Design
A l'heure de la digitalisation massive, les devantures et les vitrines s'événementialisent et entrent directement en interaction avec les passants. Jusqu'à sortir des magasins?

Elles symbolisent la tentation. Des supplices de Tantale modernes, qui refusent à la main qui se tend les objets convoités. «Coffre-fort fragile et provocant, la vitrine appelle l'effraction», écrit Michel Tournier dans La Goutte d’or. Depuis le Bonheur des dames, «qui avait fondé l'école du brutal et du colossal dans la science de l'étalage», les devantures et leurs vitrines déploient tous les artefacts pour susciter le désir.

Mais aujourd’hui, «la vitrine fait plus que jamais partie du parcours client, et ne peut se contenter d’un seul rôle de média, qui donne à voir», estime Marc Cordier, directeur de création architecture chez Brandimage. «On va à la fois vers une simplification et une événementialisation des vitrines», remarque quant à lui Philippe de Mareilhac, cofondateur de Market Value. À l’approche des fêtes de fin d’année, grande parade nuptiale du retail, tour d’horizon des tendances actuelles ou émergentes.

 

Œuvres d'art

 

Dans les voix, l’émerveillement est palpable. «À Milan, la marque de vêtements Brunello Cucinelli a recréé un marché de village avec des fruits et des légumes. Et Jar parfums montre une simple goutte de parfum en suspension…», décrit Christophe Pradère, fondateur et directeur de création monde de BETC Design. «Hermès a fait appel à l’artiste japonais Tokujin Yoshioka, pour une installation dans laquelle un carré suspendu se meut au gré du souffle d’une jeune fille», rappelle Delphine Dauge, PDG de Brandimage.

«Autrefois, en devanture, on devait disposer des nouveautés chaque jour: aujourd’hui, il s’agit d’être plus arty, ou d’adopter une approche plus narrative, éditoriale: la vitrine se fait cinématographique, ou se met à ressembler à un magazine», note Christophe Pradère.

Avec pour écrasant modèle le flagship Louis Vuitton sur les Champs-Élysées: «Du grand spectacle, qui peut coûter jusqu’à 70 000 euros pour une vitrine de Noël! Ce sont les plus abouties, avec un matériel de scénographie spécialement créé pour l’occasion, et des thèmes déployés dans le monde entier», souligne Christian de Bergh, directeur général du retail branding de Dragon rouge.

 

Transparentes et opaques

 

«La tendance lourde est à la transparence, surtout dans les petits magasins: c’est l'arrière-plan qui va attirer, d’où la nécessité de soigner l’éclairage», estime Philippe de Mareilhac, de Market Value. «Les banques et les magasins de services, en particulier, après avoir été des espaces clos, ouvrent leurs façades à la transparence: une manière d’attirer dans les boutiques les clients, de plus en plus enclins à consommer ces services sur le net», analyse Christian de Bergh.

«Les bandeaux en devanture, c’est un peu le passé, lâche François Hannebicque, cofondateur de l’agence AKDV. Dans les malls, on voit ainsi beaucoup de vitrines qui vont du sol au plafond.» Avec une nuance: «En termes de devantures, on est beaucoup plus libres dans les “malls” que dans les centres-villes, où nous sommes contraints par les bâtiments de France.»

Système de balancier: à l’ouverture totale correspond l’opacité. «Les magasins Pull & Bear, avec leurs facades en petits carreaux, constituent un geste architectural hyper-spectaculaire», juge Philippe de Marheilhac. Tout comme, selon lui, «la façade du magasin Versace de Dubai, dont la seule transparence est constituée par la porte d’entrée».

 

Digitales et connectées

 

La digitalisation n’épargne pas les vitrines. «Chez Abercrombie et Hollister, les façades, aveugles, sont constituées d’écrans géants qui montrent via des webcams des plages californiennes en live», signale François Hannebicque. «Le digital comporte trois enjeux: enrichir l’information du client, développer l’aspect communautaire et donner la possibilité de naviguer depuis la vitrine», énumère Christophe Pradère.

Ainsi, devant l’enseigne de prêt-à-porter Saturday expérimentée à New York, on peut assouvir des compulsions vestimentaires de jour comme de nuit. «Un nouveau type de magasin où tout passe par la commande numérique», explique Christian de Bergh de Dragon Rouge.

«L’aspect marchand est remis en question par le digital», estime Delphine Dauge de Brandimage. Optic 2000 permet d’essayer des montures quand le point de vente est fermé, par le biais des vitrines. Dans le centre commercial Blue Water, en Grande-Bretagne, TUI propose des écrans interactifs sur lesquels on peut choisir son voyage… On peut désormais faire ses achats dans des surfaces qui peuvent être très réduites en mètres carrés.

 

Hors magasin

 

Deux mètres sur trois, soit neuf mètres carrés: la nouvelle boutique de Nespresso, le Cube, installée depuis 2014 au BHV, n’a rien d’un flagship. Et si les magasins de demain n’étaient… plus vraiment des boutiques ? Pas extravagant, alors que le bâti n’est pas extensible à l’infini. «Dans des vending machines (distributeurs) installées dans les palaces à New York, il est loisible de s’acheter des montres à 60 000 dollars», indique Delphine Dauge. Kusmi Tea vient d’implanter son premier distributeur de thé en accès libre à Paris: le Kusmi Kiosk.

«Tout en restant très haut de gamme, ces distributeurs permettent d’aller au-devant des flux: la vitrine s’anime, sort du magasin pour aller à la rencontre des consommateurs», résumé Marc Cordier de Brandimage. Astucieux, même si «rien ne permet mieux la communion avec les marques qu’un flagship», nuance Delphine Dauge. Je suis retail, et je le reste…

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