Spécial digital
Hiérarchies, circuits de décision, structures... Le digital bouleverse la gouvernance des entreprises. Trois experts dévoilent leurs recettes pour intégrer cette nouvelle donne digitale au management.

Emmanuel Vivier, cofondateur de Vanksen

«Repenser la relation avec les consommateurs»

Expert en social media marketing, Emmanuel Vivier conseille les marques depuis douze ans. Pour lui, les hommes de marketing, qui, le plus souvent, ne sont pas des natfis du digital, sont à la peine pour maîtriser les flux d'informations issus des nouveaux canaux comme les réseaux sociaux, le e-commerce ou le mobile. «En face, les agences ont tendance à leur vendre tout et n'importe quoi sans toujours posséder les compétences adéquates», juge-t-il. Ces dernières années, les marques se sont ruées sur cet écosystème digital en perpétuelle mutation, sans avoir répondu au préalable aux besoins en formation des équipes concernées. Organisées en silo, les entreprises ont du mal à changer leur mode de gouvernance. Pourtant, certaines, comme Danone, Air France ou L'Oréal (que conseille Emmanuel Vivier) ont compris l'enjeu. «L'Oréal a embauché un DRH digital, recruté des profils ciblés et doublé son budget dédié au numérique. Mais former 40 000 personnes ne se fait pas en deux mois», avertit l'expert. Il préconise de faire un choix parmi les outils digitaux et d'adapter les process internes à cette nouvelle donne. «Jusqu'à présent, les marques ont vu le Web comme un canal de vente supplémentaire. Désormais, il leur faut repenser totalement leur relation avec les consommateurs en intégrant la notion de temps réel», estime Emmanuel Vivier.

 

Bruno Patino, DG délégué au développement numérique de France TV

«Le risque de la génération perdue»

Après avoir supervisé la refonte du Monde.fr, Bruno Patino gère depuis septembre 2010 la stratégie numérique de France Télévisions. «Le digital horizontalise les prises de décision et aplatit les organigrammes», estime-t-il. Deuxième effet généré par le numérique: le phénomène d'itération (répétition d'un processus). Troisième évolution: le risque de créer une «génération perdue»: «Les 40/50 ans se sentent, à tort ou à raison, dépassés par cette culture numérique maîtrisée par les générations plus jeunes», pense Bruno Patino. Il est donc essentiel que cette classe d'âge soit immergée dans cet univers grâce à une formation adaptée. Ses recettes: susciter l'intérêt des salariés puis l'adhésion au projet, le tout avec «beaucoup d'humilité». «Je ne crois pas à la motivation par la peur. Le discours du type “Si vous ne vous adaptez pas, vous êtes mort” ne fonctionne pas, je l'ai appris au Monde», raconte-t-il. Il a créé à France Télévisions une université qui dispense deux cycles de formation, l'un pour les journalistes et le second pour les autres salariés. «Il faut être présent pour chacun des 10 800 salariés du groupe et leur délivrer une explication permanente de ces nouveaux savoir-faire.» Premier succès de cet «évangélisateur numérique»: Francetvinfo, la nouvelle application Iphone d'information en continu, avait déjà été téléchargée 600 000 fois en janvier dernier.

 

Charles Georges-Picot, coprésident de Marcel et Publicis 133

 

«Plus une question d'état d'esprit que d'âge»

 

Pour Charles Georges-Picot, spécialiste du numérique, il existe deux types d'entreprises: les «digital centric», nées avec le numérique, et les traditionnelles, qui ont deux choix: monter une business unit dédiée ou intégrer le digital partout. Il préconise de créer un tableau de bord partagé par tous, avec des «KPI» («Key Performance Indicators», indicateurs de performance clés) valides pour tout le monde. En ce qui concerne les RH, il conseille de faire confiance aux natifs du digital et de former au community management les salariés déjà habitués à conseiller le client, comme les téléacteurs ou les vendeurs. Mais il ne croit pas à la fracture générationnelle : «C'est plus une question d'état d'esprit que d'âge. Maurice Lévy [70 ans, président de Publicis Groupe] en est un exemple parfait. C'est grâce à lui que 30% du revenu global du groupe s'effectue désormais dans le digital.» L'Université Publicis Modem a mis en place une quinzaine de modules de formation au digital destinés aux collaborateurs du groupe ainsi qu'à ses clients. «Le digital a profondément transformé le business model de nos clients, avec l'apparition de nouveaux métiers et de nouveaux départements. De plus en plus, le patron du digital des entreprises entre au board. Il y a cinq ans, cela était beaucoup plus rare», conclut-il.

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