Management
Le deuxième volet de la crise laisse augurer des difficultés pour nombre d’entreprises, notamment dans la presse. Les salariés doivent-ils craindre des licenciements ? Sans être exclue, cette option n’est pas la seule possible. Repérage entre PSE, APC et RCC.

Les mois à venir seront cruciaux pour l’emploi. La communication et la presse n’échapperont pas à la tourmente et les craintes de réduction d’effectifs se multiplient. Avant l’été, le 8 juin, les salariés de L’Équipe se sont ainsi vu proposer un accord de performance collective [APC] mis en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 suivant les modalités prévues par l’article L2232-12 du Code du Travail. Présenté par la direction du quotidien sportif comme un outil qui avait « pour vertu principale de préserver l’emploi pour les quatre années à venir » alors que le déficit prévu en 2020 pour la SAS L’Équipe allait dépasser les 16 millions d’euros, ce projet a été refusé par les représentants du personnel. « Il reposait principalement sur une baisse de 10 % à 13 % des rémunérations et la suppression de 16 jours de RTT, explique Francis Magois, délégué syndical SNJ. Au total, l'effort aurait eu pour résultat de réduire de quasiment 20 % la rémunération des salariés. » En juin, l'intersyndicale du groupe avait dit craindre que l'absence d'accord ne débouche sur la « suppression d'une centaine d'emplois ». La direction de L'Equipe s'inscrit en faux en précisant que la baisse de rémunération était comprise entre 2,5% et 8% et que la baisse de RTT était de dix jours. Elle travaille désormais à un plan d'économies qui sera présenté dans les prochains mois.

Négociations

Les accords de performance collective connaissent cependant un regain d’intérêt auprès des employeurs. « Ils permettent de négocier le temps de travail, des réductions de rémunération, des mobilités géographiques ou professionnelles, explique Diego Parvex, avocat du cabinet Atlantes. Ces négociations peuvent être ouvertes sans avoir besoin du recours à la notion de difficulté économique comme l’entend la loi. Ce dispositif permet de compenser la baisse de l’activité par la modulation des charges. » Une fois l’APC signé, en cas de refus de la part du salarié, il y aura un licenciement sui generis (dont la cause est le refus de la modification du contrat) sans autre garantie que celles qui ont été éventuellement négociées.

Ces salariés bénéficieront des droits liés à la rupture de contrat mais pas des mesures spécifiques qui peuvent être négociées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi [PSE], autrement dit un plan social classique. Ainsi, un salarié pourra toucher des indemnités de licenciement telles que prévues dans la convention collective ou la loi, et il collectera les jours acquis de congés payés non pris. « Mais il n’aura pas droit à des mesures prises dans le cadre d’un PSE telles que les congés de reclassement, le contrat de sécurisation professionnelle [CSP] ou l’accompagnement à la création d’entreprise ou à la formation, précise Diego Parvex. Toutes ces mesures ne sont pas obligatoires dans un APC car la vocation première d’un APC est de modifier le temps de travail, la rémunération et/ou la mobilité, pas de réduire les effectifs, même si parfois un APC a des effets collatéraux plus ou moins massifs qui aboutissent à des refus et donc des licenciements. »

Ruptures d'un commun accord

Il en va différemment avec la rupture conventionnelle collective [RCC]. L'accord a pour objet la suppression de postes mais sur la base du volontariat. Pour l’employeur, cette démarche peut se révéler intéressante puisqu’il obtient des ruptures de contrat d’un commun accord. La période semble propice puisque nombre de salariés réfléchissent à donner de nouvelles orientations à leur carrière ou souhaitent quitter un collectif de travail qui s’est délité. Si ces motifs peuvent amener à tourner la page, il faut rester prudent, avertit Diego Parvex : « Attention à ne pas se dire trop vite que ce à quoi pense l’employeur (PSE, RCC, APC…) est une opportunité. Ainsi, il faut être attentif à ce qui est négocié et dont le salarié pourrait bénéficier. À titre d’exemple, le “niveau d’accompagnement” entre dans le cadre de la négociation. En cas d’appel au volontariat (RCC, PSE avec plan de départ volontaire), les mesures pourront être plus intéressantes, puisque l’employeur proposera surement des mesures incitatives. Pour autant attention, l’après étant le plus souvent incertain. »

Il convient de garder en mémoire que l’essentiel de ces dispositifs, y compris potentiellement dans le cadre d’un PSE, peuvent passer ou passent par la négociation collective. « Il est donc fondamental que les organisations syndicales puissent savoir où en est précisément l’entreprise, quels sont les enjeux, les perspectives économiques, financières, sociales, commerciales pour bien comprendre quels sacrifices sont demandés et la portée de ces efforts tout comme leur nécessité, ajoute Diego Parvex. À partir du moment où l’employeur propose une baisse de rémunération, il faut que les salariés et leurs représentants aient bien conscience des efforts à fournir et de la nécessité de cet effort. À partir du moment où l’employeur envisage des suppressions de postes, il faut que les salariés et leurs représentants puissent se faire leur opinion sur le caractère nécessaire voire inéluctable du projet. » De quoi aussi être en mesure de proposer des solutions alternatives ne pesant pas autant sur les salariés.

La difficile mutation de la presse

Avocats associés chez Brown Rudnick, Arnaud Moussatoff et Pierre-Alain Bouhénic sont des spécialistes des restructurations d’entreprise, y compris dans la presse. Ils ont notamment accompagné des groupes de presse qui ont dû repenser leurs modèles économiques face aux enjeux de la transition numérique. Ils ont ainsi participé à des opérations de consolidation comme le rachat de Midi Libre par La Dépêche du Midi et assisté la coopérative des magazines dans le dossier Presstalis. À les écouter, la crise actuelle vient de loin : « La presse papier rencontre des difficultés liées à la fois au désamour des annonceurs et à la baisse de volume depuis près d’une décennie », pose d’emblée Arnaud Moussatof.

Pour Pierre-Alain Bouhénic, la crise du Covid a accéléré la transition numérique, ce qui est à ses yeux « à la fois une évolution positive dans la mesure où les coûts de distribution de la presse restent très élevés et un facteur d’incertitudes compte tenu de la complexité de l’équilibre économique des publications numériques ». Ils constatent que s’il reste « compliqué pour beaucoup de journaux de trouver le bon modèle numérique », la crise du Covid accélère la transition vers le digital. Selon ces spécialistes, le secteur de la presse, de même que l’industrie du cinéma, sont et seront concernés par la problématique de diminution de la masse salariale. Toutefois, c'est davantage le support que la matière éditoriale qui est visé. « Au regard de la structure de ces marchés, il est probable que les emplois attachés aux contenants soient plus durablement touchés que ceux attachés aux contenus », souligne Pierre-Alain Bouhénic.

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