La chronique de Stéphane Distinguin

[Chronique] Les acteurs de la tech ne semblent plus invincibles, en attestent la perte de terrain de Google et Meta, ou la chute de FTX. Pour la première fois depuis longtemps, l’année qui vient sera d’autant plus ce qu’on en fera que les besoins sont là, les financements nombreux et les technologies prêtes.

MacAskill : Salut, j’ai vu ton sondage sur Twitter et la liberté d’expression. Je ne sais pas si tu es au courant mais ça fait un moment que mon collaborateur (sic) Sam Bankman-Fried réfléchit à racheter Twitter pour en faire une plateforme qui contribue à un monde meilleur. Tu dirais quoi de faire équipe ?

Musk : Est-ce qu’il a un gros paquet de cash ?

MacAskill : Ça dépend de ce que tu appelles gros ! Il pèse 24 milliards de dollars à lui seul, 30 avec son premier cercle. Il m’a dit qu’il pourrait mettre 1 à 3 milliards facilement, monter sans doute entre 3 et 8 et aller jusqu’à 15 s’il trouve du financement.

Musk : C’est un bon début.

MacAskill : Je peux vous mettre en contact par texto ?

Musk : Tu te portes garant de lui ?

MacAskill : À fond. Il est super engagé pour le bonheur de l’humanité dans le long-terme.

Cet échange pourrait être issu de l’imagination débridée d’un scénariste d’Hollywood, il est avéré et se trouve dans les documents rendus publics au cours de l’acquisition mouvementée de Twitter par Elon Musk. William Mac Askill, gourou à l’origine du mouvement Effective Altruism appelle l’homme le plus riche du monde pour lui soumettre l’idée de s’associer à son disciple, Sam Bankman-Fried. Le fondateur de FTX, plateforme de cryptomonnaies dont on connaît depuis les turpitudes et la banqueroute, est à cette philosophie du « gagne tout ce que tu peux pour le donner ensuite » ce que Tom Cruise est à la scientologie.

Tout a été dit sur Twitter et FTX ces derniers jours, mais séparément, et voir ces deux histoires se télescoper révèle tellement de la tech et plus généralement du monde en 2022. Un bon point de vue pour envisager l’année 2023.

La fin de l’exponentielle

Musk a perdu 100 milliards de patrimoine (à cette échelle, une première dans l’histoire) depuis l’annonce de l’acquisition de Twitter. 2022 a été la première année où Google et Meta ont stagné voire perdu du terrain. Nous assistons à la fin du bal de la tech. Le modèle publicitaire des Gafa marque le pas et l’effet est majeur sur toute l’économie numérique : ceux qui font commerce de nos données d’abord mais aussi tous, absolument tous les e-commerçants qui doivent revoir leurs méthodes et réviser leurs coûts d’acquisition.

Enfin, les start-up restent un objet de réussite et de culture populaire dominant mais le capitalisme en apparence plus cool de la Silicon Valley et de l’Effective Altruism semble déjà rejoindre celui des yuppies des années 1980 à Wall Street.

La puissance de l’asymptote

Certes, les acteurs de la tech ne semblent plus invincibles, ils souffrent de la conjoncture, de la concurrence, de l’inflation et de la remontée des taux comme les autres mortels. Mais ils réagissent vite, preuve en est avec les licenciements massifs qu’ils ont tous entrepris. Ils conservent leurs avantages et leurs cash flows plantureux se renforceront après leur plus grande focalisation stratégique et leur meilleure maîtrise des coûts.

D’ailleurs, l’oiseau bleu a sans doute déjà picoré son pain noir. Musk malgré ses frasques a raison de souligner que le nombre d’utilisateurs actifs et monétisables continue d'atteindre des nouveaux sommets… et les poids lourds bannis, comme Trump, n’ont pourtant toujours pas repris leur activité.

Si la croissance débridée est plutôt derrière que devant eux, les grands acteurs de la tech seront les premiers à profiter de la reprise quand la FED américaine annoncera, comme les hirondelles, le printemps.

Le retour des États

Lourds, has been, les États semblaient dépassés par les champions de la tech, tellement rapides, agiles, globaux, riches et puissants qu’ils les défiaient quand ils ne les ridiculisaient pas. Auditions devant le congrès américain, RGPD, DSA, DMA, réglementation des crypto monnaies, mise au pas des licornes en Chine… les États se rebiffent et ce n’est que le début. Mieux, ils suscitent des vocations. Les jeunes diplômés sont à nouveau attirés par le service de leur pays. La géopolitique talonne l’entrepreneuriat dans les cours les plus recherchés par une génération qui permet à la DGSE d’être plus sélective que les Gafa.

Un web de Gramsci

On a tous en tête cette fameuse citation du révolutionnaire italien « le vieux monde se meurt et le nouveau tarde à naître ». Là aussi, Twitter et FTX forment des ombres fascinantes dans ce crépuscule. Dégringolades des idoles mais qui pour leur succéder ? Mastodon pour Twitter ? Avez-vous essayé de vous inscrire ? Le modèle est vertueux mais difficile d’accès et ne remplacera pas l’usage des tweets. Pour les poids-lourds du réseau,  incertitude là encore : Trump ne tweete toujours pas malgré son « débanissement »… peut-être parce qu’il a lancé sa propre plateforme Truth Social et que son audience est déjà sur Parler, depuis racheté par Kanye West. Et pour FTX ? Après le scandale, qui va vraiment tenir la promesse de la décentralisation et de la transparence ? Enfin, le métavers adviendra-t-il ?

La bonne nouvelle, c’est que pour la première fois depuis longtemps, l’année qui vient sera d’autant plus ce qu’on en fera que les besoins sont là, les financements nombreux, les technologies prêtes et qu’il faudra moins compter sur les Gafa.

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