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De RT France au bouquet chinois StarTimes, plusieurs acteurs de l’audiovisuel ont manifesté leur volonté de s’implanter en Afrique. Mais les circonstances actuelles et la nature même du marché freinent leur arrivée dans la partie francophone du continent.

Ces dernières années, plusieurs acteurs des médias ont fait part de leurs ambitions pour l’Afrique. L’annonce la plus spectaculaire est venue de Netflix. Disponible sur le continent depuis 2016, la plateforme américaine de vidéo à la demande a annoncé fin 2018 sa volonté d’investir dans la production locale, nommant la Kenyane Dorothy Ghettuba à la tête de ses productions originales sur le continent africain. RT France, la filiale française de Russia Today, affichait aussi en octobre 2019 sa volonté d’ouvrir un bureau au Maghreb permettant, notamment, de concurrencer France 24 et RFI sur ses terres. Les Chinois, implantés de longue date via une coopération économique avec certains États d’Afrique francophone subsaharienne, ont également pointé le bout de leur nez : le bouquet StarTimes a lancé au Tchad, dès 2018, un projet visant à permettre l’accès à la télévision satellite dans 10 000 villages de 20 pays d’Afrique subsaharienne.

Promesses non tenues

Aujourd’hui, force est de constater que toutes les promesses n’ont pas encore été tenues. « Le projet est toujours sur la table, mais nous avons dû le mettre entre parenthèses du fait de la pandémie de Covid-19 », reconnaît Xenia Fedorova, présidente de RT France. « Mais nous travaillons à multiplier nos canaux de diffusion sur le continent par la signature de partenariats avec des diffuseurs, que ce soit pour la télévision ou en OTT », explique la dirigeante, s’affirmant prête à « partager » ses contenus « avec des chaînes locales ». « C'est quelque chose que nous avons déjà commencé à faire au Gabon, au Cameroun, au Bénin ou au Togo. À terme, nous pourrions même envisager une opération plus importante et diffuser plusieurs heures de programmes, quotidiennement, directement depuis le continent africain », indique Xenia Fedorova.

Freinée elle aussi dans ses projets d’expansion par la crise sanitaire, la plateforme Netflix a toutefois tenu parole. Deux premières séries, Queen Sono et Blood and Water, produites en Afrique du Sud, sont arrivées en février et en mai dernier dans le catalogue de la multinationale, qui développe aussi pour l’Afrique la partie acquisitions, à la fois de séries, de films ou de documentaires. « L’idée, quand on développe ou qu’on acquiert un contenu, c’est aussi de le proposer au public dans le monde entier », indique un porte-parole du groupe en France, soulignant que Queen Sono a très bien fonctionné en Amérique du Nord et du Sud. Le film nigérian Oloturé, de Kenneth Gyang, constitue aussi un exemple d’œuvre à qui la plateforme offre une « seconde vie », en lui permettant de toucher un large public hors de son pays d’origine. Mais si Netflix a indiqué mener, après l’Afrique du Sud, des projets de production au Nigeria et au Kenya, rien n’a encore été annoncé en Afrique francophone.

StarTimes, de son côté, revendique 13 millions d’abonnés à ses services de télévision par satellite et TNT en Afrique subsaharienne. Mais la majorité de ceux-ci se trouvent encore en zone anglophone, même si la progression « s’accélère en zone francophone », assure un porte-parole du bouquet chinois. Son projet d’équiper des régions isolées serait en bonne voie, avec déjà « 80 % de villages équipés », indique-t-on. Toutefois, le groupe, qui diffuse plusieurs compétitions européennes de football et proposera l’an prochain l’Euro, connaît des difficultés à s’implanter au Sénégal via l’acquisition des droits du championnat de football local. Chez Canal+, qui truste les droits de bon nombre de compétitions sportives en Afrique francophone, on admet que le groupe chinois lui donne du fil à retordre sur certains droits sportifs et qu’il dispose de moyens financiers.

S'adapter aux habitudes

Au-delà de la situation conjoncturelle, les groupes soucieux de s’implanter en Afrique doivent aussi se confronter à la réalité du terrain. Le modèle Netflix, qui repose sur la facilité de paiement via une carte bancaire et un accès au streaming grâce au haut débit, est difficilement exportable, en l’état actuel des choses, dans nombre de pays africains de la zone francophone. « Nous devons acculturer le marché aux nouveaux usages et nous adapter techniquement aux habitudes locales, concernant notamment les modalités de paiement et les aspects de tarification », reconnaît-on chez Netflix, qui indique « tester des solutions uniquement sur mobile ». Sur la partie distribution, Netflix dit vouloir « s’associer à des partenaires locaux, comme les opérateurs télécom », pour distribuer son catalogue comme la plateforme le fait déjà en France via Orange. Autre problème, celui du pouvoir d’achat local. Orange, en Côte d’Ivoire, indique qu’un tarif de 1 500 francs CFA (2,30 euros), voire de 1 000 francs CFA (1,50 euro), constitue un frein pour l’achat d’une vidéo à la demande, conduisant l’opérateur téléphonique à proposer, parfois, des tarifs encore plus bas, à partir de 500 francs CFA (75 centimes). Pour de nombreux acteurs, la question se posera à un moment donné de savoir si le jeu en vaut la chandelle, surtout qu’il ne faut pas attendre du marché publicitaire, encore très limité aujourd’hui, une source de financement compensatoire.

Rapports privilégiés

Mais les choses sont peut-être en train de changer. Cathy Ibal, senior vice-présidente Europe-Moyen-Orient-Afrique de CNN International en charge du commercial, reconnaît qu’un groupe comme le sien, avec des bureaux à Johannesburg, Nairobi et Lagos, « est bien davantage présent en Afrique anglophone » que dans la partie francophone. La chaîne américaine y est présente via le bouquet StarTimes, mais elle diffuse, comme ailleurs, ses programmes en langue anglaise. « Nous avons des rapports privilégiés avec l’Afrique francophone et le Maghreb et, malgré cette période compliquée, nos clients, dans cette zone, sont restés », se réjouit-elle. Surtout, « l’Afrique francophone s’ouvre beaucoup au monde et cette volonté, chez CNN, ça nous parle, on s’y retrouve », ajoute-t-elle. Et le digital pourrait bien lui offrir des opportunités pour décliner des programmes spécifiques à l’attention des Africains francophones.

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