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Bertrand Biard est cofondateur de Manifestory et de l'association des agences de communication événementielle (Anaé). Stéphane Lecca, directeur général de Publicis Events, préside la délégation événementielle de l'AACC. Ils brossent le portrait d’une profession mal perçue, voire malmenée.

Comment se porte le marché de la communication événementielle ?

Stéphane Lecca. Le baromètre de l’Anaé laisse entrevoir un redémarrage de notre activité. Il indique que le nombre de compétitions a augmenté de 15 %, mais c’est en réalité le nombre de budgets de gré à gré mis en compétition qui s’est développé, pas la demande des annonceurs. Aujourd’hui, pratiquement toute notre activité se fait sur appels d’offres.

Bertrand Biard. Je partage globalement cet avis. Vu le foisonnement d’appels d’offres en début d’année, on a cru que le marché reprenait, mais une partie des compétitions n’a pas abouti. En fait, beaucoup de clients ont engagé des compétitions à la moindre occasion, sans véritable ambition. Beaucoup de temps et d’argent ont été dépensés pour rien.


Cela altère-t-il la relation avec les annonceurs ?

B.B. La relation est plus défiante, moins cordiale et productive qu’elle ne l’a été. Elle s’est parfois déshumanisée avec des briefs effectués par mail. Le client fait du pré-assemblage auprès de prestataires, même si l’opération sera in fine confiée à une agence qui perd une partie de la cohérence de sa valeur ajoutée.
S.L. La compétition est saine dans nos métiers, mais jusqu’à un certain point ! D’autant que si les délais dont nous disposons pour concevoir les opérations sont très courts, les délais de réponse des clients se sont allongés. Ce qui pose un vrai problème de gestion d’affectation des ressources humaines.


Les annonceurs connaissent-ils bien votre métier ?

S.L. Nos clients ont compris l’intérêt de l’événement. Mais l’entreprise navigue à vue. Nos interlocuteurs ont du mal à nous donner les éléments car ils ont eux-mêmes du mal à les obtenir auprès de leurs supérieurs.
B.B. Nos contacts opérationnels au sein des entreprises n’ont pas forcément la marge de manœuvre, les clés stratégiques ou la capacité à être entendus. Les décisionnaires interviennent souvent très tard dans le processus.


Vous dites éprouver des difficultés à vendre de la création. Pour quelles raisons ?

S.L. Pendant longtemps, nous n’avons même pas essayé d’en vendre. Nous nous rémunérions sur la production mais les marges y étant aujourd’hui quasi nulles, les agences ont investi pour intégrer un planning stratégique et délivrer une réflexion stratégique venant nourrir la création. La perception des annonceurs reste toutefois inchangée. De mauvaises habitudes ont été prises.
B.B. Les grilles tarifaires que les agences sont amenées à remplir ne tiennent pas compte de la créativité pure, de la valeur immatérielle. Lorsque nos recommandations intègrent une ligne création, elle est étiquetée « ça, c’est du gras » par des services achats qui nous demandent de la supprimer.


Quels sont vos chantiers du moment ? Comment faire évoluer les mentalités ?

S.L. Nous faisons tout au long de l’année un travail d’évangélisation auprès de nos clients et plus particulièrement des acheteurs. Et nous avons beaucoup travaillé sur la simplification du bordereau de prix unique pour les appels d’offres publics, une grille tarifaire sur laquelle nous souhaitons faire apparaître la rémunération des agences.
B.B. Entre autres chantiers, nous mettons en place cette année notre label qualité. Il comprend quarante prérequis constituant un minimum garanti pour faire correctement son travail d’agence. D’ici fin 2014, tous nos membres seront labellisés. Ceux qui n’auront pas pu répondre aux exigences du label quitteront l’Anaé.


Partagez-vous des actions en commun ?

B.B. Nous avons travaillé ensemble sur « La belle compétition », une charte lancée en 2014 qui régit les appels d’offres via des contrats d’engagement. Mais pour moi, le chantier commun fondamental reste à ouvrir. L’idéal serait de s’unir au sein d’une même branche professionnelle pour partager des pratiques, développer des usages, faire de la pédagogie.


Vous semblez d’accord sur presque tout. Pourquoi maintenir deux associations ?

S.L. L’AACC représente le marché global de la communication, il est logique d’y trouver un département événementiel et nous partageons des problématiques communes avec les autres branches. En termes de membres, nous sommes moins nombreux mais plus centrés sur le cœur même du métier d’agence conseil. J’ai eu l’occasion de participer à des réunions à l’Anaé où l’on trouvait autour de la table des acteurs dont les métiers différaient du nôtre, notamment les agences de tourisme d’affaires.
B.B. Tu parles d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître !
S.L. Les choses ont peut-être changé mais il y a encore trois ans, aux universités d’été de l’Anaé, on croisait plus de prestataires que d’agences ! J’attends d’une association qu’elle me permette de rencontrer ceux qui font le même métier que moi. Quoi qu’il en soit, on ne fusionne pas deux associations comme ça ! Avant de parler de fusion, essayons déjà de travailler mieux et plus souvent ensemble.
B.B. La délégation événementielle de l’AACC prône une forme d’élitisme quand nous voulons nous ouvrir au plus grand nombre. Nous devons être représentatifs. Mon intime conviction, partagée par l’Anaé, est que nous devons regrouper les acteurs qui créent et produisent de l’événement et, autour de nous, fédérer un écosystème des intervenants de la filière. L’Anaé a décidé d’adhérer à l’Unimev et constitue la délégation « agences ». Elle porte les sujets de la partie production de nos métiers. Pourquoi ne pas faire de même avec l’AACC pour l’autre versant de nos activités que sont le conseil et la création ? Ça me semble simple, efficace et porteur d’un message fort.
S.L. Il ne faut pas négliger le poids de l’histoire et des idées reçues. Il y a du côté de l’AACC une volonté de ne pas s’associer avec l’Anaé ! Il faut un travail de plus long terme pour faire évoluer les mentalités.


Le secteur a donné naissance au Raffut, une troisième association de professionnels ? Qu’en pensez-vous ?

S.L. Le Raffut propose une prise de parole différente, moins institutionnelle. Elle met en avant le côté créatif des agences. Mais son action se limite à l’événementiel grand public. Elle ne peut donc être représentative du secteur.
B.B. C’est une initiative intéressante regroupant de belles enseignes. J’apprécie leurs idées créatives, certaines de leurs actions, comme leur émission de débat sur Dailymotion, mais je ne suis pas fan de la soirée du Raffut. Elle installe une image un peu superficielle et consanguine de nos métiers. Pour moi, c’est surtout beaucoup de bruit pour rien. Il y a toutefois quelques sujets de fond urgents sur lesquels nous aurions intérêt à travailler ensemble.


Notamment la question des intermittents qui représentent une ressource vitale pour vos entreprises…

S.L. Le marché nous impose une importante flexibilité. Le recours à des free lances est donc vital. Cependant, comme pour tout système, il y a des abus et des dérives. Un encadrement me paraît donc absolument fondamental dans la mesure où il s’adapte aux différents secteurs d’activité employant des intermittents.
B.B. Le sujet est un serpent de mer, long et glissant à souhait. À l’Anaé, nous faisons régulièrement entendre nos arguments auprès de différentes parties prenantes. Pour nos agences, la question reste pragmatique : comment contractualiser et rémunérer au juste coût les diverses ressources ponctuelles et spécialisées qui nous sont nécessaires, avec un système clair qui accompagne le développement professionnel de ces collaborateurs éphémères ? Beaucoup d’intermittents commencent à basculer vers des statuts d’entreprise individuelle ou de groupement. C’est le sens de l’histoire.


Votre secteur a été marqué par l’affaire Bygmalion. Quel a été l’impact sur votre profession ?

S.L. Pour moi, c’est un non sujet. Ce sont les hommes politiques qui sont éclaboussés, pas notre profession. Néanmoins, l’amalgame qu’il est possible de faire avec notre métier et les suspicions de manque de transparence sont gênants.
B.B. Des suspicions et des annonces médiatiques comme celles-là entachent forcément notre profession qui a pourtant largement professionnalisé ses offres et défini ses valeurs d’usage. Il est bon, à cette occasion, de rappeler l’existence de chartes de bonnes conduites et de règles éthiques sur lesquelles l’ensemble des membres de l’Anaé se sont engagés. Sans oublier le label qualité. Je regrette simplement qu’aucun média n’ait pensé à demander l’avis de l’une ou l’autre des associations. Nous avons encore du travail pour nous faire connaître. Ceci dit, le vrai défi est que toutes les agences rejoignent une association pour promouvoir les bonnes partiques et marginaliser les autres.

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