Sommé par le Conseil d’État de se prononcer dans les six mois, l’Arcom va devoir déterminer si CNews respecte ses obligations de pluralisme. Mais encore faut-il s’entendre sur cette notion.

« On dit bonjour d’abord ! » : Pascal Praud commence ainsi son échange tendu, le 14 février, avec le directeur général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, au lendemain de la décision du Conseil d’État donnant raison à l’ONG contre l’Arcom. À la fois sur le pluralisme et sur l’indépendance de l’information, la plus haute juridiction administrative a estimé que l’instance devait se prononcer sur le respect par CNews de ses obligations.

L’Arcom est désormais sommée d’avoir une vision large de l’équilibre des temps de parole. Plus question de se contenter de décompter les personnalités politiques sans s’attacher à regarder la diversité des « courants de pensée et d’opinion » à travers les « chroniqueurs, animateurs ou invités ». Une nouvelle règle qui fait jurisprudence. De plus, pour mesurer l’indépendance éditoriale de la chaîne vis-à-vis de son actionnaire Vincent Bolloré, l’Arcom est invitée à considérer « l’ensemble de ses conditions de fonctionnement » et sa programmation.

La riposte est arrivée groupée. « Défendre le pluralisme des opinions et l’indépendance de l’information, ce n’est pas s’acharner sur CNews. Au lieu de nous rassembler pour informer au mieux nos concitoyens, RSF divise », a déploré sur X le numéro 2 du groupe Canal+, Gérald-Brice Viret, avant de préciser à Stratégies : « CNews respecte et respectera sa convention aujourd’hui et demain ». Pascal Praud a porté la charge en mettant en cause un « conflit d’intérêts » du dirigeant de RSF, par ailleurs délégué général des États généraux de l’information. « CNews permet d’entendre des voix qu’on n’entend nulle part ailleurs dans le PAF », a-t-il vanté, en citant Charlotte d’Ornellas, Eric Naulleau et Georges-William Goldnadel.

Dans des plaidoyers pro domo, Cyril Hanouna parle aussi de « dictature de la pensée », Christine Kelly fait de CNews un modèle de respect de la diversité des opinions et Eric Naulleau estime qu’il y a « une mise au pas de tout ce qui ressemble à une dissidence ». Quant à Laurence Ferrari, elle ironise : « Vivement qu’une telle attention soit portée sur tous les autres médias, y compris les chaînes publiques ».

Obligations déontologiques

Si la fureur est perceptible, c’est que RSF a réussi à imposer une meilleure prise en compte de l’équilibre des antennes, ce que le Conseil d'Etat nomme un « pluralisme interne » et qui est consubstantiel à la convention signée par CNews. Or la chaîne d’info du groupe Bolloré expose des opinions marquées à droite et à l’extrême droite avec un sens du marketing assumé en profitant d’une autre vision du pluralisme qui argue de la pluralité des courants de pensée à la télé. En somme, ce serait parce que CNews est singulière que le PAF est pluriel.

Mais ce n’est pas ce que prévoit la loi de 1986 qui conditionne l’usage d’une fréquence publique et gratuite au respect d’obligations déontologiques. Faut-il craindre un « fichage des journalistes » ? Non, car chaque rédaction sous-pèse déjà l’orientation de chaque chroniqueur ou invité avant de le convier en plateau. Et comme dit Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF, « la mise en œuvre de la décision ne va pas nécessairement déboucher sur une usine à gaz : il existe déjà des méthodes éprouvées de comptabilisation du pluralisme des expressions. »