Législation
Le gouvernement présente en même temps un projet de loi sur l’accès aux œuvres culturelles ainsi qu’un décret sur les services de médias audiovisuels. Décryptage des débats en perspective.

Alors que les contrats d’objectifs et de moyens de Radio France ou de France Médias Monde viennent d’être signés avec une moitié d’objectifs communs, le gouvernement engage sa réforme de l’audiovisuel. Comportant, d’une part, un projet de loi consacré à la protection des œuvres et à la création de l’Arcom - née de la fusion du CSA et de l’Hadopi - et d’autre part, un décret sur les services de médias audiovisuels (Smad), cette réforme ne fait plus référence à une holding commune à l’audiovisuel public. Elle est pourtant l’héritière de la grande loi sur l’audiovisuel qui devait être débattue en avril 2020 et a été ajournée en raison du Covid. Les deux textes présentent d’incontestables avancées mais sont déjà sous le feu des critiques.

Listes noires

Arrivé cette semaine au Sénat, le projet de loi « sur la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » prévoit de créer l’Arcom, avec sept membres et un président nommé par le chef de l’État. À charge pour elle de veiller à réguler et à protéger la distribution des œuvres alors même que l’offre légale s’est considérablement enrichie, avec 78 services de SVOD. Reste la question de ses moyens financiers et humains ainsi que de son efficacité juridique en cas de non-respect des obligations. La SACD appelle ainsi à une procédure simplifiée de mise en demeure et de sanction pour les opérateurs qui ne respecteraient pas leurs engagements dans le financement de la création.

Mais l’essentiel du projet de loi est qu’il permet d’exiger des fournisseurs d’accès à internet [FAI] qu’ils bloquent la mise à disposition de contenus piratés ou des retransmissions sportives illicites. Pourront ainsi être bloqués, au moyen de « listes noires », non seulement les plateformes de piratage mais aussi leurs sites miroirs. Un rapport du Parlement européen propose même de donner 30 minutes aux FAI pour retirer les contenus sportifs illégaux.

En revanche, le gouvernement n’a pas voulu faire de la lutte contre le consommateur pirate multirécidiviste une priorité. Pas question de rallumer une guerre culturelle avec les jeunes comme au moment de la loi Hadopi, en 2009 : le visionnage illicite pourra se terminer par une amende à l’Arcom ou au Trésor public. Du coup, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, estime que si « les titulaires de droits sont mieux protégés vis-à-vis des opérateurs télécoms qui sont laxistes », il n’y a « plus d’arme pratique » faute de sanction effective comme l’avait été la suppression de l’abonnement à internet, suspendue en 2013. « Il est regrettable qu’à ce stade, estime la société d’auteurs, le projet de loi ne prévoie pas la mise en place d’un pouvoir de transaction pénale pour l’Arcom. C’est pourtant le seul gage d’une efficacité renforcée pour le dispositif de réponse graduée, alors même que l’échange illicite d’œuvres entre particuliers reste aujourd’hui dans l’angle mort des politiques de lutte contre la piraterie. » Les cinéastes de l’ARP regrettent aussi « l’absence d’un pouvoir de transaction pénale, pourtant attendu par le secteur ». Un mécanisme « sans nul doute plus dissuasif et plus efficace », selon la Société civile de auteurs multimédias (Scam).

Déclaration avant cession

Autre avancée du texte, la mise en place d’une déclaration préalable avant toute cession d’un catalogue de droits. Faute d’avis conforme du Conseil d’État, au nom de la liberté de commerce, les ayants droit n’ont pas obtenu que le principe d’une autorisation préalable soit posé, du fait de la réglementation européenne. Ils renvoient à la présidence française de l’UE, au premier semestre 2022, pour « inscrire la culture, le patrimoine cinématographique et audiovisuel, parmi les secteurs pouvant être préservés de rachats par des opérateurs extra-européens », comme dit l’ARP. Une simple déclaration est-elle suffisante ? « Cela permet de gagner du temps pour régler par exemple les droits des films », répond Pascal Rogard, qui espère néanmoins que les sénateurs renforceront le texte. « Les gens de la musique voient partir en Chine une partie d’Universal, n’oublions pas que notre patrimoine est financé par le CNC, le crédit d’impôt ou la redevance ». Il souhaiterait, par exemple, qu’un remboursement des financements publics, puisse être exigé si un opérateur chinois ou américain mettait la main demain sur Studio Canal ou Pathé.

Obligations pour les géants

Quant au décret Smad, sur les services de médias audiovisuels, il prévoit d’imposer au 1er janvier 2022 des obligations aux géants du type Netflix ou Disney+ de soutenir la création française de films ou de séries. Ce sera 20 % du chiffre d’affaires en France de ces plateformes et même 25 % si elles bénéficient d’avances dans la chronologie des médias du fait de la diffusion de films plus tôt par rapport à la sortie en salles. De plus, ces géants de la SVOD devront en principe consacrer 85 % de leur catalogue d’œuvres à des productions d’expression française (80 % pour la VOD). Mais là, comme l’a révélé NPA Conseil, la Commission européenne estime que le gouvernement est allé trop loin dans la défense de l’exception culturelle en favorisant un peu trop les producteurs français. Ces taux sont « susceptibles de créer des avantages pour les sociétés de production établies en France [et] sont nettement plus élevés que ceux considérés comme proportionnels par la jurisprudence », pointe Kerstin Jorna, directrice générale de la Commission. En outre, a été entendu l’argument de Netflix selon lequel la définition des œuvres européennes prises en compte dans le calcul des quotas de production excluait « les œuvres produites par des entreprises européennes contrôlées par des acteurs extra-européens ».

D’autres points importants sont soulevés comme la question de la base de chiffre d’affaires retenue dans le calcul de la contribution des services mixtes du type Amazon Prime ou Apple TV+. Comment appréhender les revenus issus de la vidéo par rapport aux autres activités ? Le CSA, dans son avis rendu fin mars, avait aussi mis ce point en évidence, en y ajoutant la prise en compte du distributeur tiers comme Canal+ et des aides du CNC qui pourraient être distribuées aux plateformes au détriment des chaînes. Et il faudra s’assurer que les données transmises à l’Arcom « ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour mettre en œuvre la législation », ajoute l’exécutif européen.

Ce dernier constate enfin une majoration possible des taux de 20 et 25 % dans la production cinéma « en fonction du positionnement dans la chronologie des médias » et une définition différente de la production indépendante par rapport aux décrets TNT et Cabsat (100% du capital, 85% minimum pour les deux autres textes). Le conseil d’État aura à se prononcer prochainement. Une chose est sûre : l’Arcom sera au centre du nouvel édifice d’adaptation à l’ère numérique.

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