Ressources humaines
Avec le Covid, le télétravail s’est banalisé. Un tiers des salariés sont concernés aujourd’hui. Plus répandue, cette pratique est-elle mieux encadrée par le dernier accord national interprofessionnel (ANI) de novembre 2020 ? Les avis sont partagés.

Négociateur social du Medef, délégué général de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), Hubert Mongon y voit un « texte qui fera date ». Pour Laurent Termignon, directeur de l’activité Talent & Rewards en France au sein du cabinet Gras Savoye Willis Towers Watson, « la face du monde n’en sera pas changée. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait un avant et après ». Et de son côté, Benoît Serre, numéro deux de l’ANDRH (association nationale des DRH) s’interroge : « quel intérêt ? ». En question : les 19 pages de l’accord national interprofessionnel (ANI) pour une « mise en œuvre réussie du télétravail », signé le 26 novembre par six organisations patronales et syndicales, qui font suite à différents textes sur cette même thématique en 2005 ou 2012. Sans oublier, en 2017, les fameuses « ordonnances Macron ».  

Dans son point 3.2, l’ANI souligne « l’importance d’équilibrer le temps de télétravail et le temps de travail sur site ». Mais le protocole sanitaire, en pleine vague épidémique, change la donne. En janvier, il demande aux salariés à 100% en travail à domicile de continuer à rester chez eux, et à se rendre une journée par semaine à leur bureau si besoin. Reste que, sur le long terme, la pratique dite du « full remote » d’AssessFirst pourrait être remise en cause. Dans son livre blanc de 51 pages, David Bernard, fondateur de cette société spécialisée dans les solutions prédictives RH, examine toutes les questions du 100 % télétravail, modalité qu’il a adoptée dès le printemps pour ses soixante collaborateurs. « Je n’ai pas à la juger, commente Hubert Mongon, du Medef. Il ne nous appartient pas de définir ce qui est bon pour l’entreprise, tout cela relève de la négociation locale. Aux entreprises de prendre leurs responsabilités. Cet accord n'est ni normatif, ni prescriptif. Certains auraient préféré qu’il en soit autrement. C’est toujours plus confortable d’appliquer les règles, quitte à râler après. Il va falloir s’y habituer, c’est une nouvelle culture ! »

Où placer le curseur ? En 2020, près de 1 000 accords d’entreprise – plus de 200 encore en cours – ont traité du sujet (avec une durée moyenne de 2,2 jours par semaine), avant même la signature du texte. « En réalité, toutes les entreprises d’une certaine taille s’étaient déjà lancées dans la réflexion, comme Stéphanie Auchabie, DRH de Quadient, spécialisée dans le matériel logistique et le traitement du courrier. Un premier accord, établi sur un jour de télétravail, était déjà été révisé pour viser un rythme de deux jours hebdomadaires. L’accord de novembre dernier n’a pas constitué une source d’inspiration. » Pour l’heure, la ministre du travail, Elisabeth Borne, vient tout juste d’assouplir la norme, avec l’autorisation d’une journée en présentiel.

Autre point épineux, la difficile prise en charge des frais professionnels du télétravailleur. Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de la CFE-CGC, signataire de l’accord, estime que le Medef s'est arc-bouté sur « un dogme ». Résultat : son syndicat va envoyer un formulaire à ses représentants de terrain pour « saturer les services RH avec les demandes de remboursement ». Pourtant, « à lire entre les lignes, je comprends la référence au barème de l’Urssaf, commente Deborah Fallik, avocate en droit social, associée chez Redlink, qui table sur 10 euros par jour hebdomadaire télétravaillé. Ce pourrait être plus, ce pourrait être moins ! Tant que l’entreprise n’est pas condamnée, elle peut mettre en place la règle qu’elle souhaite. »

Une agilité protéiforme

Quid de Teams ou Zoom ? « Des dispositifs, d’une simplicité biblique ? Pas pour tout le monde, tient à souligner Catherine Laval, directrice talent et développement au sein de BPI Group, cabinet de conseils RH. Aussi, l’année 2021 sera celle de la formation pour développer cette agilité nouvelle d’animation à distance pour des managers dont le rôle central a été souligné dans cet accord. » Sa spécificité ? « Le focus sur le contour de la relation managériale, avec de nouvelles compétences à mettre en place », selon Caroline Diard, enseignante-chercheur à l’EDC.

Quant au temps de travail, il s'agit de le calculer, de faire respecter ses horaires légaux, tout en mesurant son impact sur la gestion des carrières comme sur la santé au travail. Julien Leclercq, vice-président du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJE), à la tête de l’agence Com’Presse, constate que quatre de ses collaborateurs ont fait un burn-out en six mois, contre un tous les trois ans auparavant. Comment ne pas créer une fracture entre les télétravailleurs et les autres ? Comment gérer le risque de délocalisation des emplois ? Quelle rémunération appliquer ? Peut-on introduire une différence selon le lieu de travail ? D’après l'enquête « Flexible Work and Rewards », publiée par Gras Savoye Willis Towers Watson, 13% des DRH en Europe pourraient développer une politique salariale à géométrie variable, selon le lieu effectif du travail. 

« Tant que le pays traverse la crise sanitaire, difficile probablement de poser des sujets lourds sur la table, synthétise Benoit Serre, vice-président de l’ANDRH, mais on n’y coupera pas, sauf à courir le risque d’avoir une législation décalée par rapport à la réalité de terrain des entreprises. Et si on ne se saisit pas de ces problématiques-là, on va se réveiller avec la gueule de bois. Si la digitalisation détruit des emplois, elle en créé d’autres, mais pas au même endroit. C’est de cela dont il fallait traiter dans cet accord. »

Trois questions à…

« Le manager est un acteur clé pour un télétravail réussi »

David Mahé, administrateur de Syntec Conseil et président de Stimulus

Quel est l’apport de l’accord national interprofessionnel (ANI) dédié au télétravail ?

Un pareil accord est un objet de consensus entre les différents acteurs. Aussi, ne va-t-on pas chercher l’innovation à gogo, ni de rupture dans ce type de document. Charge aux DRH de s’inscrire dans ce cadre et de construire une politique d’entreprise cohérente. Un ANI n’a pas vocation à définir des mesures concrètes.

Sur quels points le management devra-t-il être vigilant dans l’entreprise ?

Avec ce nouveau contexte, le travail du management est d’envergure. Et les sujets d’attention nombreux. Le télétravail a permis de gagner en productivité individuelle. Mais qu’en est-il de l’œuvre collective ? On a perdu dans la capacité de travailler ensemble. Une relation a besoin d’affinités pour se développer. À ce stade, la façon de créer du lien social n’a pas encore été inventée.

Quelles compétences doit développer le manager d’aujourd’hui ?

L’œuvre collective n’est pas l’addition de travaux individuels. Et comme les moments collectifs se raréfient, les collaborateurs vivent moins d’émotions positives. Il faudra les créer. Et le manager est un acteur clé d’un télétravail réussi. La notion de « care » va devenir essentielle. Être à l’écoute de ses équipes, aider les gens à réussir… Assurément, le « manager contrôlant » perd du terrain.

 

 

 

 

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