Les forces de sécurité sont évoquées de plus en plus souvent dans leurs actions de maintien de l’ordre. L’image de l’institution policière en souffre-t-elle ? Nous republions cette enquête parue le 11 mai et assortie d'une interview exclusive de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur.

Ce 20 avril, à l’Insep, à quelques pas du Parc floral de Vincennes, Gérald Darmanin est venu saluer les 66 membres de l’équipe « police nationale » qui tenteront de décrocher une médaille aux prochains JO de Paris. Composée de policiers, de policiers adjoints ou de réservistes citoyens, cette équipe comprenant une trentaine de nouvelles recrues ressemble à une publicité pour Benetton des années 1990. On y trouve le lutteur Marwane Yezza, la surfeuse Vahiné Fierro, l’escrimeur Eliott Bibi, le skieur handisport malvoyant Hyacinthe Deleplace, le nageur Damien Joly… Tous montent sur scène pour dire leur attachement à la police, tellement proche du sport de compétition avec « ses valeurs d’exemplarité, de fierté de représenter son pays, d’esprit d’équipe »

Un peu plus tard, devant la salle, le ministre de l’Intérieur savoure : « C’est une bonne publicité, ça coûte moins cher et c’est une preuve vivante que le sport concerne tous les agents… ». Le directeur général de la Police nationale, Frédéric Veaux, rappelle que la police n'a pas seulement vocation à être « autour des stades »  même si elle a des objectifs de sécurité « très élevés » pour les JO 2024. « Elle a l'ambition d'être aussi dans les stades », avance-t-il. Quant à la commmissaire générale Rachelle Costa, elle salue « un levier d'attractivité pour nous rejoindre et un trait d'union entre la police et la population ». Cette équipe permet non seulement d'attirer vers les métiers de la police nationale des amateurs de sport mais aussi de mettre en valeur un état d'esprit sportif à faire valoir au sein des unités où il faut trouver « l'équilibre nécessaire face à des situations émotionnelles et souvent violentes ».

Accrocs et répression

Difficile de se remémorer, en pareille circonstance, les accusations de racisme de la police qui avait suivi le tabassage du producteur de rap Michel Zecler en 2020. L’actuel ministre de l’Éducation Pap Ndiaye, alors historien, parlait cette année-là de « déni des violences policières » et de « relations dégradées » de la police avec une partie de la population, en particulier « les noirs et les arabes ».

Difficile aussi de faire coïncider cette estrade de champions avec les images de répression des manifestations circulant sur les réseaux sociaux en 2023. On songe aux violences policières dont ont été victimes des manifestants contre la réforme des retraites après des matraquaques par la BRAV-M, des tirs de LBD ou des jets de grenades. Ainsi, le 25 mars, 5000 grenades de désencerclement ont été envoyées à Sainte-Soline par des gendarmes faisant face à des violences de black blocks mais aussi se trompant de cortège et bombardant ou blessant d’inoffensifs militants écologistes. Comment le ministère de l’Intérieur justifie-t-il aujourd’hui ces méthodes qui ont plongé deux jeunes manifestants dans le coma ? « Le simple fait d’être présent à un rassemblement non autorisé permet de faire usage de la force, répond sa porte-parole Camille Chaize. Les images peuvent paraître violentes, mais c’est malgré tout une logique de désescalade. » 

Difficile encore de passer sous silence les continuels accrocs au droit d’informer dont ont été victime des vidéos-reporters comme Rémy Buisine (Brut) ou Jérémy Marot. « L'absence de déclaration préalable des rassemblements de protestation n'excuse en rien les entraves arbitraires visant les reporters qui couvrent les manifestations et les agressions policières à leur encontre », a été obligé de rappeler Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, le 24 mars. Relevés d’identification des policiers (RIO) encore trop souvent absents malgré l’obligation légale de les porter, lumières aveuglantes contre des journalistes empêchés de filmer, nasses immobilisant manifestants et reporters quand ce ne sont pas des coups de matraque ou de la garde à vue injustifiée…

Incompréhension

Le nouveau schéma de maintien de l’ordre, en décembre 2021, était pourtant censé consacrer le rôle du journaliste et garantir ses droits. Syndicats de journalistes et policiers se sont bien rencontrés pour « mieux se connaître et échanger », comme dit le ministère, un « groupe de contact » pour faire remonter les difficultés sur le terrain a même été créé. Mais l’incompréhension des policiers vis-à-vis des professionnels de l’information est encore très grande. Le ministère fait pourtant de son mieux : plusieurs fois par an, il convie une petite dizaine de journalistes à des « exercices communs » dans le cadre des formations d’escadrons de gendarmes ou de CRS.

Le principal objectif est de défendre sur les réseaux sociaux l’image des forces impliquées dans les manifs : BAC, gendarmes, CRS… Depuis les épisodes des Gilets Jaunes, à partir de 2018, la récurrence de vidéos incriminant les forces de l’ordre a conduit la place Beauvau à changer de culture : « On est entré dans une guerre de l’image qui peut être une guerre d’usure », souligne Camille Chaize. Un « service de veille et d’analyse », constitué de sept personnes, au sein de la délégation à l’information et la communication, tâche de repérer les images qui circulent et se viralisent, de les authentifier et de remonter le cas échéant vers l’unité d’intervention et la hiérarchie. Le but ? Porter la version des forces de l’ordre à travers des éléments de contexte et parfois même des images, les forces de sécurité disposant aussi de leurs « JRI » [journalistes reporters d'images].

Confiance de l'opinion

L’enjeu n’est pas tant vis-à-vis de l’opinion publique en général que des médias et des jeunes présents sur les réseaux sociaux. Comme le souligne Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, la police a des traits d’image majoritairement positifs sauf pour les jeunes. Selon un sondage du 31 mars pour Fiducial et Sud Radio, seuls 25% des moins de 35 ans et 19% des moins de 25 ans lui accordent leur confiance.

Il n’empêche, la police cartonne auprès des personnes âgées et recueille quand même 42% de confiance au global contre 9% seulement d’hostilité. « Il y a un monde entre les réseaux sociaux, où l’on trouve des sentiments très hostiles, et l’opinion », constate l’expert. Certes, la confiance a perdu 2 points par rapport à début mars, mais rien de commun avec l’affaire Zecler, en novembre 2020, où la chute de confiance avait été de 8 points. Pour lui, la véritable institution malade est plutôt la justice, avec 25 ou 30 points d'écart. « L’insécurité est vue comme un problème d’insuffisante réponse pénale », observe-t-il.

Une majorité (57%) estime néanmoins que les violences policières sont une réalité, soit 20 points de plus qu’en 2020. Serait-ce la réaction à la dureté du maintien de l'ordre exercé avec des armes lors des rassemblements contre la réforme des retraites ou devant les méga-bassines ? Peut-être, mais selon Frédéric Dabi, les dérapages à Sainte-Soline ou lors des manifs s’équilibrent avec le policier victime d’un cocktail Molotov le 1er mai ou les cars qui brûlaient dans les champs.

Communication interne

De quoi justifier l’emploi de la locution « certains viennent pour tuer », utilisée par Gérald Darmanin et plusieurs membres du gouvernement à l’endroit des casseurs ? « C’est de la pure communication interne envoyées aux troupes, estime Arnaud Dupui-Castérès, cofondateur de Vae Solis. Darmanin est obligé d’avoir le soutien total des forces de police. Le moindre mot de défiance, comme l’avait fait son prédécesseur Christophe Castaner, suscite immédiatement une fronde ». La présence de casseurs et de militants violents venus de divers pays européens justifie sans doute l’emploi de ces mots. Mais ils peuvent aussi avoir pour effet de jeter de l’huile sur le feu et de favoriser des violences policières. Selon lui, le ministre, qui est aussi « adroit qu’à droite », s’est vite empressé de se brouiller sur l’immigration avec Giorgia Meloni, la Première ministre italienne d’extrême droite, pour recentrer son image.

La loi anti-casseurs que devrait porter le garde des Sceaux permettra sans doute d’appréhender et de poursuivre un groupe de personnes masquées. Reste que selon le dirigeant de Vae Solis, « elle ne servira à rien, cela va provoquer les black blocs, mais plus il y a de désordre, plus l’opinion publique se désolidarise d’un mouvement… ».

Une petite dose de cynisme dans la gestion de l’après-réforme des retraites ? « La loi anti-casseurs, c’est le délit de violence en groupe, avec des gardes à vue préventives car vous arrêtez dix personnes pour les déférer devant le juge au motif d’une responsabilité pénale collective », précise Éric Giuily, président du cabinet Clai, qui rappelle qu’une loi similaire de 1970 a déjà été abrogée par Mitterrand et que la loi sécurité de 2019 a été retoquée par le Conseil constitutionnel. « Il faudra donc clarifier la législation », estime-t-il.

Mais il importe aussi de redonner de la confiance dans les pouvoirs d’enquête face au maintien de l’ordre. Plutôt que l’IGPN, et ses conclusions connues d’avance trois mois plus tard, pourquoi pas une autorité autonome rattachée au parlement ? « Sa parole n’en serait que plus crédible », argue Éric Giuily. Enfin, il reste à l’institution à opérer sa mue communicante face à des syndicats surpuissants qui jouent leurs propres cartes auprès des médias, et exigent même parfois de ne pas employer le terme « violences policières », comme l’a rapporté Arrêt sur Images à propos de BFMTV. « Les prises de parole du ministère de l’Intérieur sont rares. Il devrait être plus actif et plus présent à travers son porte-parole », conclut le fondateur de Clai. Ne serait-ce que pour rétablir des faits quand il s’agit d’énoncer le nombre de policiers blessés. Gérald Darmanin en a compté 108 puis 406 le 1er mai. Au ministère, on parle plutôt d’une soixantaine…

Trois questions à Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, en marge de son déplacement à l'Insep, le 20 avril.

Considérez-vous qu’il y a une crise d’image de la police, notamment après les manifestations contre la réforme des retraites ?

Non, tous les sondages le montrent, sept Français sur dix aiment la police et la gendarmerie. Les policiers font partie des métiers les plus appréciés. Il n’y a donc pas de problème entre la police et la population car la police est dans la population. D’ailleurs, la police, c’est la jeunesse. Dans toutes les écoles de police, ce sont des jeunes qui s’engagent. En revanche, on doit pouvoir attirer des profils extrêmement variés de gens qui viennent de tous les quartiers, de toutes les origines sociales. Nous recrutons beaucoup de policiers et de gendarmes du fait des augmentations d’effectifs pour préparer les JO. Notre sujet à nous est d’avoir un caléidoscope d’origines sociales et territoriales très important. Le sport peut faire partie de modèles qui permettent de donner une belle image de la police nationale.

Quel est l’objectif ?

C’est un peu celui du ministère des Armées quand il est passé à une armée professionnelle. Il a fait beaucoup de publicité et de changement d’image pour attirer des gens très différents. Notre travail à nous est d’expliquer que toutes les activités mènent à la Police nationale.

Il n’y a pas, selon vous, de problème d’image de la police sur les réseaux sociaux ?

Encore une fois, une immense majorité des Français aiment les policiers et les gendarmes, qui sont des enfants du peuple. Les gardiens de la paix sont des enfants de commerçants, d’employés, d’artisans... 50% des commissaires sont issus du rang. On a aussi des emplois de policiers adjoints qui vont à des gens qui n’ont pas encore eu le concours et ont eu parfois des difficultés d’études. C’est une police populaire. Il y a toujours des gens qui veulent nous caricaturer mais les policiers sont beaucoup plus aimés que les journalistes ou les hommes politiques. Ce qui n’empêche pas qu’il faut exiger de leur part de la déontologie, le respect des règles. Comme un sportif de haut niveau qui respecte des valeurs et le code de son sport.