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Si les grèves ont de nouveau mis en relief les avantages du télétravail, ce sont surtout les exigences des jeunes salariés qui vont favoriser à long terme cette pratique encore très minoritaire.

BETC n’a pas attendu les grèves liées à la réforme des retraites pour faire du télétravail une habitude. Le dispositif a été lancé dans l’agence dès 2015. « Il est basé sur un double volontariat : celui du collaborateur mais aussi celui du manager », explique Sophie de Gromard, sa directrice des ressources humaines. Un accord collectif conclu en 2019 a posé une limite : pas plus de deux vendredis par mois de télétravail par collaborateur. « La journée de télétravail est vécue par les collaborateurs comme un moment plus agréable, qui réduit le stress, et comme un signal de confiance de l’entreprise à leur égard, souligne Sophie de Gromard. Il permet aussi de réduire l’usage des transports, ce qui a un impact positif sur l’environnement. » Aujourd’hui, 60 % des salariés pratiquent le télétravail en moyenne une journée par semaine.

 

Un outil attractif

Pour un nombre croissant d’entreprises, le télétravail est même devenu un outil pour attirer les talents et engager les collaborateurs. « Il devient alors un paramètre élargi de l’attractivité, qui ne se résume plus à la rémunération », explique Denis Maillard, fondateur du cabinet de conseil Temps Commun. Tout en reconnaissant le caractère « paradoxal » de cette démarche – attirer les candidats en leur offrant la possibilité de travailler chez eux ou ailleurs –, il souligne qu’elle peut appeler une double lecture : « Dans la première, c’est l’intensification du travail qui pousse les cadres à chercher des moments/lieux où ils ne seront pas dérangés par le mail ou le téléphone ou l’environnement de travail. Dans la seconde, on peut y voir aussi une demande d’entremêlement des dimensions professionnelle et privée afin d’avoir plus de souplesse pour jongler entre les différents impératifs. »

Denis Maillard se risque à un pronostic clair : « Globalement, les réticences vont reculer face aux avantages qu’apporte le télétravail en termes de flexibilité, de mobilité et d’engagement au travail. » Pour autant, la formule comporte des risques, comme ont pu le constater de grandes entreprises comme IBM ou Facebook. En 2017, Après avoir prôné le télétravail tous azimuts, Big Blue a sonné la fin de la partie en 2017 et rapatrié tous ses salariés dans ses locaux en expliquant que le télétravail pénalisait la « capacité à innover ». De son côté, Facebook s’est mis à offrir des primes à ses collaborateurs habitant près de son siège… L’émulation dépend aussi de l’immersion en entreprise.

Le télétravail peut également présenter des inconvénients pour les salariés, relève de son côté Pierre Maclouf, sociologue et professeur à Paris-Dauphine : « Il accompagne la densification du travail et non le relâchement de l’effort. » Et marque le retour de vieux critères comme la rétribution à la tâche et non à la durée. Selon le sociologue, l’essor du télétravail accompagne un mouvement de réorganisation global marqué d’une certaine ambivalence : « D’un côté, on assiste à une re-personnalisation de l’action organisée, avec une mobilisation de la subjectivité ; en ce sens, la créativité peut aller avec une certaine “solitude” – contrairement à la valorisation naïve de l’ “intelligence collective”. D’un autre côté, il est lié à une certaine individualisation : si le travail est réalisation de la personne, la personne est une entité relationnelle. Or le télétravail peut se révéler générateur de tensions : entre ceux qui restent là et ceux qui viennent plus sporadiquement. »



De nouvelles conventions en négociation

L’impact des grèves pourrait cependant faire évoluer l’attitude des entreprises. C’est en tout cas la conviction de la fédération F3C (communication, culture et conseil) de la CFDT. Les organisations représentatives des salariés et des employeurs ont en effet engagé une négociation pour établir des conventions collectives nationales de la télédiffusion et de la radiodiffusion. Lancé dans le cadre de la restructuration des branches professionnelles, dont le nombre est passé de 700 à 200 entre 2015 et 2019, ce nouveau texte doit remplacer les conventions existantes dont sont exclus, côté radio, RTL, Europe1, Sud Radio, Radio France ou encore RFI, et, côté télévision, les chaînes publiques, TF1, M6 et Canal+. Début janvier, la F3C a demandé par écrit aux représentants des employeurs que soit ouvert durant les négociations un chapitre traitant du télétravail. S’il reconnaît qu’une convention collective « ne peut poser de cadre rigide car chaque entreprise a ses spécificités », Christophe Pauly, secrétaire national de la F3C, entend « proposer une trame qui facilite l’engagement des négociations au niveau de l’entreprise ». De quoi, selon lui, « balayer les idées reçues et sortir du blocage culturel ». Le chemin risque d’être encore long : pour l’heure, selon les statistiques du ministère du Travail, 7 % des salariés seulement peuvent être considérés comme des télétravailleurs.

TROIS QUESTIONS À… Daniel Ollivier, directeur associé de Thera Conseil et auteur de Manager le travail à distance et le télétravail

Comment mettre en place le télétravail ?

Il s’insère dans une démarche de conduite du changement. Dans une première phase, il faut préparer les esprits, faire comprendre ce qui va changer et favoriser une appropriation avec la rencontre d’acteurs expérimentés. La deuxième phase porte sur la formation des managers. Il faut leur montrer qu’il y a d’autres manières de manager, qu’ils doivent déléguer, planifier, anticiper autrement. Le télétravail rend d’autant plus importante la formation du manager. Il faudra qu’il soit plus clair et qu’il connaisse mieux chaque collaborateur et son mode de fonctionnement. Dans un groupe réuni dans un espace commun, la régulation des difficultés est plus simple. Dans un système de télétravail, l’un des rôles clefs du manager sera de faire continuer à vivre les échanges et de faire vivre des binômes comme il en existe souvent dans les équipes en entreprise. Même en télétravail, il faudra conserver une dimension collective car si tout passe par le manager, il sera débordé.

L’évaluation à distance est-elle possible ?

Le télétravail repose la question de l’évaluation, à la fois personnelle et collective, mais c’est une dimension qui a été mise en retrait dans le monde de l’entreprise sans télétravail. L’individualisation de la performance a réduit la solidarité et l’entraide ; or elle sera d’autant plus nécessaire avec le télétravail. Il faut revoir les systèmes d’évaluation pour mieux prendre en compte la dimension collective. Si l’évaluation n’est utilisée que pour porter des jugements sur les personnes, on va dans le mur avec les nouvelles générations.

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