Outdoor
Une étude réalisée par l’agence Utopies pour le groupe JCDecaux montre que les opérations de «brand urbanism» se multiplient partout dans le monde. Un univers qui contient ses règles et ses limites.

Difficile de manquer le terrain de basket du Cours Duperré, dans le 9ème arrondissement, à deux pas de Pigalle : entre les façades ocres des immeubles, des couleurs vives enlèvent ce coin de Paris à sa grisaille. Cette installation, proche du street art, est une réalisation de Nike sans qu’aucun logo ou signature ne soit visible. Il est aussi emblématique d’une tendance qui se vérifie partout dans le monde : le « brand urbanism ». En octobre, l’agence Utopies a dévoilé avec JCDecaux une étude à partir d’une cinquantaine de cas sur le nouveau rôle des marques dans la ville. Si la présence d’annonceurs dans l’espace urbain n’est pas nouvelle (JCDecaux est là pour en témoigner avec, depuis 1964, ses abribus), l’effacement des marques devant le projet sociétal qu’elles accompagnent, au profit d’un storytelling sur les réseaux sociaux, l’est davantage.

Les exemples se multiplient dans les grandes villes : à Londres, c’est une ligne téléphérique qui est financée à hauteur de 45 millions de Livres sur 80 par Emirates ou des bornes de recharge électronique réalisées par Lovefone. À Portland, c’est encore Nike qui apporte une flotte de vélos dans sa ville natale. À Rio, Dulux s’est attaché à restaurer la réputation d’un quartier grâce à son « favela painting project » qui est une des composantes de son programme « Let’s color ». Dans la ville industriellement sinistrée de Detroit, Shinola entreprend de créer des jobs en y fabriquant des horloges publiques, des montres, des vélos ou des accessoires en cuir. À Gand, en Belgique, la bière De Koninck finance un bus de nuit pour un retour des bars en toute sécurité. A Lille, c’est une station mobile de douche qui est laissée à la disposition des sportifs par Decathlon. Et dans tous les États-Unis, Domino’s Pizza bouche les nids de poule qui perturbent la livraison de ses pizzas. Sans oublier d’y apposer son logo.

Service aux citadins

Que la marque soit apparente ou non, le point commun de ces initiatives « outdoor » réside surtout dans la volonté d’apporter un service aux citadins. À une époque où, comme le rappelle Elisabeth Laville, fondatrice et directrice d’Utopies, la confiance dans les marques est tombée à 27 % contre 60 % il y a une quinzaine d’années, « le citoyen et le consommateur sont une seule et même personne, avec les mêmes valeurs et les mêmes attentes du matin au soir. » D’où l’intérêt de répondre à leurs aspirations par des projets d’aménagement urbains, temporaires ou durables. « 86 % attendent des marques qu’elles jouent un rôle par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux », souligne la directrice d’Utopies. Alors que plus des trois quarts de nos concitoyens-consommateurs pensent que les marques pourraient disparaître, selon l’étude Meaningful brands de Havas, concilier business et bien commun dans la ville apparaît porteur de sens. Selon Utopies, l’approche de la marque doit être en ligne avec la raison d’être de l’entreprise, se faire en collaboration avec la municipalité, viser à apporter une solution à l’échelle locale et s’intégrer dans la réalisation de projets ambitieux pour la ville.

Mais cette appropriation de l’espace public par des firmes privées peut-elle se faire sans conditions ? N’y-a-t-il pas le risque de confondre des opérations de marketing d’embuscade avec des actions d’intérêt général ? Et comment appréhender les risques de gentrification ou les nécessités de maintenance dans le temps ? L’agence Utopies a retenu quatre « règles d’or » du brand urbanism. D’abord il s’agit, comme dit sa fondatrice, de « contribuer au bien commun et au capital local ». Ce peut être la réponse concrète à des besoins sociaux, comme à Lisbonne, où la recommandation de restos a abouti à la création d’un lieu unique : le Time Out Market. Le bénéfice collectif doit alors être supérieur aux ressources consommées. Ensuite, le récit et la narration doivent être porteurs de sens, notamment pour les réseaux sociaux. Une participation, voire une cocréation avec les habitants sont aussi requis et une mesure de l’impact avec la médiation d’un « tiers de confiance » est préconisée. JCDecaux se propose de jouer ce rôle : « Nous souhaitons faciliter les échanges et accélérer l’émergence de projets publics-privés créateurs de valeur partagée au sein des territoires », souligne Carole Brozyna-Diagne, directrice du développement durable et de la qualité du groupe. Enfin, la transparence sur les opérations de partenariat et la traçabilité des financements sont incontournables.

Brand urbanism

Carlos Moreno, professeur des universités et spécialiste de la « smart city » voit dans le brand urbanism un horizon à suivre. « Il est temps que les marques fassent leur révolution culturelle dans leur branding pour comprendre que leurs publicités jouent contre elles », explique-t-il à Stratégies. Pour lui, les villes sont confrontées à la double nécessité de réduire la pollution visuelle et sonore et d’avoir des ressources économiques. Plutôt que de subir un matraquage publicitaire, les citadins souhaitent que les marques s’adressent à eux « de manière plus subtile, élégante et apaisée ». L’universitaire cite des opérations « gagnant-gagnant » qui passent non par la mise en avant de la marque mais par des expositions de photos – comme le fait Apple – des événements culturels, le soutien à des associations ou des messages pleins d’humour. « C’est bien plus pertinent et beaucoup plus accepté que des panneaux de publicité géants sur des produits qui polluent comme les SUV », note-t-il. D'après lui, tout repose sur la vision de la ville que propose la gouvernance locale. Quid de Domino’s Pizza qui bouche les trous dans la ville avec son logo ? « Je préfère cela à l’image de la pizza qui envahit nos publicités », dit-il.

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