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Sur les réseaux sociaux d'entreprise, le dialogue social 2.0 est en panne et il y a encore peu de place pour les représentants du personnel sur les réseaux sociaux internes des grands groupes. Enquête.

En matière de relations sociales 2.0, entreprises et syndicats ont encore des progrès à faire. C'est ce qui ressort de l'étude menée par l'Observatoire des réseaux sociaux d'entreprise (en partenariat avec Orange et la Société générale) auprès des grands groupes sur le thème «relations sociales et médias sociaux». «Cela se retrouve dans le nombre d'entreprises qui ont accepté de participer à l'enquête, souligne Franck La Pinta, directeur du pôle Campus de l'Observatoire des réseaux sociaux d'entreprise et responsable de la stratégie digitale RH à la Société générale: sur la cinquantaine de groupes sollicités, plus de la moitié n'a pas souhaité répondre à l'enquête. Il y a une certaine inquiétude des DRH vis-à-vis du sujet, la peur de ne pas savoir dans quel sens le prendre et ne savent pas ce que les partenaires sociaux en attendent.»

L'étude identifie trois types de pratiques: un premier groupe d'entreprises qui s'estiment «loin de ces sujets...», celles qui sont dans l'attente («C'est aux organisations syndicales de prendre l'initiative») et celles qui sont dans l'action. La majorité des entreprises avancent timidement sur ce sujet de l'ouverture des réseaux sociaux internes aux syndicats, contrairement à Alcatel Lucent (lire le sous-papier). «Il faut dire que certains DRH ont eu des mauvaises expériences avec des forums internes où les collaborateurs pouvaient poster des messages de manière anonymes et qu'ils ont peur qu'il y ait à nouveau des dérapages, souligne Myriam Karoui, enseignante-chercheur à l'Ecole centrale Paris, doctorante en management des systèmes d'information, qui a piloté l'étude. En période électorale, certains syndicalistes n'hésitent d'ailleurs pas à utiliser, sans autorisation, les canaux d'information de l'entreprise.»

Le spectre du temps réel

Si les DRH sont attentistes c'est aussi parce qu'ils ont conscience que cela va bouleverser les règles du jeu du dialogue social: sur cet espace le dialogue risque de s'effectuer en temps réel et en continu, ce qui est à l'opposé des usages habituels où les négociations se déroulent sur des temps long, avec des processus très codifiés. La principale révolution induite par ces outils virtuels se trouve sans doute là: «Il y a le risque que des collaborateurs interpellent directement la direction sur le réseau social d'entreprise - ou RSE -, plutôt que de passer par l'intermédiaire des partenaires sociaux, relève Franck La Pinta. Si cette critique ou remarque est approuvée par 500 ou 1000 salariés, cela créera une nouvelle forme de représentativité non élective.» Ce qui pourrait bien gêner aux entournures les syndicats maison, débordés pour ainsi dire virtuellement, par leur base. Côté syndicats, on renvoie la balle aux employeurs pour expliquer une faible présence sur les réseaux internes... De fait, c'est bien au DRH d'en prendre l'initiative puisque les modalités de cette présence doivent être définies par un accord d'entreprise (lire l'interview).

Nécessité d'ouverture

«Les DRH ont peur que leurs réseaux sociaux deviennent un vrai lieu de débat, d'échanges et d'appel à la grève, regrette Florian Meyer, responsable communication de la CFDT. Résultat, ce ne sont bien souvent que des simples pages comme sur les intranets avec du contenu. Il y a parfois des commentaires, mais cela ne va pas plus loin. Pourtant tout le monde aurait intérêt à ouvrir les RSE pour favoriser l'écoute, le dialogue; cela correspond à l'état d'esprit de la CFDT.» Même si le syndicat admet ne pas avoir mis en place de formations spécifiques ou de guides consacrés à ses adhérents sur l'utilisation des réseaux sociaux d'entreprises.

Pour sa part l'UGICT-CGT (CGT des cadres) souligne que les organisations syndicales devraient être davantage associées en amont à la réflexion même sur les objectifs du réseau social. «Un réseau social qui ne permettrait aucune prise de parole critique ne sera pas du tout ancré dans la réalité de l'entreprise, juge Damien Ramage, conseiller communication à l'UGICT-CGT. Enfin c'est aussi à l'entreprise de former les syndicalistes à l'usage des RSE et de leur fournir les moyens de s'y mettre». Si personne ne semble pressé de s'entendre sur les règles d'utilisation du réseau social interne, tout le monde aurait pourtant à y gagner, y compris les syndicats, afin de vivifier le dialogue social, en mode 2.0.

 

 

3 questions à...

François Coupez, avocat à la cour, associé chez Atipic Avocat

 

Tout syndicat a-t-il le droit de s'exprimer sur le réseau social interne de l'entreprise?

François Coupez. C'est à l'entreprise de décider, et elle n'est pas obligée d'ouvrir cet espace aux organisations syndicales mais, si elle décide de le faire, cela doit s'inscrire dans un accord d'entreprise. Un syndicat ne pourrait donc pas prendre la parole, sans autorisation sur un RSE. Les règles sont a priori les mêmes que celles posées par le Code du travail et la jurisprudence pour l'utilisation de l'intranet ou de la messagerie électronique professionnelle. Pour les e-mails, la Cour de cassation dans un arrêt du 25 janvier 2005 avait condamné une organisation syndicale qui avait envoyé un courriel sur les adresses professionnelles des salariés. La Cour de cassation avait rappelé qu'il fallait la signature d'un accord d'entreprise pour que cela soit possible.

 

Comment éviter les dérapages?

F.C. Certains accords d'entreprise sur l'utilisation des intranets peuvent être très détaillés et faire jusqu'à 40 pages. Même principe pour les réseaux sociaux d'entreprise, il faut prévoir les aspects techniques (droit d'accès, public du réseau social ayant accès aux contenus syndicaux publiés...), la modération éventuelle, la formation des utilisateurs et même les sanctions en cas de dérapage (coupure d'accès pendant une journée, puis un mois...).


Les prises de paroles peuvent-elles être anonymes?

F.C. Cela peut aussi être mentionné dans l'accord d'entreprise. Il peut par exemple être décidé que certaines interventions de salariés peuvent se faire sous pseudonyme sauf quand un représentant syndical s'exprime en tant que tel. Dans tous les cas, les posts ne doivent pas être diffamants ou insultants tant vis-à-vis des autres organisations syndicales, des salariés ou des tiers. En effet, si un collaborateur s'estimant lésé, saisissait les tribunaux, le juge pourrait dans certains cas, condamner l'employeur, considéré comme l'hébergeur voire comme le directeur de la publication du RSE. Les entreprises ont donc tout intérêt à mettre en place une veille systématique sur leurs réseaux sociaux internes pour prévenir des abus.

 

Alcatel Lucent joue les pionniers

L'équipementier télécom engagé depuis 2013 dans un vaste plan de restructuration (le plan "Shift") au niveau mondial mise sur son réseau social interne, baptisé «Engage» pour accélérer sa mutation. C'est ce que soulignait Sébastien Lebreton, directeur général délégué ressources humaines et communication d'Alcatel Lucent lors du dernier congrès HR (événement consacré aux directeurs ressources humaines) en avril dernier, au Pré-Catelan.

Il faut dire que le réseau social d'Alcatel-Lucent est très actif: 70 000 collaborateurs y disposent de leur propre page. Les syndicats aussi sont présents. «Nous avons engagé cette démarche il y a deux ans et au départ il y avait des craintes de ces organisations, en particulier sur le “flicage” des salariés», explique-t-il.

Désormais, les syndicats adoptent lentement ces nouveaux outils. «Il y a des groupes créés par les organisations syndicales, cela leur permet de faire des sondages, de questionner les salariés, et pourquoi pas d'organiser des mouvements sociaux, observe Sébastien Lebreton. Si j'ai incité les organisations syndicales à venir sur ce terrain-là, c'est pour les remettre au même niveau que les salariés, et faire en sorte que les négociations soient alimentées par les idées des collaborateurs en ligne. Sur certains sujets RH comme le télétravail, il y a ainsi des appels à contributions sur les réseaux sociaux. Une forme de dialogue social 2.0.»

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