Influence marketing
Liberté chérie, tel pourrait être le mantra de Léna Situations, influenceuse de 22 ans qui officie sur YouTube et Instagram. Coups de cœur, coups de gueule, relations aux marques, elle livre sans fards son point de vue sur ce métier pas complètement comme les autres.

Léna Mahfouf, qui est exactement Léna Situations ?

C’est le nom avec lequel je crée du contenu depuis cinq ans sur YouTube et Instagram. J’ai commencé par proposer des vidéos mode, mais ma ligne éditoriale a rapidement évolué vers du lifestyle. Ça reste extrêmement libre et ça a presque des airs de Friends, ma série préférée, mais en vrai.



Vous n’évoquez pas Twitter où vous avez pourtant un compte. Pourquoi ?

Twitter reste le réseau le plus étrange, et je me demande parfois si nous ne le quitterons pas tous un jour. C’est à la fois l’endroit qui démocratise l’information, et une cour de récré où la haine augmente. Une étude de SOS Racisme et SOS Homophobie a montré un bond des messages haineux de 43 % pendant le confinement. Que se passe-t-il sur Twitter en ce moment ? Et pourquoi cette tolérance de la part du réseau ?



Qui compose votre communauté sur YouTube et Instagram ?

Ma communauté est majoritairement féminine et se situe à 55 % entre 18 et 24 ans. Le reste se partage entre les 25-34 ans et les 13-17 ans. Ce qui est marquant, c’est que cette communauté a grandi avec moi, car elle était très ancrée dans la tranche 13-17 ans auparavant.



Comment travaillez-vous ?

Aujourd’hui, je fais tout. J’imagine mes contenus, je les crée, je prends énormément de plaisir à monter, j’entretiens le lien avec ma communauté et, enfin, je gère les aspects contractuels et publicitaires. Depuis six mois, je suis aidée par une assistante.



N’avez-vous pas envie d’être soutenue par un agent ?

J’en fais une affaire personnelle. J’ai fait un prêt étudiant pour payer des études de marketing et apprendre à vendre. Pour ce qui est le plus précieux à vendre, c’est-à-dire moi-même, je déciderais de le déléguer à quelqu’un d’autre ? Ça ne ferait pas honneur à ce que j’ai fait avant. J’aime beaucoup les agences, je travaille avec elles, mais un agent ne peut pas penser sur mesure pour tous ses clients… J’ai aussi peur d’y perdre en créativité et en liberté. Et je n’ai aucun problème à parler d’argent.



C’est pourtant un sujet tabou dans votre métier…

Il n’y a aucun malaise sur l’argent en tant que tel, nous en parlons librement entre créateurs de contenus. Cela nous donne des repères face à un métier totalement nouveau et pas encore normé. Mais c’est étonnant de me voir demander toute la journée combien je gagne… Quand j’étais baby-sitter, personne ne me posait cette question… Il est vrai que l’appât du gain est très fort dans ce métier. Il faut réussir à s’en détacher. Courir après la monétisation à tout prix, c’est perdre sa liberté. Travailler sous contrainte et sans créativité, ça me rendrait malheureuse.



C’est pour cette liberté que votre communauté vous aime ?

Sûrement, et de toute façon, je ne sais pas agir autrement. J’ai bien essayé de faire comme tout le monde au début, avec du lifestyle très étudié, des routines maquillage, quelque chose de moins bienveillant, où je montrais quelque chose de fabriqué. Mais n’arrivant pas à m’identifier à ça, je suis partie sur des contenus plus spontanés, plus vrais, j’ai enlevé beaucoup de barrières. Je n’ai aucune peur du lendemain. Quand je perds 30 000 abonnés sur Instagram en 24 heures parce que je prends position pour la cause Black Lives Matter, ce n’est pas grave, c’est même mieux : ce sont des gens qui n’ont pas les mêmes valeurs que moi.



Le terme « influenceur » définit-il justement votre métier ?

Une grande partie de notre profession n’aime pas ce terme, une autre partie l’accepte. Influenceur, ça reste très lié à la vente de produit. Personnellement, je trouve l’appellation « créatrice de contenus » plus appropriée.



Le terme ne vient pas de nulle part. Vous ne pensez pas influencer les gens ?

J’ai longtemps eu du mal à réaliser que derrière les statistiques et les écrans, il y avait de vraies personnes. Dans une chambre, tout cela reste très abstrait, mais dans la rue, un jour, on te reconnaît, et c’est une énorme prise de conscience. Tu comprends alors que tu as une responsabilité, que tu dois réfléchir à ce que tu dis. C’est d’ailleurs assez compliqué de devenir du jour au lendemain un modèle responsable, présentable, et dire de bonnes choses. Certains influenceurs ne s’en rendent pas encore compte. Pour moi, c’est une leçon de tous les jours.



Quelle est votre posture face aux marques ?

Le plaisir. J’aime parler de petites marques, de grandes marques, parce que passer de Saint-Laurent à Jennyfer, c’est typique de ma génération. Et quand je reçois un produit, rémunérée ou pas, j’en parle exactement de la même manière. À mes débuts bien sûr, j’ai commis des erreurs sur des produits qui me semblaient fun. Mais tes followers ne reçoivent pas leur commande, et toi, tu n’es pas payée. Tu ne dors plus de la nuit et tu apprends pour la fois suivante. Quand une communauté te soutient autant pour en arriver là, tu dois faire attention à ce que tu promeus. Depuis, j’ai une petite routine avant d’accepter une collaboration : j’analyse les retombées et commentaires de la marque sur le web, je teste le produit, le lave quand c’est du textile… Quand ce sont des marques avec qui mes amis ont déjà travaillé, on échange.



Avez-vous un message à faire passer à ces marques ?

J’ai beaucoup de mal avec celles qui nous voient comme des panneaux publicitaires, celles qui connaissent par cœur nos statistiques mais pas notre contenu. Elles sont fermées à la créativité. Il faut leur dire que ça ne marche pas. Chaque influenceur est différent parce qu’il s’est créé tout seul avec son propre contenu. À la différence des statistiques de magazines et des audiences télé, nous avons des retours personnalisés de nos actions en temps réel. Cette data vaut de l’or et il faut nous faire confiance ; nous savons ce qu’aime notre communauté, ce qu’elle veut. Il existe un autre travers, celui des briefs globaux de campagne. La même journée, à la même heure, huit influenceurs racontent la même chose pour la même marque. C’est intrusif et contreproductif. La meilleure chose reste de garder une approche personnelle et stratégique pour chaque influenceur. C’est plus cohérent.



Les marques vont-elles dans le bon sens ?

Je fais partie de la deuxième génération de créateurs de contenus. Quand j’ai commencé, les marques avaient déjà un bon niveau de collaboration avec notre secteur. Après, c’est un peu comme la représentation du monde, il y a de tout. Certaines, et c’est très agréable, proposent des choses cohérentes, et c’est avec elles que je travaille en priorité. Certaines veulent parfois aller à contresens.



La crise du Covid-19 peut-elle avoir un impact sur ces collaborations ? Les ralentir ?

Sur le sujet de la tonalité lifestyle, cela n’a pas changé grand-chose. Quand ça va, je le montre, quand ça ne va pas, aussi. Mon contenu n’a donc pas souffert, car il y avait forcément des choses à raconter dans des moments aussi forts. Nous sommes revenus à la base de notre métier, celui du divertissement et de la création de contenus. Sur le plan des collaborations, j’ai eu des annulations, particulièrement au début, dans une panique assez soudaine et généralisée. Peu à peu, les annulations se sont transformées en report. J’ai refusé aussi des collaborations douteuses, qui voulaient profiter de la situation. Aujourd’hui, mon sentiment est que nous revenons à la normale. Mais je suis privilégiée, déjà installée avec ma communauté et mes partenaires.



Vous semblez toujours aussi sensible aux phénomènes de bashing et aux logiques de haters. C’est pourtant très inhérent aux réseaux sociaux, non ?

C’est en effet épuisant. Ne pas savoir cacher mes émotions fait de moi une proie idéale. Mais en toute objectivité, qui peut rester indifférent à cela ? Il est même totalement contre-productif de laisser la haine se propager sur les réseaux sociaux en considérant que cela fait partie de notre métier. Laisser faire, c’est approuver.



Les réseaux sociaux sont-ils, dans ce cas, dangereux ?

Les réseaux sociaux, c’est merveilleux et c’est tout son contraire à la fois. Ça peut être un lieu de vérité où l’on parle librement de maladie, de vergetures, de problèmes, et pour autant, c’est là aussi où les complexes peuvent naître et les fausses vies se créer, gênant ensuite les autres qui se dévaluent.

Ce que nous savons, c’est que dix ans après la création de ces réseaux, nous ne parvenons toujours pas à les maîtriser. Il y a encore beaucoup de travail à faire en termes d’éducation et d’apprentissage. Nous avons, en tant qu’influenceur, un rôle important à jouer. Nous ne devons pas mentir, encourager les choses fausses. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça bouge ! On voit des femmes de plus en plus naturelles, des contenus de plus en plus authentiques et je trouve ça rassurant. 

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