Les 15 spin doctors

Les candidats à l’élection présidentielle rivalisent de radicalité pour se faire entendre dans le brouhaha médiatique. Mais à force de cliver, ils peuvent perdre toute chance de gagner.

C’est lui qui a donné le ton. En lançant la théorie du « grand remplacement », Éric Zemmour a d’emblée radicalisé la campagne présidentielle française. Ajoutant que « nous finançons notre grand remplacement au prix de notre grand déclassement », fustigeant sans cesse la « racaille », il stigmatise les immigrés comme source de tous nos maux, depuis l’insécurité jusqu’à la perte de pouvoir d’achat des Français.

La dynamique est savamment amplifiée par le chef d’orchestre de sa campagne numérique, Samuel Lafont. Après avoir lancé Génération Z, il constitue sur Twitter, grâce à des pseudos, des communautés de soutien capables de démultiplier les publications sur chacun des thèmes de campagne du candidat : jusqu’à 150 visuels diffusés en 30 minutes. Ces opérations de gonflage lui donnent une formidable base de contacts et d’envois de mails. Les dons et les adhésions affluent. Mi-février, Éric Zemmour brandit avec fierté la carte de son 100 000e adhérent. L’ancien journaliste a réussi à imposer son rythme et ses idées.

Jusqu’où peut-il aller ? « Éric Zemmour a entraîné tous les autres sur son terrain. Mais Cassandre peut-il aller à l’Élysée ? », s’interroge Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. « Éric Zemmour arrive en tête de ceux pour qui on ne voterait pas, renchérit Roland Cayrol, politologue. Il est vraiment clivant. 67 % des Français le détestent (Sondage Harris Interactive pour l’Épatant). Il ne peut pas être président de la République. »

Là est bien tout le paradoxe. Dans le brouhaha d’une campagne présidentielle où la surenchère des émissions télévisées, la multiplication des meetings et l’explosion des réseaux sociaux alimentent le fracas médiatique, ce sont les extrêmes qui gagnent le plus de parts de voix et créent la plus forte dynamique : Zemmour à droite qui revendique « vive la France » et Mélenchon à gauche qui s’exclame « vive la République » ! Comme si depuis leur débat qui avait lancé la campagne présidentielle, ils s’étaient partagé le fameux « Vive la République, vive la France » qui conclut traditionnellement les discours d’un président français.

À s’exclure ainsi chacun de la moitié de la population française, peuvent-ils gagner ? Candidat pour la troisième fois, « Jean-Luc Mélenchon a une pensée structurée et identifiée », dit Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive. Et il excelle dans l’art d’innover : meeting immersif et olfactif, hologrammes, occupation du terrain sur les réseaux sociaux, il est le seul à gauche à dépasser dans les sondages la barre des 10% d’intentions de vote. Mais ira-t-il plus loin ? Frédéric Dabi ne le croit pas : « Son image est disloquée, son incarnation abîmée », dit-il citant le sondage Ifop-TF1 qui donne à 26% seulement à Jean-Luc Mélenchon une stature présidentielle contre 43% à Marine Le Pen, son adversaire pour la troisième fois.

La candidate du Rassemblement national a, elle, intégré avec le temps l’intérêt d’affaiblir les anti-Le Pen, ce fameux Front républicain qui l’a fait perdre plusieurs fois, elle après son père. Elle n’agresse plus, adopte une posture plus consensuelle, un ton moins clivant. « Elle apparaît aujourd’hui certes d’extrême droite (69%) mais aussi respectueuse (45%), courageuse (59%), avec de bonnes idées pour la France (45%), assure Jean-Daniel Lévy. En 2017, Marine Le Pen a été qualifiée au 2e tour mais avec une image très négative. En 2022, son image est bien plus positive, elle joue le 2e tour avant le 1er », assure Frédéric Dabi. Comme si plus on parle fort, plus on se fait entendre ; mais moins on a de vraies chances de gagner l’élection présidentielle.

« Popularisme »

C’est un entre-deux que tente Valérie Pécresse. Cette travailleuse, proche du terrain, qui connaît à fond ses dossiers et sait gérer avec assurance la plus grande région de France, s’est risquée à forcer sa nature en partant à l’offensive sur le régalien, voulant un jour « ressortir le Karcher de la cave », le lendemain ériger des « murs de barbelés » pour protéger des migrants les frontières de l’Europe. Et pour répondre à la priorité des Français en faveur du pouvoir d’achat, elle répète que « Macron a cramé la caisse » et propose de « travailler plus pour gagner plus », comme un clin d’œil à Nicolas Sarkozy qui pèse encore dans son électorat.

« Le fracas fonctionne quand il est indexé sur l’imaginaire de 2022. Il ne fonctionne pas pour Valérie Pécresse », assure Stéphane Rozès, président de CAP. « Ce langage ne colle pas avec son image initiale », renchérit Jean-Daniel Lévy. En réalité, dans cette campagne de la présidentielle de 2022, tout est chamboulé. « Les politiques ont moins de prise sur le cours réel des choses et sont obligés de construire du “popularisme”, est convaincu Stéphane Rozès. Ils doivent susciter des émotions à partir du fracas médiatique et des réseaux sociaux. »

Mais au fond, tout est resté figé par la crise pandémique et par un président longtemps non-candidat, bien décidé à ne descendre dans l’arène qu’au tout dernier moment. Multipliant les déplacements, distribuant à chacun les largesses de l’État français, forgeant son image de président de l’Europe en particulier au moment de la crise ukrainienne, Emmanuel Macron se met au-dessus de la mêlée, esquivant ainsi la confrontation dont chacun des candidats aurait besoin pour pouvoir se hisser à son niveau.

C’est tout juste si on se souviendra de sa fameuse phrase prononcée dans le Parisien : « J’ai très envie d’emmerder les non-vaccinés », où il disait certes tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas. Mais où il a aussi « renforcé l’image qu’il peut avoir de chef du mépris », souligne Roland Cayrol dans la lignée d’un « t’as qu’à traverser la rue pour trouver du boulot » ou d’« une gare est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien »« C’est bon pour le 1er tour mais ça contribue au poison lent de la série de phrases qui a choqué les gens », acquiesce Frédéric Dabi. Comme si quand on veut être président de la République, crier fort, ça ne sert finalement à rien…

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