Presse
Performances d'audience, crise du Covid, projets : le directeur du Monde fait le point sur son journal et ses déclinaisons digitales.

Le Monde vient de passer la barre historique des 400 000 exemplaires vendus en Diffusion France Payée. Le Covid a-t-il été un facteur d’accélération ?

C’est un seuil historique. Cette crise sanitaire majeure a incité beaucoup de lecteurs à venir vers Le Monde et à lui rester fidèle. Nous avons encore eu 173 millions de visites en août sur notre site et nos applications. Depuis mars, nous avons gagné 100 000 abonnés numériques nets. Notre DFP (diffusion France payée) affiche +25% en juillet versus juillet 2019. Nous comptons 290 000 abonnés numériques (+45% versus juillet 2019): en moyenne 33 000 numéros vendus chaque jour chez les marchands de journaux, moins de 5000 exemplaires de diffusion par tiers, et 70 000 abonnés au print. Ces derniers nous sont très fidèles avec une érosion limitée à 2%. Le papier a encore un bel avenir, via l’abonnement.



Le passage symbolique à 3 euros le 1er aout dernier, soit 10 centimes de plus, ne va-t-il pas accélérer la décroissance de la vente au numéro ?

Le prix ne semble pas jouer pas un rôle majeur dans le réflexe d’achat des fidèles aux marchands de journaux. Nos lecteurs font preuve d’une très grande compréhension face à la crise de la distribution de la presse. Notre modèle économique repose sur des tarifs très attractifs sur le numérique parce que les coûts y sont moindres (...). Les lecteurs en kiosque comprennent que les coûts d'impression et de distribution sont répercutés sur notre prix de vente, ce qui a un effet positif sur notre chiffre d’affaires. 



Vous avez stoppé le partage illicite d’abonnements numériques en l’assortissant d’un message d’alerte...

Il s’agit du rappel d’une règle qui n’était pas respectée. Parallèlement, nous proposons de nouveaux tarifs dont l’essentiel à moins de 10 euros ou deux formules avec accès à 2 ou 4 comptes, suivant les besoins de chacun.



Quels sont les facteurs déclenchants d’abonnement ?

Pour avoir une politique d’abonnement efficace, il faut être très puissant en gratuit. C’est un peu contre-intuitif mais il me semble que ce sont les deux versants d’une même offre. Si nous avons eu ce bond de prise d’abonnements numériques, c’est parce que depuis sept mois, nous sommes le site d’actu national qui a le plus de visites au total. C’est le système freemium. Certains choisissent d'approfondir leur lien avec nous en s’abonnant. Notre offre gratuite se fonde sur des synthèses d’actualité, une information très fiable en temps réel, des live très suivis pendant le confinement et entretenant un lien fort avec nos lecteurs. Certains jours de la crise sanitaire, nous avons eu plus de 2000 recrutements d’abonnés. Je le comprends comme une marque de soutien à la qualité de notre production.



Quelles thématiques ou articles créent le plus de conversion ?

Ceux dédiés à l’approfondissement scientifique, à l’élection américaine et au décryptage la politique française. Nos séries d’été et nos grands formats aussi aussi, comme les articles de M le Magazine ou le supplément L’Époque.



Atteindrez-vous le million d'abonnés numériques en 2025, comme convenu?

Nous avons même pris deux ans d’avance sur nos prévisions. Nous avons de bonnes chances d'atteindre ce million, tous supports confondus, dès 2023. C'est une très forte accélération : il aura fallu plus de 10 ans pour atteindre les 100 000 abonnés purs numériques, trois ans pour être aux 200 000 et moins d'un an pour dépasser les 300 000.



Si votre audience progresse, les performances publicitaires déçoivent…

La publicité représente près de 20% de notre chiffre d‘affaires. Notre plus bas a été atteint en mai avec -45% versus 2019. En septembre, nous sommes à -7% par rapport aux prévisions budgétaires non revisées. Notre numérique programmatique affiche + 15% en septembre versus 2019. Nous attendons un retour à la normale à la fin de l’année. Nos annonceurs sont fidèles car ils connaissent ce lien de confiance qui nous lie à nos lecteurs.



Côté éditorial, voulez-vous développer certaines thématiques ?

Nous sentons des attentes fortes sur le terrain de la santé. Notre cahier Sciences et médecine est un signe distinctif et nous allons développer la couverture élargie de ces questions. Nous étoffons aussi notre présence à l'étranger. Le réseau d'une vingtaine de correspondants s’est élargi récemment avec l'ouverture d'un poste à Vienne, pour couvrir l’Europe de l’Est. Nous allons continuer de développer notre offre sur l’Afrique. 400 millions de personnes parlent le français dans le monde. Pour les élites et tous ceux qui veulent apprendre notre langue à leurs enfants, nous sommes une référence.



Allez-vous continuer à recruter des plumes ?

L’un des facteurs majeurs du succès de notre modèle économique repose sur le journalisme indépendant, qui produit de la valeur via des enquêtes, des reportages et (...) des scoops. C’est notre production éditoriale qui suscite de l’abonnement. Nous comptons plus de 450 journalistes en CDI. Avec Louis Dreyfus (président du directoire du monde NDLR), nous continuerons à renforcer la rédaction mais en restant raisonnables, en raison de la crise de la distribution et de la baisse des investissements publicitaires.



Les Gafa refusent de payer pour le référencement des papiers des grands médias français. Pensez-vous avoir des leviers efficaces pour les y obliger ?

Ce sont des rapports de forces qui se mettent en place. Les géants du numériques ont besoin de grands médias et de grands quotidiens nationaux. Comment les Gafa peuvent-ils espérer ou proposer une bonne information sans consentir à un geste à notre endroit ?



Quels sont vos projets pour 2021 ?

D’ici à la fin de l’année, nous lancerons une nouvelle version de notre application, qui réunit nos lecteurs les plus fidèles, avec 46 millions de visites en août dernier. Nous accélèrerons nos développements numériques sur tous les supports : YouTube, où nous avons un million d’abonnés, Snapchat, WhatsApp, Telegram avec le Monde Afrique et TikTok. Nous voulons développer des formats vidéo d’enquêtes fondés sur des scoops. Notre stratégie est d’être partout où des lecteurs potentiels se trouvent mais sans jamais transiger sur nos valeurs et notre identité.



Vous proposez un podcast Le goût de M. Avez-vous d’autres projets audio ?

À la suite du succès de Pandémie que nous avons initié pendant le confinement, nous souhaitons d’ici à la fin de l’année lancer un podcast d’actu quotidien.



Votre cellule des Décodeurs va-t-elle proposer de nouveaux formats ?

Nous sommes toujours très actifs, notamment sur Facebook, dans la lutte contre les fausses nouvelles et les manipulations. Nous voulons multiplier les articles sur le numérique avec des éléments visuels, incluant vidéo, images animées et infographies.



Quid de Daniel Kretinsky, l’actionnaire dont l’arrivée au sein de la holding de Matthieu Pigasse a suscité des inquiétudes et quid du projet de Fondation du Monde ?

Daniel Kretinsky demeure un actionnaire minoritaire au sein de la société détenue par Matthieu Pigasse. Nous continuons à travailler sur ce projet de fondation.



Vous entrez dans votre 6e année à la tête du Monde. Que n’auriez-vous jamais imaginé en prenant ce poste ?

J’avais l’intuition que le numérique permettrait de développer fortement l’abonnement mais je ne pensais pas que cela pourrait se faire si vite et dans de telles proportions. J’étais parfois enfermé dans le sentiment que l’offre payante allait pénaliser l’offre gratuite. Alors que l’une soutient l’autre.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.