Comment communiquer sur l'écologie? Vendredi 22 juin, Alice Audouin, responsable du développement durable d'Havas Média, et Anne Philip, directrice marketing de Mondadori Publicité, ont posé la question à six professionnels de la communication, réunis aux pieds de la tour Eiffel dans le très chic salon de l'agence New-York. Leur discussion à bâtons rompus clôt une étude menée en partenariat avec Stratégies sur les comportements et perceptions de trois sensibilités face à l'écologie: les engagés, les réfractaires et le «ventre mou» (lire l'encadré). Plutôt écolo-modérés, les intervenants comptent quelques «écolos» engagés. Loïc Fel, responsable du développement durable de BETC, ne mange plus que des fruits et légumes. Quant à Claire Ravut, codirectrice de la création d'Australie, elle se fournit en électricité verte, se déplace en vélo ou en Prius, achète des produits frais, français et, si possible, bio. Que faut-il faire ou à tout prix éviter pour favoriser les comportements écologiques? Morceaux choisis.
«Donner des armes pour lutter»
«La communication sur l'écologie peut être comparée à celle de la sécurité routière. Jusqu'en 2002, elle stigmatisait les mauvais conducteurs et donnait à voir l'horreur de la violence routière. Nous avons gagné ce budget - j'étais chez Lowe à l'époque -, avec l'idée que pour changer les comportements, nous devions prendre les gens pour des adultes et cesser de leur faire peur. Toutes les communications ont alors cherché à faire de la pédagogie sur les circonstances et les minidélis à l'origine des accidents. Si le nombre de morts sur la route a été divisé par deux entre 2002 et 2008, ce n'est pas simplement parce que les gens ont vu la publicité. Cette approche a changé le regard que nous portions sur les infractions. Elle a rendu acceptable, normal, le fait d'être verbalisé. Concernant l'écologie, après une nécessaire phase d'alerte de l'opinion, nous devons passer à une communication didactique et positive, qui valorise les changements de comportements. Pour un publicitaire, c'est a priori moins facile et moins "glamour" d'aller vers ce type de communication. Les Grands Prix sont remplis de ces communications consacrées aux "grandes causes", excellentes d'un point de vue créatif mais sans aucun fondement stratégique. Elles ne font qu'amplifier le sentiment d'impuissance et de peur en provoquant des réactions de fuite, alors qu'elles devraient donner des outils pour agir, des armes pour lutter.»
Claire Ravut, codirectrice de la création d'Australie
«Regardons la réalité»
«Arrêtons de parler d'éco-geste! Tu ne dragues pas une femme en disant: "Tiens, hier, j'ai fait un éco-geste!" Arrêtons également de réaliser des publicités sur l'écologie sur un mode culpabilisant ou enfantin, comme les publicités pour Recylum. Regardons la réalité: je n'achète pas un sac Freitag parce qu'il est écologique mais parce qu'il est indestructible. Je déambule en chaussures Veja simplement parce qu'elles sont légères. Je triais au Canada à cause du système de consigne. À Toronto, ils pompent l'eau des profondeurs des Grands Lacs pour fournir la climatisation de tout le centre-ville non pas pour des raisons écologiques bien-pensantes mais parce que cela coûte moins cher. Un chômeur américain du New Jersey, fatigué de ne pas trouver de travail, n'a pas levé le poing dans la rue mais son crayon pour dresser un business plan basé sur le recyclage. Il est maintenant patron d'une PME qui emploie 22 ex-chômeurs. Utilisons d'autres critères pour «faire acheter» les gestes écologiques sans essayer de les vendre au forceps. Cela ne fonctionne pas. Arrêtons de vendre des ampoules, faisons acheter de la lumière. Et gardons la communication corporate écolo-friendly pour l'interne.»
Yv Corbeil, directeur de création intégrée et digitale chez Dufresne Corrigan Scarlett
«Promouvoir le courage de l'erreur»
«Je dis oui à l'écologie mais non aux écologistes. C'est quand même le seul parti politique capable de proposer comme candidate à la présidentielle quelqu'un de totalement inéligible! Je ne pense pas, non plus, qu'il faille vendre la naturalité, la proximité de l'homme avec la nature, comme le vante la publicité pour Aigle. Personne n'a envie de renouer avec une animalité sauvage. Personne n'a envie de devenir chasseur-cueilleur. Toi Jane, moi Tarzan, non merci. La publicité doit mettre en avant des solutions, des bénéfices utilisateurs, en montrant un homme dans toute sa modernité, pensant, inventif, créatif... Il faudrait aussi valoriser les qualités personnelles des écologistes engagés, en soulignant les notions de courage et de droit à l'erreur qui sont les leurs. Combien d'actions, soi-disant vertueuses, se révèlent finalement contre-productives ou ayant d'autres effets négatifs sur l'environnement? C'est aussi valable pour les entreprises. Souvent, les annonceurs imaginent qu'ils sont tenus à une responsabilité sociétale (RSE) parfaite pour développer un discours éco-responsable, alors que très souvent - sans le savoir - de bonnes actions déjà naturelles ou habituelles illustrent leur engagement.»
Nils Audouin, président de l'agence New-York
«Evitons les discours globalisant»
«On ne fait pas de bonne publicité environnementale avec de bons sentiments. Et évitons d'y avoir recours parce qu'ils éveillent désormais la méfiance du public. Arrêtons, d'ailleurs, le discours de sensibilisation qui est déjà largement installé. D'autres écueils sont à éviter: les discours globalisant du type «préparons le séminaire RIO +20 entreprises !», trop en décalage avec la vision locale du citoyen-consommateur. Ou encore le jargon. Préférons, par exemple, le terme d'éolienne à celui d'énergie renouvelable. Enfin, mieux vaut éviter l'éco-puritanisme, la culpabilisation ou même "l'éducation" du public, lorsque l'on est une grande entreprise dont l'image environnementale est mitigée. Une bonne publicité environnementale mettra en exergue un bénéfice personnel et immédiat pour le public en échange d'un comportement plus écologique: bénéfice santé, pratique, économique, pour les particuliers comme pour les professionnels. Et ce, avant même de parler d'écologie. Elle soulignera les "success stories" d'initiatives vertes pour les professionnels et des "people verts" crédibles et légitimes pour le grand public.»
Alexandre Pasche, fondateur de l'agence Eco & Co
«Le divertissement avant la pédagogie»
«Aujourd'hui, je milite pour une morale de l'action, non de l'intention. Que ce soit pour faire des économies, séduire son voisin ou protéger l'environnement, ce qui importe c'est le résultat. Pour faciliter le changement des comportements, il n'est pas nécessaire de parler d'écologie. D'autant que l'écologie n'est pas un levier pour l'achat d'un produit. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas primordiale dans la communication d'une marque. L'écologie joue un rôle clé, plus profond. Elle incarne des notions de durabilité, de qualité, de tradition, qui renforcent la fidélité des consommateurs. La communication sur l'écologie gagne en impact dans le hors-médias, quand elle devient performative et se mêle au divertissement. La campagne "Fun Theory" de Volkswagen en est un bon exemple. Elle ne dit pas aux citoyens: "Prenez l'escalier et évitez l'escalator", mais utilise l'énergie de l'escalator pour créer de la musique. L'événement permet de comprendre les énergies renouvelables. Les actions de communication où le divertissement précède la pédagogie sont une voie prometteuse.»
Loïc Fel, responsable du développement durable de BETC
«Accompagner les acteurs du quotidien
»
«Ce qui est prioritaire pour les annonceurs c'est de pouvoir dire (et montrer) ce que l'on fait de mieux mais également ce qui reste à faire. C'est le meilleur message pour l'écologie. Impossible en effet de n'avoir plus aucun impact environnemental. Par ailleurs, le "greenwashing" (utilisation abusive de l'argument écologique dans la publicité) évolue. S'il quitte de plus en plus les slogans publicitaires, il s'insinue autrement, par exemple dans la signature d'une marque voire le nom même d'un produit. Le problème se déplace de la communication au marketing. Ceci est problématique. Concernant les leviers d'actions, l'adoption de comportements écologiques se heurte à de nombreux obstacles, qu'ils soient de nature matérielle, financière ou psychologique. Il est important, par ailleurs, que les stratégies soient adaptées à des publics très différents, dont les degrés de conscientisation et de préparation au changement sont très hétérogènes. De la sensibilisation au passage à l'acte, les processus sont complexes et longs. In fine, je crois à la notion d'"acteurs du quotidien". Tout le monde peut agir à son niveau. Enfin, pour accompagner un changement de société, je mise désormais davantage sur les réseaux de proximité que sur les grandes publicités mass-médias. Il faut aller sur le terrain, démontrer par l'action, orchestrer des campagnes type "Familles à énergie positive" ou "Trak O'Watts". Mieux vaut également vendre des bénéfices individuels que des bénéfices collectifs, étayer ses arguments par des preuves, éviter la complexité, la peur pour faire peur. Il faut donner des solutions concrètes en pointant les notions de plaisir, de prix mais aussi de santé, et en valorisant tout ce qui est success stories. L'incantatoire, ça suffit.»
Valérie Martin, chef du service d'information et de communication de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)
Encadré
Trois familles, trois attitudes face à l'écologie
75%. Pourcentage d'anti-écolos pensant que le bio est un argument marketing mensonger.
63%. Pourcentage d'écolos-modérés d'accord pour modifier leurs habitudes en faveur de l'écologie.
30%. Pourcentage de super-écolos refusant de se déplacer en voiture.