L'Institut de la qualité de l'expression a analysé la manière dont s'expriment les entreprises sur le Web, mettant en regard les mots choisis par des sociétés traditionnelles et par des pure players.

Internet aurait-il accouché d'un nouveau langage ? Oui ! affirme Jeanne Bordeau, fondatrice de l'Institut de la qualité de l'expression (1). «Le langage numérique prolifère. Cette langue nouvelle bouscule toutes les entreprises dans leurs fondations et remet en cause leur expression auprès de leurs marchés», estime la consultante-linguiste qui s'est penchée sur l'expression digitale de six entreprises : BNP, Fortuneo, 3 Suisses, Venteprivée.com, Puma et Sarenza.

 

Surprise : il ne suffit pas d'être un pure player pour maîtriser les arcanes du langage Web.
Ainsi, d'après l'étude «le langage digital : six entreprises face à l'heure de la communication 2.0», le meilleur élève en français numérique s'appelle 3 Suisses, vénérable institution fondée en 1932. Pour Jeanne Bordeau, «le chouchou (2) a des allures de storytelling. Le site possède un ton enlevé : « Quoi de neuf la mode Denim ? », pouvait-on lire en première page». Le site propose des pages constamment réactualisées, avec des fonds d'écran qui évoluent en fonction des thèmes. Participation et satisfaction sont les axes prioritaires, incarnés par des verbes à l'indicatif («Vous construisez», «Vous détectez», «Vous conseillez») qui créent un lien avec l'internaute. «La conversation est engagée : bravo !», applaudit la fondatrice de l'Institut. Un blog offre un espace de dialogue avec les membres de l'équipe du vépéciste, qui délivre ses conseils sur un ton gai et dynamique. «Le groupe disparaît au profit de la marque qui est la plus importante. Les liens vers les pages corporate sont discrets, en bas à droite de l'écran», ajoute Catherine Vogt, linguiste et professeur à l'université d'Evry, qui a participé à l'étude.

 

Le vépéciste sait aussi varier les niveaux de mises en scène de son discours, comme l'illustrent les pages «histoire» présentées sur fond sépia. Avec sa maquette inspirée de la presse féminine, son ton moderne et la revendication de son expertise dans la mode (l'enseigne se qualifie de «défricheur de tendances» ou «semeur de mode»), le site Web de la vieille dame du Nord peut donner des leçons de branchitude 2.0 à ses rivaux e-commerçants pourtant nés avec Internet.


Le deuxième site qui emporte les suffrages de l'institut est tout de même un pure player : Sarenza, vendeur de chaussures en ligne créée en 2005 par Stéphane Treppoz, pionnier du Web et ex-PDG d'AOL. «La marque est en récit, en dialogue, et la chaussure est une star. Le film vidéo de présentation de la marque crée une connivence avec l'internaute grâce à un langage concis et vivant», analyse Jeanne Bordeau. Le chausseur en ligne refuse le discours déclaratif de bon nombre d'entreprises qui revendiquent leurs valeurs sans en apporter la preuve. Par exemple, Sarenza a adopté un comportement original dans le monde du Web : il ne commercialise pas sa base de données d'un million de clients et le dit clairement sur son site. «Nous ne voulons pas que notre client ait l'impression d'être traité comme un numéro que l'on va donner à d'autres personnes», explique Stéphane Treppoz. Grâce à un ton juste, une cohérence dans les métaphores employées, comme le cinéma (chaussures sur tapis rouge, ticket de cinéma en or pour la 10 000e paire vendue) et à l'humour (gagnez 6 ans de chaussures et un week-end anti-coup de pompe), Sarenza est un exemple de maîtrise du langage digital. À noter cependant que le site français s'est franchement inspiré du pionnier américain de la vente de chaussures sur Internet, Zappos.

 

 

Côté mauvais élèves, BNP Paribas a en revanche de sérieux progrès à faire pour maîtriser le langage digital. Sur son site institutionnel Bnpparibas.com (différent du site Bnpparibas.net, destiné aux clients), la redondance des thèmes n'aide pas à la compréhension. Exemple : le développement durable est présent deux fois dans la rubrique «nous connaître», sur la barre de menu et dans l'onglet «actualités», mais les pages sont différentes. Et il faut à la banque pas moins de trente pages pour retracer son histoire... Pour Jeanne Bordeau, c'est un site «qui semble daté, copieux et difficile à saisir parce que la précision tue la clarté». La consultante parle aussi de «langue neutre» et reproche l'absence de «signature sémantique». Sans compter que la banque a du mal à maîtriser les subtilités de la langue française. Dans les valeurs qu'elle affiche, on trouve l'ambition. «L'ambition n'est pas une valeur, elle est synonyme d'objectif», corrige Jeanne Bordeau. Pour Catherine Vogt, «le discours n'a pas d'identité, les phrases choisies pourraient être employées par n'importe quelle autre entreprise, on est dans l'auto déclaratif». Dans le rapport RSE (responsabilité sociétale des entreprises) mis en ligne sur le site, interminable et écrit en blanc sur fond clair, on trouve par exemple une référence à un «climate change steering comitee», sans que ce concept soit traduit en français ni que la nature ou les objectifs de cette structure soient expliqués.
La banque «d'un monde qui change» gagnerait à s'appliquer son slogan en changeant son expression corporate.

 

(encadré)


LES MOTS DES AUTRES

 

Fortuneo.fr
Les plus :
- une langue simple et directe, en accord avec les valeurs énoncées (simplicité, transparence, professionnalisme).- un vocabulaire technique et juridique qui incarne l'image d'expertise revendiquée.

 

Les moins :

- multiplication des onglets avec le même intitulé, comme le «qui sommes-nous ?» qui apparaît à deux endroits et renvoie à deux pages distinctes.

- une forme impérative («Arrêtez de banquer ! cinq minutes suffisent !») qui n'incite pas au dialogue avec le client.


Venteprivée.com
Les plus :
- présence de documents audio et vidéo.
- une langue «gaie, chaleureuse et simple».
- mise en place d'une communauté («devenez membres»).
Les moins :
- une convivialité qui peut paraître artificielle.
- un ton trop neutre.


Puma
Les plus :
- le site de marque (Pumavision) présente bien les valeurs du groupe (écologie, engagement citoyen).
- les différents sites emploient les mêmes mots.
- un langage «rationnel et sensible».
Les moins :
- un site trop riche
- un tutoiement un peu forcé (ose la couleur, sois lumineux).

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.