Production
La contribution des plateformes à la création française va injecter beaucoup d’argent dans la filière de production nationale. Mais les chaînes craignent qu’elles s’accaparent de nombreux talents.

Le décret Smad, qui détermine la contribution des plateformes à la création audiovisuelle, devrait être transmis la semaine prochaine au CSA. Il devra sans doute tenir compte d’une crainte exprimée lors de Médias en Seine, le 19 novembre : la fuite des cerveaux de la télé vers les géants du numérique. « Notre métier, y a souligné Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, c’est parfois de l’art, mais c’est bien souvent de l’artisanat. Et ça repose sur des talents. Dans cette concurrence, le plus important est qu’on ne perde pas la guerre des talents. » Fanny Herrero, la « showrunneuse » de trois saisons de Dix pour cent, est déjà partie en exclusivité sur Netflix où elle développe une série sur de jeunes comédiens. Avec ses 18 milliards de dollars de budget, la plateforme de Reed Hastings n’a-t-elle pas les moyens de s’offrir les plus grandes stars de la fiction française ? Déjà, Omar Sy sera à l’affiche de sa série Lupin.

Des contenus plus ambitieux

« Nos concurrents ne sont plus TF1 ou M6 mais Netflix et Google, a estimé Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes du groupe public devant l’Association des journalistes médias, le 26 novembre. Là où France TV entend se différencier en faisant « des contenus plus ambitieux qui sortent des sentiers battus », comme une adaptation de La Peste, elle doit aussi entretenir la flamme de ses créatifs. « Les chaînes craignent que les talents leur échappent mais elles payent d’avoir travaillé avec les mêmes, souligne Guillaume Renouil, vice-président de l’Union syndicale de la production audiovisuelle. Les plateformes se battent peut-être sur quelques noms mais elles repèrent les talents en amont, notamment sur Slash de France TV. »

« Attention à préserver les chances des acteurs historiques », a exhorté Gilles Pélisson, le 19 novembre. Le patron de TF1 se félicite de l’arrivée sur Salto d'El Embarcadero, une série d’Alex Pina, créateur de La Casa de Papel, qui a explosé sur Netflix. « Mais combien de fois entend-on "désolé, je suis sous contrat Netflix, la fiction TF1 va passer au second rang" ». En réalisant des partenariats avec Netflix (Bazar de la Charité), Amazon, Disney et Apple, TF1 a relevé son niveau d’exigence. Mais une série comme Borgen, développée sur Arte et les télés publiques européennes, est passée chez Netflix pour sa saison 4.

Inégalité de traîtement

Les producteurs comptent sur le décret Smad qui prévoit une contribution de 20 ou 25% du CA des plateformes en France, soit quelque 200 millions d’euros pour Netflix. En réalité, les Gafan pourront se contenter de 20%. Une fenêtre dans la chronologie des médias des films devrait alors s’ouvrir pour elle à quinze mois (contre huit mois pour Canal+ et OCS). Le président de M6, Nicolas de Tavernost, a cependant mis en garde sur une « inégalité de traitement ». Ces géants pourraient en effet avoir le droit de créer leur filiale de production quand les chaînes doivent se battre pour récupérer les droits SVOD d’oeuvres qu’elles ont financées. Les plateformes mondiales n’ont pas les mêmes contraintes. « On a les droits et on ne peut pas exporter de séries qu’on finance parfois à 100%, c’est un vrai point bloquant », a aussi constaté Maxime Saada, le patron de Canal+, présent dans 40 pays.

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