Formation
Les directions des ressources humaines vont devoir s’atteler, avec les managers, à l’obsolescence des compétences de leurs salariés. Elles ont même déjà commencé à le faire. Il y a urgence face à un phénomène qui s’accélère.

Réalisée auprès de 1783 salariés et 254 fonctions RH, dans quatre pays (France, Allemagne, Italie et Espagne), la dernière étude du Cegos a de quoi entretenir la morosité ambiante : 47% des emplois seront concernés par des enjeux d’obsolescence à l'horizon de trois ans. Un chiffre en progression de huit points par rapport à 2019. Trois ans, c’est rien. « On risque d’être “has been” beaucoup plus rapidement qu’avant, résume Christophe Périlhou, directeur learning & solutions, activité sur-mesure du Cegos, organisme de formation continue qui existe depuis 1926. Un risque stratégique et montant que renforce la période de télétravail, où la maîtrise des technologies et d'un management à distance s'avère clé. De rang 7, l’obsolescence des compétences a gagné deux places en deux ans dans les sujets de préoccupation des CEO (chief executive officer) aux États-Unis ».

Un coup de tonnerre dans le landernau managérial ? Pas tant que ça. L’un des tout premiers coups de semonce est venu, en 2017, de Californie, avec une étude signée conjointement par l’Institut pour le futur – un think tank – et Dell. Elle disait déjà que 85 % des métiers de 2030 n’existaient pas encore. 2030, c'est dans bientôt neuf ans. Selon le Bureau du travail américain, les étudiants d'aujourd'hui seront passés par 8 à 10 emplois lorsqu'ils auront 38 ans. Cette valse de données statistiques aide à prendre conscience de l’urgence du dossier. « Dans trois ans, on sera dans un nouveau monde », synthétise Véronique Subileau, directrice générale adjointe en charge des activités talents & développement du cabinet de conseil RH BPI Group.

Les soft skills en première ligne

« Le mouvement de transformation des métiers s’accélère avec la crise du Covid, commente encore Véronique Subileau. Et si la formation n’a pas toujours été un enjeu stratégique pour les ressources humaines, elle le devient. Le changement d’acronyme en témoigne. On est passé de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) à la GSEC. Comprendre : gestion stratégique. » La durée de vie d’une compétence technique ? Entre 12 à 18 mois, selon l’OCDE, voire jusqu'à trois ans, selon d’autres sources. « Des données anxiogènes, reconnait Amélie Moutiers, corporate program manager de Village by CA (incubateur de start-up). La transformation des compétences va se jouer de plus en plus sur les soft skills. On va demander d’être plus malléable, de développer l’adaptabilité des collaborateurs, de travailler la capacité à apprendre, la posture. Savoir se remettre en question, basculer d’un outil à un autre, d’une fonction à une autre. On entre sur le volet humain de la transformation. » Quel est mon degré de travail en autonomie ? Suis-je capable de communiquer avec d’autres services ? Comment gérer mes émotions ? Autant de questions que chaque collaborateur va devoir se poser. Cette mutation des attentes des entreprises doit s’accompagner d’une réelle introspection, quitte à insécuriser péniblement les parcours individuels.

« Est-ce que quelqu’un lit les modes d’emploi ? interroge Baptiste Bouffaut, directeur technique de Ponicode, start-up de bientôt 16 salariés spécialisée dans l’intelligence artificielle. Le vrai enjeu aujourd’hui est de pouvoir se former facilement pour acquérir une compétence nouvelle. Avec des certifications de plateforme à la clé, mais pas de diplôme. Les autodidactes sont de plus en plus nombreux. Les diplômes ont moins de valeur par rapport à ce que fait réellement le candidat, sa personnalité. Le premier actif d’une entreprise reste l’équipe ! »

Les diplômes résistent

L’heure n’est toutefois pas encore à la révolution. Au pays d’HEC ou de Centrale Nantes, les diplômes résistent. Les recruteurs freinent face à cette mutation. Tout est une question de gestion du risque. « Procéder avec les diplômes comme critères est plus simple pour le recrutement, commente encore Véronique Subileau. Mais l’attitude par rapport au travail va devenir une valeur fondamentale. Le poids des “soft skills” va être renforcé. De quoi faciliter l’insertion sur le marché de l’emploi des autodidactes, effectivement. » 

« Même si la France obéit à une logique élitiste, constate Karim Cherif, associate partner chez Magellan Consulting, les entreprises vont devoir s’ouvrir à plusieurs diversités, en termes d’âges, de parcours –avec ou sans diplôme. » Si ce virage marque le début d’une nouvelle ère managériale, il reste à espérer qu'elle boucle aussi un chapitre important des entreprises : celui des « bras cassés ».

Peut-on parler d'obsolescence programmée ? Pour David Mahé, administrateur de Syntec conseil et président de Human & Work, spécialiste des questions de bien-être au travail, « c’est facile de créer de l’obsolescence, à coup d’un jour de formation tous les trois ans ! Lutter contre l’obsolescence des compétences relève quasiment d’une idéologie ! » Selon David Bernard, CEO et cofondateur d'AssessFirst, éditeur de tests en ligne, « la problématique se pose aux entreprises, mais également à la société tout entière, avec 15 % à 20% des collaborateurs qui seront totalement sur le carreau. Et le compte personnel de formation (CPF) à 500 euros ne suffira pas pour les “up-skiller” ou les “reskiller” ». Olivier Bachelard, professeur à l’EM Lyon, rappelle que « le talent mène à la réussite ! ». Mais encore faut-il y mettre le prix.

Trois questions à…

Audrey Poulain, présidente nationale de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et DRH Groupe et engagement des salariés chez Up

 

« Un salarié sur deux méconnait ses droits en matière de formation »



La gestion des compétences et le risque d’obsolescence sont-ils des sujets d’une grande acuité pour les RH ?

Le développement des compétences et leur anticipation figurent au cœur même du métier des ressources humaines. Un sujet sur lequel on est focus depuis cinq ou six ans, d’ailleurs. Mais les RH sont actuellement en première ligne pour garder l’emploi, assurer le business des entreprises... Pour les entreprises les plus matures, la démarche d’identifier les métiers qui vont se réduire, ceux qui seront stables, etc. a déjà été lancée. C’est plus compliqué pour les petites et moyennes entreprises. Ce travail nécessite une équipe RH plus étoffée. Mais raisonner à cinq ans sur ces questions est « old fashion », périmé.



La formation est-elle l’un des éléments de réponse ?

Un salarié sur deux méconnait ses droits en matière de formation. Un effort d’accompagnement plus large doit se faire. Il y a un vrai risque de voir des populations décrocher. D’où l’idée développée de faire un tour de France avec la Caisse des dépôts et consignation (CDC) – qui porte le Compte personnel de formation. Avec la crise du Covid, ce projet a été décalé, mais cela reste une nécessité.



Les 500 euros du compte personnel de formation sont-ils suffisants ?

L’abondement des entreprises est un sujet. Cette possibilité est à l’étude, même si on ne peut pas dire aujourd’hui que tous les DRH soient prêts. Pour l’heure, les entreprises vont gérer au cas par cas.

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