Interview exclusive
Alors que Facebook fait face à un boycott des annonceurs aux États-Unis qui lui reprochent son manque de modération des contenus haineux, comment réagit la plateforme en France ? Les réponses de Laurent Solly, vice-président en charge de la France et de l'Europe du Sud de la plateforme.

Vos plateformes sont boycottées par plusieurs centaines de gros annonceurs (Adidas, Puma, Coca-Cola, Unilever...) aux États-Unis, comment réagissez-vous ?

 Tout d’abord, il m’est important de préciser que ce boycott aux États-Unis s’opère dans un contexte complexe, notamment suite au meurtre de Georges Floyd et au cœur  de la période électorale pour la présidence américaine. Comme disait justement Nick Clegg cette semaine, Facebook est un véritable miroir de la société, de ses tensions et de ses divisions. À ce titre, toutes les opinions peuvent s’exprimer sur nos plateformes, qu’elles soient bienveillantes ou controversées tant qu’elles ne sont pas haineuses. Aussi je veux redire fortement notre engagement résolu et total à lutter contre la haine sur nos plateformes et en ligne. Nous avons une responsabilité importante sur les contenus partagés et nous travaillons depuis des années sur la suppression des contenus haineux sur Facebook. C’est depuis toujours une des grandes priorités de l’entreprise. Nous n’avons aucun intérêt à laisser la haine se propager sur Facebook, nous nous devons de l’éradiquer car nos utilisateurs n’en veulent pas, nos annonceurs n’en veulent pas et nous n’en voulons pas. 

 

Craignez-vous des répercussions en France et en Europe, sachant qu’il y a un appel au boycott mondial ?

Nos équipes ont des conversations quotidiennes avec nos annonceurs, partenaires et les organisations qui représentent l’industrie pour expliquer toutes les mesures que nous prenons et le lien de confiance reste toujours fort. J'ai eu l'occasion d'échanger avec les adhérents de l'Union des Marques (UDM) cette semaine et les équipes ont expliqué à tous nos clients, agences et partenaires nos actions, nos progrès, nos engagements et nos défis. Les discussions que nous avons avec les entreprises sont importantes: les questions sont légitimes mais l'écoute est là et je veux remercier nos clients de leur compréhension et aussi de leur exigence sur ces sujets.

Le sujet des discours de haine en ligne n’est malheureusement pas nouveau et nous en parlons avec nos clients, nos partenaires depuis longtemps pour comprendre les challenges et trouver des actions. Je partage l’avis exprimé par le directeur général de l’UDM, Jean-Luc Chetrit, qui explique «qu’il vaut mieux favoriser une réponse systémique à des actions individuelles».

 

Comment agissez-vous au quotidien contre la haine sur vos plateformes et quels sont les résultats ?

Notre engagement est réel et je le constate au quotidien depuis mon arrivée chez Facebook. Nous mettons en œuvre des moyens considérables pour assurer la sécurité de notre communauté ; les investissements que nous avons réalisés en intelligence artificielle permettent aujourd'hui d'identifier presque 90% des discours haineux que nous retirons avant que les utilisateurs nous les signalent. Ce sont 35 000 personnes chez Facebook qui sont chargées de la sécurité des contenus, dont 15 000 qui se concentrent exclusivement sur la modération de contenu. Nous avons investi des milliards de dollars et continuerons à investir pour améliorer notre efficacité. Ce combat est quotidien. Il est aussi collectif avec les associations et toute l’industrie et nous prenons des mesures fortes. 

Au niveau mondial, nous avons lancé avec la WFA (l'association des annonceurs dans le monde, ndlr) et certains acteurs du marché, dont Facebook, la Global Alliance for Responsible Medias pour améliorer la fiabilité et la sécurité de l'écosystème digital. La volonté de ce projet présenté il y a un an aux Cannes Lions, est de mettre en place des définitions communes sur la nature des propos haineux et les conditions d'une mesure indépendante. L’industrie doit travailler main dans la main pour contrer le racisme et la haine. Ensemble nous serons plus efficaces.

En France, nous travaillons de longue date avec l’ensemble des associations de terrain, et depuis 2018, nous avons aussi mis en place un programme national, le Fonds pour le Civisme en Ligne. Initiative unique, il s’agit d’une récompense pour des projets français qui souhaitent faire d’internet un espace plus respectueux et plus sûr. Soutenir ces associations et programmes français qui luttent contre les discours de haine, le harcèlement et pour le développement de l’esprit critique, voilà l’objectif du fonds. Nos progrès sont réels et le rapport de la Commission européenne publié en juin dernier montre que Facebook évalue plus de signalements pour discours haineux en 24h que Twitter et Youtube - précisant que 87,6% des contenus signalés ont été retirés, un meilleur résultat que l'année dernière (82,4%), contre 79,7% pour Youtube et 35,9% pour Twitter.

 

Quelles sont vos dernières initiatives pour combattre ce fléau ?

Notre travail n’est pas terminé et nous poursuivons nos efforts et cherchons en permanence à améliorer nos outils. La semaine dernière nous avons ainsi annoncé que nous pourrons «étiqueter» certains contenus afin d’expliquer que nous les avons laissés en ligne car nous les estimons dignes d’intérêt. Nous avons aussi renforcé nos règles publicitaires concernant les discours haineux, notamment pour interdire les déclarations selon lesquelles des personnes d'une certaine ethnie, origine, religion, orientation sexuelle, genre, ou encore statut d'immigration constituent une menace à la sécurité physique, la santé, ou à la survie des autres. Toutefois, modérer les contenus haineux est un travail continu et extrêmement complexe. Les plateformes sont parfois accusées de ne pas retirer assez de contenus, et ainsi, d’être trop laxistes, mais on leur reproche également parfois de trop modérer, ce qui passe pour de la censure. C’est difficile de trouver le bon équilibre. Si nous ne retirons pas certains discours qui pourraient sembler offensants, c'est parce que nous favorisons aussi la liberté d'expression.



À l'approche des élections présidentielles américaines, le climat risque de se tendre encore davantage pour les réseaux sociaux dans les mois à venir, comment vous préparez-vous ?

Le bon déroulement des élections présidentielles, est un enjeu majeur pour Facebook. Ces dernières années, nous avons élaboré une approche mondiale robuste pour protéger les élections sur Facebook. Nous avons fait de réels progrès en la matière et cela nous a permis, notamment pendant les récentes élections européennes ou municipales en France d’agir 24H/24H avec nos équipes afin d’empêcher la propagation des fausses informations, augmenter la transparence des publicités, rechercher et supprimer les faux comptes et lutter contre les individus et organisations malveillantes. Nous pensons que les gens doivent pouvoir débattre librement autour du vote. C’est la raison pour laquelle nous avons récemment renforcé nos politiques afin de lutter spécifiquement contre les fausses informations qui interféreraient avec le processus électoral. Il y a un point sur lequel je tiens à être clair : la publicité politique n’est pas interdite sur Facebook et Instagram. Nous avons toutefois des règles qui l’encadrent et les annonceurs doivent suivre un processus d’autorisation spécifique pour les publicités de nature sociale, politique ou électorale.

Dans un souci de transparence, celles-ci sont toutes rendues publiques dans une bibliothèque accessible à tous les internautes et qui permet d’en savoir plus sur le montant et l’origine d’une campagne et de son financement et des groupes ou régions qu’elle cible. 

En réponse aussi à des craintes légitimes exprimées aux USA, Mark Zuckerberg et Facebook ont récemment annoncé de nouvelles règles et initiatives pour donner accès à nos utilisateurs à toutes les informations officielles des autorités concernant le vote à travers une section dédiée sur Facebook qui s'affiche en haut du fil d’actualités et qui devrait toucher plus de 160 millions de personnes aux États-Unis. C’est le plus grand effort d'information sur le vote dans l'histoire des États-Unis.

Il y a toujours des progrès à faire mais protéger l’intégrité des élections et permettre à nos utilisateurs de faire entendre leur voix dans le processus démocratique est un engagement fort de l’entreprise. Il s’agit d’un effort qui doit être commun à la société toute entière. Nous travaillons donc en étroite collaboration avec les autorités, la société civile et l’industrie pour répondre à ces défis. C’est un enjeu que nous prenons très au sérieux.

 

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