Management
Rares sont les entreprises à être véritablement orientées customer centric. Un chantier lourd de bouleversements en matière commerciale, managériale et comportementale.

À chaque réunion du comité de direction d’Amazon, la légende veut que le président Jeff Bezos laisse toujours une chaise vide. Pour qui ? Pour « le plus important » d’entre eux… le client. Démagogique ? Emblématique ? Si chez Amazon l’orientation customer centric est une réalité, toutes les entreprises ont la même expression à la bouche. Ce sacro-saint client, toujours placé au « centre des préoccupations » et comme « axe prioritaire de développement » des entreprises ! « L’approche customer centric intéresse tout le monde. Mais malgré les bénéfices attendus, peu la mettent en œuvre », souligne Michel Salinier, président de l’agence Fove. Si les entreprises ont l’obsession du client, « certaines veulent être customer centric sans changer leurs process ni organisation. Cela n’a pas de sens », déplore Alain Gautrot, directeur design chez Niji, cabinet de conseil en transformation digitale.

Cela implique, en effet, de revoir toute sa stratégie commerciale, son organisation, ses outils, son management voire l’ensemble de ses comportements vis-à-vis des clients, mais aussi des collaborateurs et fournisseurs. « C’est un projet sur trois ans minimum, avec de lourds investissements et changements. Les actionnaires qui réfléchissent souvent à plus court terme sont difficiles à convaincre », note Michel Salinier. « Pour le marketing, c’est une révolution copernicienne, considère de son côté Yan Claeyssen, directeur général de Publicis ETO. La marque n’est plus le soleil autour duquel tournent des consommateurs enchaînés par les mass medias. C’est désormais la communauté qui est au centre, ou plutôt des communautés interconnectées, dont les individus appartiennent à une multitude de tribus en fonction de leurs centres d’intérêt, goûts et profils. »

Bon outillage

Cette « révolution » passe évidemment par de nouveaux outils. Les datas doivent être uniformisées et centralisées pour interroger, sonder, historiser la connaissance et l’écoute client. Mais les logiciels et autres outils digitaux ne sont qu’un moyen. Le chantier est surtout organisationnel, managérial et culturel.

« Les datas peuvent venir contredire ce que l’on croyait savoir jusqu’alors et peser sur les responsabilités et façons de travailler des équipes », relève Emmanuel Arendarczyk, directeur de Netbooster France et UK. Rien ne sert d’avoir les bons outils et datas si on les partage mal. Ou si l’on n’a pas intérêt à les partager. « En entreprise, il y a encore beaucoup trop de silos, constate Michel Salinier. Parfois, les services informatiques et marketing ne sont pas rattachés entre eux et les infos ne passent pas. » Pour lever les difficultés, certaines sociétés ont réorganisé leurs équipes et fonctions. À l’instar du Club Med, où Anne Browaeys-Level, directrice marketing, digital et technologies supervise dorénavant à la fois la DSI et le digital.

Plus fondamentalement, « l’obsession client » doit irriguer tout le process RH. « Cela passe par le recrutement de profils qui ressemblent aux clients et ont le sens du service comme par la refonte du système de rémunération avec la satisfaction client comme élément d’évaluation important et partagé », estime Emmanuel Arendarczyk. Chez Accor Hotel, des équipes au profil branding d’un côté et ROI de l’autre ont depuis l’été dernier fusionné dans le département e-commerce/digital services et sont dorénavant évalués à partir d’indicateurs et KPI communs.

Parcours balisé

Décloisonnement, aménagement de bureaux, espaces partagés et management horizontal sont bien souvent des clés pour insuffler la culture client en interne. À condition que le top management s’implique aussi. « L’orientation client concerne toute l’entreprise, du haut jusqu’en bas. Cela signifie qu’elle est soutenue, sinon incarnée, par la direction et s’inscrit dans un projet d’entreprise », précise Emmanuel Arendarczyk. Le plan stratégique Essentiels 2020 d’Orange est ainsi centré sur l’expérience client.

Ce nouvel état d’esprit nécessite de remettre à plat tout le circuit d’achat pour proposer un parcours et une expérience sans faille. Traduction : de nouveaux équipements et services en magasin et en ligne (tablettes aux vendeurs pour renseigner le client et les datas, bornes, files virtuelles, RDV magasin pris en ligne…) pour une expérience offline et online unifiée. Chaque moment du parcours client est analysé.

Pour optimiser cette expérience client, certaines entreprises ont créé une fonction à l’avenir prometteur : le client experience management. PSA, Leroy Merlin, Orange, Fnac, Sephora, la font dépendre directement de la direction générale. Autre solution, réhabiliter le terrain. Nombre de marques dans les centres d’appel abandonnent les scripts et laissent aux conseillers le soin de répondre de manière plus personnelle. D’autres confrontent les différents métiers et services aux problématiques client réelles. Les collaborateurs de Netbooster sont, par exemple, mis le plus souvent possible face aux clients avec des membres des fonctions support comme les RH, la gestion et les finances sur les salons ou en rendez-vous client. Même état d’esprit chez Foodchéri, une start-up spécialisée dans la restauration à domicile, où tous les collaborateurs sont invités à jouer un rôle dans la chaîne d’information de la relation client. « Nous menons beaucoup d’actions de formation et de sensibilisation qui paient, explique Laurent Partouche, happiness customer chez Foodchéri. Nos vendeurs, par exemple, s’échangent et remontent des informations client via des messageries instantanées. »

Mais pour que chacun soit investi de la même mission, le client, « il faut les récompenser pour cela ». En management, la théorie des symétries des attentions enseigne en effet que, plus l’on prend soin de ses collaborateurs, plus ils prennent soin de leurs clients… « Comment faire adhérer chaque collaborateur à cette obsession client si l’entreprise n’est pas elle même exemplaire dans toutes ses dimensions : commerciales, environnementales, sociales voire fiscales ? », interroge Yan Claeyssen de Publicis ETO. Sans forcément respecter les deux dernières dimensions, Amazon n’a pas vu sa réputation de relation client trop en pâtir. « Le client a des pouvoirs extraordinaires. Déjà très importante, la RSE deviendra bientôt décisive », prédit Yan Claeyssen. Chiche !

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