT, SUD et Unsa a réagi sur le même ton dans un communiqué de presse le 16 juillet: «Il s'agit là d'une déstabilisation permanente de l'entreprise qui a des conséquences catastrophiques sur son fonctionnement et son image [...]. La direction de Radio France n'est pas capable de justifier le plan de suppression d'emplois qu'elle prépare autrement que par une logique exclusivement comptable. [Son] rôle est bien de défendre les moyens et les emplois à la hauteur des missions de service public et non de rogner ces mêmes missions pour répondre à des impératifs budgétaires étrangers à celles-ci comme le financement du chantier de réhabilitation.»

Multiples tensions

Du côté du cabinet de Fleur Pellerin, on suit cet échange comme le signe d'une nouvelle tension avec les syndicats. Depuis le début de la crise, la ministre n'a rien fait pour conforter le patron qui a vu les syndicats chercher à négocier avec la tutelle. « Il faut qu'il sorte de ce conflit mais c'est à lui de rétablir le dialogue social», a-t-elle déclaré le 4 avril. Le Premier ministre Manuel Valls l'avait précédée le 27 mars en estimant qu'il fallait que Mathieu Gallet «assume pleinement ses responsabilités». Le gouvernement espérait-il une démission? Il a en tout cas fallu que le patron de Radio France réaffirme qu'il tient sa légitimité du CSA, qu'il a été désigné à l'unanimité, et que seuls les huits sages ont le pouvoir de le destituer.

La ministre entend aussi défendre ce qu'elle appelle sa «politique musicale» qui l'a conduit à s'opposer fermement à l'idée d'une cession d'un des deux orchestres à la Caisse des dépôts, dépendant de l'Etat. Pas sûr que la « mission de préfiguration» confiée à Marie Pierre de Surville, ex-directrice de France Musique, en vue de la création d’une nouvelle direction l'enchante. Elle suscite en tout cas de vives réserves chez les syndicats. « Sous sa direction un profond malaise s’est installé au sein de la chaîne. Les salarié(e)s de France Musique ont en effet constaté une baisse de l’ambition éditoriale. Les enjeux importants liés à la production culturelle et musicale de Radio France ne peuvent se satisfaire d’ajustements de circonstance», fustige l'intersyndicale. Marie-Pierre de Surville a été remplacée par Marc  Voinchet, le journaliste qui animait la matinale de France Culture et qui est lui-même remplacé par Guillaume Erner, ex-France Inter.

Face à sa ministre de tutelle, on ne peut pas dire que le président de Radio France se soit empressé de donner des gages d'apaisement. La non-reconduction d'Olivier Poivre d'Arvor, soutien de Martine Aubry aux primaires socialistes de 2011, puis de François Hollande, n'est pas de nature à arranger ses relations avec le pouvoir. Mieux, l'arrivée de Sibyle Veil à la direction des ressources humaines alors même que Catherine Sueur, la directrice générale, est en congés maternité, ressemble à une provocation aux yeux des syndicats.

Cette énarque, qui se voit pour l'heure attribuée le titre de directrice de projet «en charge de la simplification des modes de gestion», est une ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy à l'Elysée (de la même promotion qu'Emmanuel Macron). « On pensait que la nomination d'un directeur général serait l'occasion de recréer de la confiance avec la tutelle. C'est raté», conclut un représentant syndical.

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