Management

Et si l’une des résolutions de l’année était de développer ses compétences en français ? Une suggestion qui mérite réflexion au vu des lacunes pointées par les recruteurs. 2022 pourrait même signer le « come-back » du français comme élément de sélection.

« Un vrai sujet ». « Un gros sujet ». Les interlocuteurs sollicités pour ce papier ont tous réagi par ces premiers mots, souvent suivis d’un « ah » désespéré ou d’un « aïe ». Une newsletter, puis deux… et les fautes sont quasi-systématiques. Cyrille Richard, directeur général d’Unyc, acteur de la comtech en nette croissance (+30 % de chiffre d’affaires en 2021) confie « ne pas avoir identifié les collaborateurs capables de bien écrire ». « C’est pénalisant, dit-il. Un courrier ou un post mal orthographiés peuvent envoyer un mauvais message. Aussi, ai-je demandé à relire tout ce qui sort. Cette solution n’est pas idéale. Je ne devrais pas m’embêter à faire ça ! » La parole de Cyrille Richard est sans détour, mais elle donne le ton d’un sentiment bien partagé.

Question taboue

« Le sujet me rend hystérique, commente Gildas Bonnel, président de Sidièse, agence en communication des marques et des entreprises en matière de développement durable, au risque de passer pour un "vieux réac". La maîtrise du français et de l’orthographe reste déterminante dans nos métiers. C’est quand même une école d’application. Cette faillite révèle aussi la précipitation dans laquelle nous évoluons. Mais, à être trop regardant, ne risque-t-on pas de passer à côté de pépites, s’interroge cet ancien professeur, surtout à l’heure où le secteur se révèle infoutu de faire rentrer de nouveaux profils. Il nous faut aimer cette génération. »

Le déclinisme orthographique ? Haro sur les millennials ? Des poncifs pour Bernard Fripiat qui le font bondir. Il est l’exception à la règle. Formateur chez Demos, Bernard Fripiat balaie ces discours d’un revers de main. « En 1953, des articles avançaient déjà que les enfants ne lisaient plus, à cause de la radio. La supposée maîtrise de l’orthographe de la grand-mère il y a 60 ans, alors qu’elle était analphabète… tout cela n’est pas sérieux ! Ce qui a changé en réalité ? La généralisation des ordinateurs, corrélée à la suppression des ʺpoolsʺ de secrétaires… Il y a un rapport psychologique des Français avec le… français. D’un mauvais niveau en maths, on s’en vante, mais pas en français. Un manager qui suit un stage de management le fait savoir. Il se voit même félicité. Or pour l’orthographe, il n’est pas rare de signer des clauses de confidentialité. » Et Natalie Cahuzac, formatrice experte en orthographe de confirmer : « La question reste taboue. Pour les chefs d’entreprise, il y va de leur crédibilité. Cela se décide un peu sous le manteau. Parfois, on loue même une salle à l’extérieur… »

« Ce n’est pas une question de génération, tient à souligner Caroline Diard, enseignante-chercheuse à l’École supérieure de commerce (ESC) d’Amiens. Les fautes choquent d’autant plus que l’on grimpe les échelons. Le covid a permis de révéler nos compétences, mais aussi nos incompétences, avec des messages truffés de fautes d’orthographe. Il va falloir s’en emparer. Une question de forme peut décrédibiliser le fond. » Selon un sondage Ipsos d’octobre 2021, « 76 % des employeurs se trouvent confrontés quotidiennement aux lacunes de leurs équipes, avec des répercussions très importantes sur leur crédibilité et leur efficacité professionnelle, et par conséquent, sur la réputation, la productivité et même la performance financière des entreprises. »

Un critère de recrutement

 Les fautes d’orthographe ? Un critère rédhibitoire pour 83 % des recruteurs lors de la lecture d’une candidature. Faut-il pour autant s’accrocher au prérequis de l’orthographe irréprochable exigée ? « Je ne vais pas leur demander de faire une dictée, s’agace Cyrille Richard, directeur général d’Unyc. Sur un marché déjà tendu, une telle posture pourrait renvoyer l’image d’une entreprise pas facile, où il ne fait pas bon évoluer. » Et puis les correcteurs automatiques d’orthographe facilitent bien la tâche aujourd’hui, à condition de les activer.

Pas de dictée non plus pour Christophe Amouroux, président de Twelve Consulting, cabinet conseil spécialiste de l’expérience clients et collaborateurs, mais quelques lignes sont demandées : « À l’issue de nos entretiens de recrutement, on attend des candidats de restituer par écrit ce qu’ils ont compris de notre entreprise. De quoi nous permettre d’analyser leur capacité de synthèse et de rédaction, à livrer un texte structuré, compréhensible, sans trop d’anglicismes. » Un exercice en vigueur depuis deux ans.

Un marché dynamique

 Fort d’un chiffre d’affaires en hausse de 20 % en trois ans, Laurent Schuhl est l’heureux patron de Mysoft, distributeur de logiciels d’aide à la rédaction et distributeur exclusif d’Antidote, correcteur orthographique. « La problématique ne se pose pas uniquement pour les supports de communication mais dès qu’un message est émis vers l’extérieur », explique-t-il.

Demos, Cegos… Chez les grands comme les petits acteurs de la formation, les stages de réapprentissage du français se multiplient. Et c’est sans compter le projet Voltaire qui a su s’imposer au fil des années comme la référence en la matière. 5 000 entreprises en sont partenaires. Et 65 000 certifications sont délivrées par an. « La mode, il y a quelques années, était au tout Toeic, outil qui mesure la maîtrise de l’anglais, note Mélanie Viénot, présidente de Projet Voltaire, mais une inversion s’est produite au profit du français. La transformation du travail, avec le déploiement massif du télétravail, nourrit la demande des entreprises. La maîtrise du français et de l’orthographe est devenue un vrai marqueur social. »

Selon un sondage baptisé « attente des employeurs et maîtrise de l’expression », commandé par le Projet Voltaire et réalisé par Ipsos auprès de 504 personnes du 12 au 24 mai 2021, 86 % des employeurs considèrent que c’est une compétence importante dans leur secteur d’activité (91 % chez les responsables RH). De plus, selon 91 % des décideurs, la relation client « pâtit fortement des lacunes en français des équipes ». Enfin, neuf interviewés sur dix considèrent que la qualité de l’expression écrite et orale est encore plus nécessaire dans une ère post-covid, où le télétravail implique beaucoup d’échanges écrits mais empêche parfois de s’appuyer sur un collègue pour connaître la forme correcte d’un mot ou d’une phrase.

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